Le Chef de l’État, Patrice Talon, a traduit son vœu en acte. Il a procédé, au cours du conseil des ministres de ce mercredi 11 décembre 2024, à la nomination de Ministres conseillers bien que la décision soit portée devant la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Cadhp) dont l’avis est toujours attendu.
Désormais, les Béninois doivent s’habituer à un autre vocabulaire dans l’administration publique. Dans la soirée de ce mercredi 11 décembre 2024, ils ont appris, éberlués, voire impuissants, la nomination des premiers membres du collège des ministres conseillers. Une nomination émanant du décret n°2024-006 du 9 janvier 2024 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Collège des ministres conseillers à la Présidence de la République. Ainsi, par le biais du conseil des ministres hebdomadaire, Patrice Talon a nommé les douze personnalités devant siéger en ce titre, conformément à l’article 4 dudit décret.
Considérés comme des collaborateurs du Président de la République, ces ministres conseillers ont pour mission, selon l’article 3 du décret, de contribuer d’une part, à la définition de la politique gouvernementale et, d’autre part, au suivi de la mise en œuvre du programme d’actions et des initiatives du gouvernement. Ils participeront également à l’élaboration des politiques sectorielles et contribueront à la préparation des discours politiques dans lesquels ils feront valoir les idées, les options et les opinions du gouvernement, de manière à informer la population et à lui expliquer certaines prises de position du gouvernement. Ils se renseignent et prennent ‘’en considération tous les éléments d’une situation donnée afin d’être en mesure de proposer des solutions pertinentes au Chef de l’État’’. Les ministres conseillers vont assurer, sur le terrain, le suivi de l’exécution des décisions et des directives du Chef de l’État et le traitement des dossiers soumis au cabinet du Chef de l’État. Ils feront aussi le suivi de la mise en œuvre des projets, réformes, programmes et initiatives du gouvernement, en relation avec les cellules de suivi de la présidence de la République, les ministres sectoriels et les entités en charge de l’exécution du programme d’actions du gouvernement. Les ministres conseillers participent aux réunions initiées par le Président de la République ou les ministres sectoriels et effectuent tout autre activité à la demande du Chef de l’État.
Nouvelle création, nouvelles charges
Voilà une trouvaille du Président Patrice Talon dans un pays où la morosité est ambiante, où la population vit sous le poids de la cherté de la vie. Une décision purement et essentiellement politique. Là où le bât blesse, c’est la nature des personnalités de ce collège. Il s’agit des acteurs politiques uniquement membres de la mouvance présidentielle, issus des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ou non, mais soutenant la politique du Chef de l’État. Ils sont rémunérés au même titre que les agents de l’administration publique.
En réalité, l’idée qui sous-tend cette décision n’est rien d’autre que les manies du régime en perspectives des élections générales de 2026 : trouver un strapontin à d’anciens collaborateurs, abandonnés sur les carreaux ou vomis par les populations durant les élections législatives de 2023, afin qu’ils ne tombent pas dans les bras de l’opposition. En quelque sorte, la politique de la ‘’ruse’’ et de la ‘’rage’’ prônée par Joseph Djogbénou, ex-président de la Cour constitutionnelle. Malheureusement, si les dernières élections législatives constituaient un baromètre, la plupart de ces ministres conseillers, à savoir Rachidi Gbadamassi, Janvier Yahouédéou, Sèdami Mèdégan Fagla, Gilbert Déou Malè, Claudine Prudencio, ne pèsent que leurs ombres sur le terrain. Pris individuellement, ils n’ont plus grand-chose à démontrer en matière électoral. Au moment où le Chef de l’État traite certaines institutions de budgétivores, il en crée une autre dont la mission n’existe pas.
Le dossier pendu devant la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples
Qu’il vous souvienne, ce décret créant le Collège des ministre conseillers avait été porté devant la Cour constitutionnelle. En effet, les recours déposés par le parti d’opposition ‘’Les Démocrates,’’ concernaient les décrets N°2024-006 et N°2024-007 datant du 9 janvier 2024, respectivement sur la création, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Collège des ministres conseillers, ainsi que de la définition des secteurs d’intervention de ces ministres conseillers. La Cour, dans sa décision du 23 mai 2024, avait jugé ces décrets conformes à la Constitution. Elle a souligné qu’il n’y avait aucune violation de l’article 56 de la Constitution ni de la loi organique N°2010-05 du 3 septembre 2010 qui fixe la liste des Hauts fonctionnaires de l’État. En outre, elle avait précisé que la nomination des ministres conseillers, telle que définie par le décret N°2024-006, ne nécessitait pas l’avis du Conseil des ministres. Elle avait expliqué que ces ministres conseillers seraient des collaborateurs du Chef de l’État en service à la Présidence de la République et qu’il n’était donc pas obligatoire qu’ils soient des Hauts fonctionnaires de l’État. Mieux, elle avait également rejeté l’argument de violation du principe d’égalité, affirmant qu’il n’y avait pas de rupture de ce principe. De plus, elle a jugé que le droit de tout citoyen à participer librement à la direction des affaires publiques ne pouvait être invoqué que dans le cadre électoral et ne s’appliquait pas aux nominations politiques.
Ces arguments, loin de convaincre tous les Béninois, ont conduit Landry Adélakoun, Romaric Zinsou, Miguèle Houeto, Fréjus Attindoglo et Conaide Akouedenoudjè à saisir la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Cadhp). Ils ont demandé dans leur requête que le fameux décret soit déclaré contraire à la Constitution du Bénin et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Selon les requérants, le décret de création du Collège des ministres conseillers cache une discrimination fondée sur l’appartenance politique, en contradiction avec les principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination. Il limite également l’accès aux fonctions publiques, réservé à une élite soutenant la majorité présidentielle, ce qui viole l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. Enfin, selon eux, la rémunération des ministres conseillers, financée par les fonds publics, est jugée inacceptable si l’accès à ces postes n’est pas équitable. Malheureusement, l’avis de l’organe judiciaire de l’Union Africaine pour la Protection et la Promotion des Droits Humains est toujours attendu. Procéder à la nomination des membres de ce collège constitue un défi à la juridiction continentale à laquelle le Bénin a librement souscrit.