Au Tchad, Succès Masra a-t-il hypothéqué son avenir politique?

Tchad : Succès Masra, triste fin d’une aventure périlleuse

Quel est le plan de l’ancien opposant le plus radical au régime Déby, en acceptant de prendre la tête du nouveau gouvernement de transition aux côtés du général Mahamat Déby ? Bien que ses dernières postures face à la junte tchadienne semblaient y préparer l’opinion, l’irruption de l’opposant dans le fauteuil du premier ministre n’a pas manqué de surprendre tout le monde, à commencer par les tchadiens.

Coffi Eganhoui

Le lundi 1er janvier 2024, un communiqué de la présidence annonce la nomination de Succès Masra au poste de Premier Ministre. Le lendemain, l’homme prend fonction et met en place un nouveau gouvernement. Une évolution politique assimilable à un retournement de veste. Pour ses anciens alliés de la plateforme des partis d’opposition Waki Tamaa, ce retournement spectaculaire est la preuve que le président des Transformateurs avait pour seul objectif de s’asseoir à la table du pouvoir, quoiqu’il en coûte.

Un an avant cette nomination, aucun Tchadien n’aurait cru voir Succès Masra dans l’équipe de transition que préside le Général Mahamat Idriss Déby, fils de l’ancien président défunt. Le jeune opposant parti en exil après les événements tragiques du 20 octobre 2022, s’est risqué dans des compromis politiques avec le régime qu’il a longtemps contesté et qualifié de « succession dynastique du pouvoir ». Tombé sous le coup d’un mandat d’arrêt international au début du mois d’octobre dernier, il ne doit son retour au Tchad qu’à un accord politique avec le général Déby incluant l’amnistie des crimes et délits commis à l’occasion des manifestations du 23 octobre 2022.

Trop pressé ?

Dès lors, l’opposant a enchaîné les contradictions passant du « Non » au projet de nouvelle constitution à un « oui » très clair, en passant entre temps par le « ni oui, ni non ». Un brouillard idéologie qui avaient inquiété ses collègues de l’opposition et que nombre d’observateurs avaient analysé comme annonciateur d’un revirement spectaculaire, comme beaucoup d’autres opposants avant lui. Jean-Bernard Padaqué, de l’ancien parti présidentiel s’est naturellement félicité de cette grosse prise : « Maintenant qu’il a l’étoffe d’un homme politique, il n’est plus activiste, il devient un homme politique et, comme tel, c’est un Tchadien. C’est un brillant garçon et donc nous pensons qu’aucune compétence n’est de trop dans la phase actuelle de la refondation de notre pays. Donc, nous ne devons pas tout de suite commencer à le sanctionner ou bien à le critiquer. Nous sommes persuadés que la responsabilité de son devoir lui conseillera d’être davantage un homme d’État qu’un chef de parti politique. À lui maintenant la charge de gérer, à côté du président de la République, les affaires de la nation. Je pense que les deux pourront faire un bon attelage », a-t-il déclaré.

Quel avenir politique ?

Même s’il a longuement tenté d’expliquer son choix en faveur du « Oui » au référendum en qualifiant le nouveau texte de « moindre mal », le Premier Ministre Succès Masra a encore du pain sur la planche. Son impatience et ce mariage “presque forcé” avec le régime militaire risquent de compromettre son ambition présidentielle à moyen et à long terme. Depuis la mort du maréchal Idriss Déby Itno, Succès Masra a toujours affirmé sa volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir d’État avec son parti les Transformateurs. Beaucoup estiment que cet appât du pouvoir l’a sans doute conduit dans le piège du président de la transition avec qui il aurait conclu un deal dans lequel Mahamat Déby est de toute évidence, l’unique gagnant.

En acceptant de prendre la tête d’un gouvernement dans lequel il est minoritaire (seul 3 secrétaires d’État sur la trentaine de ministres), non seulement Succès Masra blanchit la junte et renforce la légitimité de son jeune chef, Mahamat Déby, mais surtout, il se délégitime lui-même et remet son avenir politique entre les mains du fils du président Déby, qui avait démontré un savoir-faire inégalé dans l’art de démonétiser ses opposants.
Et quand le leader des Transformateurs avance qu’il a accepté la primature pour tenter d’influer sur le système de l’intérieur, beaucoup de ceux qui connaissent la politique tchadienne sourient de bienveillance, pensant sans doute que si Mahamat Déby Itno a la moitié du talent de son père on peut craindre que les ambitions présidentielles de succès Masra sont terminées.

Rien ne lui garantit en effet qu’il pourra être candidat contre le président de la transition, encore moins qu’il pourra être déclaré vainqueur de la prochaine élection présidentielle. Et ce qui est sûr il aura désormais du mal à faire sortir les tchadiens dans la rue, contre le même pouvoir militaire.

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