Les soutiens de Patrice Talon découvrent avec effroi qu’au sein de ces deux partis, ils ne seront jamais rien d’autre que des collaborateurs d’un homme décidé à ne laisser aucune ambition s’exprimer, malgré son inéligibilité.
“Je serai très impliqué dans le choix de mon successeur. Quant au débat (sur ma succession), il ne se fera qu’au plus tôt six mois avant l’élection présidentielle.” Cette annonce sous forme de mise en garde, le président Patrice Talon l’a faite en décembre 2023 dans un entretien accordé à la télévision publique béninoise, alors que les appétits pour sa succession étaient les plus grandes dans son propre camp. Mais Patrice n’est pas du genre à plaisanter quand il s’agit de son pouvoir. Sa gouvernance politique a été si oppressante que la perspective d’une vie après le pouvoir l’effraie littérallement. Il ne veut prendre aucun risque, pas plus avec ses soutiens qu’avec l’opposition. De fait, tous ceux qui ont pu exprimer d’une façon relativement soutenue une quelconque ambition présidentielle ou exprimé une quelconque opposition à un prolongement de ses mandats ont eu de graves ennuis. Sébastien Germain Ajavon, Lionel Zinsou, Frédéric Joël Aïvo, et Réckya Madougou ont tous écopé d’une lourde condamnation et sont en prison ou en exil.
L’impossible débat de la succession
En la matière, les soutiens du chef de l’État n’ont pas eu plus de privilège. Pas même Johannes Dagnon, son propre cousin et conseiller le plus proche. Il a été débarqué sans ménagement de la tête du Bureau d’Analyse et d’Investigation, le fameux BAI, quand ce dernier fit part de son désaccord sur l’opacité du processus de désignation du dauphin. Quelques mois auparavant, c’est Oswald Homéky qui était forcé de démissionner du ministère des sports peu de temps après avoir défendu le droit au débat sur la succession de Patrice Talon. Le 24 septembre, il est arrêté au même moment qu’Olivier Boko, le tout puissant bras droit de Patrice Talon. Ils sont tous les deux accusés de tentative de coup d’État et attendent d’être jugés.
Collaborateurs plutôt qu’alliés
Le limogeage du ministre Samou Séidou Adambi le 6 janvier dernier n’est que le dernier épisode de ce mélodrame qu’est devenue la succession du président béninois. La veille de son limogeage, le désormais ex-ministre de l’énergie avait d’abord été suspendu de toutes les instances du parti Bloc Républicain auxquelles il participe depuis sa création. Tout comme Oswald Homéky avant lui, Samou Séidou Adambi paie ses envies de passer un cap et de voler de ses propres ailes. Mais cette ambition est interprétée au sommet du régime comme un acte de rébellion. Romaric Ogouwalé, le porte-parole du Bloc Républicain, explique :“On vient en politique parce qu’on a des ambitions. Donc déclarer une candidature ne devrait pas être un problème. Mais il faut que cette activité se mène dans les cadres formels du parti, à travers les structures. Ce qui n’est pas le cas. Le parti ne pouvait pas continuer de tolérer ces genres d’agissements”. Le ton est sévère, le message clair. Mais une question demeure : en quoi est-ce que les préparatifs de la candidature d’un militant empêcheraient-ils le parti de conduire à bout son propre processus de désignation de son candidat ?
Tout comme l’Union Progressiste le Renouveau (UPR) dans le cas Homéky, les responsables du Bloc Républicain(BR) évoquent la réforme du système partisan pour justifier les sanctions contre l’ancien ministre. C’est officiellement pour les mêmes raisons que les candidats Joël Aïvo et Réckya Madougou ont été privés de parrainage pour l’élection présidentielle de 2021. Sur les plateaux de RFI et France 24, le président Talon en personne reprochait à ces deux personnes de vouloir se porter candidats alors qu’ils n’étaient membres d’aucun parti. Pourtant, on peut reprocher beaucoup de choses aux réformes politiques, aucune d’entre elles n’impose à un candidat à l’élection présidentielle d’être membre d’un parti politique.
La fébrilité du régime face aux ambitions qui s’expriment même au sein de ces deux partis est donc une preuve supplémentaire qu’ils n’ont jamais été créés pour la formation et l’éclosion des talents, mais uniquement pour servir les besoins de pouvoir du président Talon. De fait, le président Talon n’a besoin que des deux présidents des partis qu’il a créés. Tout le système de parrainage, par exemple, a été concentré entre leurs mains alors que les membres des partis ne serviraient qu’à faire du remplissage. Les partis, c’est Patrice Talon et leur candidat pour la prochaine élection présidentielle, c’est lui et lui seul qui le choisira. Les soutiens de Patrice Talon découvrent avec effroi qu’au sein de ces deux partis, ils ne seront jamais rien d’autre que des collaborateurs d’un homme décidé à ne laisser aucune ambition s’exprimer, malgré le fait que lui-même ne puisse plus se présenter à une élection présidentielle au Bénin.