L’éventualité d’un engagement opératif de l’armée sud-africaine aux côtés des troupes congolaises a permis de savoir que le M23 avait également le soutien du prédécesseur de l’actuel Président congolais.
Les ombres se dissipent progressivement sur la puissance de la rébellion militaire qui sévit depuis des années dans l’Est de la République Démocratique du Congo. La capacité du M23, puisque c’est de ce mouvement qu’il s’agit, a progressé sur le terrain, laissant un grand étonnement chez les Congolais eux-mêmes et la communauté internationale.
Depuis quelques jours, avec le surgissement de l’ancien Président de la République, Joseph Kabila, au-devant de la scène politique, l’on se rend compte du soutien de l’ancien homme fort congolais. Ce dernier était censé consacrer son temps à sa thèse sur les relations entre la Chine et son pays, la République Démocratique du Congo (RDC), un projet académique amorcé en Afrique du Sud où il a validé, en janvier, la première phase de son travail de recherche. « Il a présenté la bibliographie, la méthodologie, les grandes lignes et le jury lui a donné son feu vert pour entamer l’écriture », a confié un de ses proches à Radio France Internationale.
Mais après des années de discrétion, Joseph Kabila a refait surface. Dans une tribune publiée dans un média sud-africain, il a critiqué la gestion de son successeur Félix Tshisekedi et a mis en garde contre l’illusion d’une solution militaire, face à l’interminable crise qui déchire l’Est du pays.
Un retour en force à dessein ou simple surgissement patriotique ?
D’abord, la disparition de l’homme était sujet d’étonnement. Joseph Kabila, après avoir remis le pouvoir, avait choisi une rupture avec la chose publique et politique, même au sein de son parti. L’attaque de son domicile qui a failli embraser la paix à Kinshasa, n’a même pas suscité de sa part une quelconque réaction publique. Ce qui fait dire à ses proches que son retour médiatique n’est que le début d’une stratégie plus large. Mais que mettent-ils dans ”le début d’une stratégie plus large”? Comme on peut le deviner, l’ancien Chef d’État (2001-2019) entend reprendre sa place dans le jeu politique et relancer les activités de son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (Pprd).
La nostalgie d’un retour d’un réseau politique
L’opinion publique africaine internationale en général et celle congolaise en particulier, a toujours en mémoire la guerre du géniteur du prédécesseur de Félix Tshisekedi. Laquelle guerre a mis une fin au règne du despote Mobutu Sesse Seko. Le peuple congolais s’achemine-t-il vers un bis repetita ? En tout cas, tout porte à le croire. En effet, parallèlement à l’avancée spectaculaire du Mouvement M23 sur le terrain, l’ex-Président Joseph Kabila a débuté, depuis plusieurs mois, la réactivation de ses réseaux. Et Dieu sait qu’il en a. En janvier, selon une source bien informée, il a réuni, à Nairobi, au Kenya, plusieurs figures-clés de son régime : Aubin Minaku, ex-président de l’Assemblée nationale, Néhémie Mwilanya, son ancien directeur de cabinet, Emmanuel Ramazani Shadary, ex-candidat à la présidentielle de 2018, Richard Muyej, ex-gouverneur du Lualaba et Bernabé Kikaya Bin Karubi, son fidèle conseiller diplomatique. À en croire cette source, au terme de cette rencontre, Aubin Minaku a été désigné vice-président de l’ancien parti présidentiel. Il lui a été confié comme mission, d’assurer l’intérim du parti en l’absence de Kabila. La gestion sera, a expliqué cette source, collégiale avec Ramazani Shadary, signe que l’ancien président veut structurer son retour avec un dispositif en place avant de poser officiellement et triomphalement le pied dans son pays natal.
La question qui se pose aujourd’hui, est de savoir, à quel niveau exactement se trouve le travail de ces deux lieutenants, au moment où les rebelles du M23 continuent de marquer des points, localité après localité, menaçant même de marcher sur la capitale.
Des flèches de critiques en guise de préparation psychologique
La guerre en RDC n’est pas seulement avec les armes. Pour apporter de l’eau au moulin de l’opposition, Joseph Kabila, à travers sa sortie médiatique, n’a pas mâché ses mots contre la gouvernance actuelle. Il a accusé Félix Tshisekedi de « tribaliser le pouvoir », de plonger le pays dans une crise économique et institutionnelle et surtout de vouloir modifier la Constitution pour autant s’assurer un contrôle absolu. « Ce que fait Tshisekedi, c’est piétiner le pacte républicain de Sun City, signé par tous les Congolais », a déclaré Kikaya Bin Karubi, l’un des soutiens de l’ancien Président, en référence aux accords de 2002 qui avaient permis de stabiliser la RDC après des années de guerre civile.
« Nous avons signé ce pacte pour dire plus jamais de dictature au Congo. Mais aujourd’hui, le président ne consulte plus personne, il prend ses décisions seul, sans respect de l’équilibre des pouvoirs », a-t-il accusé.
Joseph Kabila décidé, mais prudent
Connaissant la force de frappe de l’armée sud-africaine, le cercle de Joseph Kabila met déjà en garde contre l’option militaire, notamment avec le déploiement des troupes de la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadc). Il doute de la capacité de l’armée sud-africaine à tenir face aux rebelles du M23/AFC, soutenus par Kigali. Référence faite à l’intervention de cette armée aux côtés de Désiré Kabila père. Mais, Joseph Kabila et ses lieutenants ne démordent pas. « Les Sud-Africains ont été humiliés à Goma. Ils ont levé le drapeau blanc, après une attaque des rebelles. Ce sont des soldats bien entraînés, mais ils ne connaissent pas le terrain », a rappelé un général proche de Kabila, actuellement en exil. Selon lui, « faire la guerre dans le Nord-Kivu, c’est un cauchemar stratégique ». « C’est une région montagneuse, volcanique où l’ennemi se déplace à pied. Les blindés et les troupes étrangères ne tiendront pas. Le M23 et leurs alliés rwandais savent exactement où frapper », a-t-il ajouté. Pour avoir été sur le front en 2012 et en 2013, avec les Fardc, il maîtrise à suffisance les différentes forces en présence sur le terrain. En effet, ils avaient réussi à mettre en déroute le M23, grâce à une stratégie coordonnée. Le même mouvement avec qui, visiblement ils s’entendent aujourd’hui pour atteindre leur objectif.
« Nous avions battu le M23. C’était fini. Aujourd’hui, ils sont de retour et ce pouvoir est incapable de défendre le pays », a critiqué Kikaya Bin Karubi.