Alors que les critiques à l’encontre de la réforme phare de sa présidence de font de plus en plus fortes, même dans son propre camp, Patrice Talon persiste et signe : la présidentielle de 2006 se fera exclusivement dans le cadre de cette réforme.
Par Julien Coovi
Le vendredi 6 octobre dernier, soit un mois jour pour jour après les prédictions de votre journal, le ministre Oswald Homéky annonçait sa démission du gouvernement Talon auquel il participait depuis avril 2016. Longtemps considéré comme l’un des plus fidèles soldats de Patrice Talon, le jeune ministre était tombé en disgrâce depuis qu’il avait pris fait et cause pour les ambitions présidentielles d’un autre cacique du régime, Olivier Boko. Dans la foulée, plusieurs médias proches du gouvernement avaient révélé que c’était le chef de l’État en personne qui avait exigé sa démission. Mais c’est de la bouche du porte-parole du gouvernement et d’Orden Alladatin, l’un des députés les plus fidèles de Patrice Talon que l’opinion publique aura confirmation des raisons de cette rupture : les positions du ministre Homéky affaibliraient le nouveau système partisan mis en place par le régime. « C’est aux partis politiques qu’il revient de choisir les candidats aux élections présidentielles », avaient rappelé les fidèles de Talon pour justifier la mise à l’écart du ministre. C’est également le message qu’a voulu réitérer le 23 décembre dernier, le Chef de l’État, probablement irrité par la persistance de l’activisme des ‘’bokophyles’’ de son camp, en dépit des avertissements qu’il croyait leur avoir lancés, à travers la démission de son ministre. Mais pourquoi le Chef de l’État s’accroche-t-il tant à cette réforme si contestée, désormais jusque dans son propre camp ? Et surtout, pourquoi en fait-il une affaire personnelle, alors qu’il est presque au bout de son dernier mandat constitutionnel ?
La réforme phare de Talon
En Septembre 2018, le gouvernement fait adopter à l’assemblée nationale où il est majoritaire, une nouvelle loi qui durcit les conditions de création et d’existence des partis politiques au Bénin. La loi est adoptée dans un relatif consensus avec les élus de l’opposition. Dans la foulée, un nouveau code électoral est adopté qui lui-même, durcit les conditions d’attribution des sièges lors des élections législatives, communales ou locales. La loi instaure en effet un quota de 10% des suffrages exprimés pour prétendre à la répartition des sièges. Elle augmente également le montant de la caution et crée le quitus fiscal, une pièce dont l’attribution dépend exclusivement du gouvernement. Contrairement à la nouvelle charte des partis politiques, le nouveau code électoral est vivement contesté par l’opposition et par une large partie de la société civile. Mais elle passe, grâce à la majorité confortable dont le gouvernement disposait au parlement. Quant à l’élection du président de la république, le système réussit à instaurer un système de parrainage qui consiste pour chaque candidat de recueillir au moins 10% des signatures des députés et des maires, pour faire valider leur candidature. C’est la réforme phare de Patrice Talon.
Le mobile : privatiser la vie politique
Toutes les pièces du dispositif sont désormais en place. Et comme l’avaient craint de nombreux analystes, sa mise en œuvre fut douloureuse, violente, mortifère. Pour la première fois depuis l’entrée du Bénin en démocratie, des élections donnaient lieu à des répressions sanglantes de manifestants frustrés de ne pas pouvoir choisir eux-mêmes leurs représentants. Officiellement la réforme a été instaurée pour ‘’remettre les partis politiques au centre de la vie politique’’. Patrice Talon l’a encore rappelé lors de son interview du 23 décembre. Il semble y tenir plus que tout, plus que tous ses concitoyens, justifiant a posteriori les tueries perpétrées par l’armée béninoise, les vagues d’arrestations et de condamnations d’opposants politiques, ainsi que l’exil forcé de nombreux acteurs politiques. Mais à la vérité, les partis politiques n’ont jamais été autant loin de l’animation de la vie politique, qu’avec cette réforme. Plusieurs observateurs ont analysé qu’en réalité, la réforme n’a été pensée et instaurée que pour faire de Patrice Talon le seul maître à bord, le seul qui donne le tempo, le seul qui, en dernier ressort, décide de qui peut être candidat à une élection et qui ne le peut pas, et ce, aussi longtemps qu’il le voudra. Une analyse confirmée par les déclarations de l’actuel occupant du palais de la Marina le samedi dernier.
En effet, même si rien dans la loi ne l’exige, Patrice Talon n’hésitera pas à affirmer que « ce sont les partis politiques qui doivent présenter les candidats ». Pourtant, malgré la réforme du système partisan, c’est en tant qu’indépendant que lui-même s’est présenté à la dernière élection présidentielle. Or, les velléités qui se déroulent dans son propre camp, hors du champ des parti politiques perturbent sérieusement ce projet. Après dix ans d’une gouvernance conflictuelle et d’une gestion économique dénoncée comme opaque, le président béninois aurait tout à perdre dans une succession dont il ne maîtriserait pas jusqu’au dernier détail.
Comme l’a illustré dernièrement un autre de ses anciens ministres, Candide Azannaï, il est comme Alibaba, pris au piège dans la caverne des 40 voleurs. À défaut d’y rester, il tient à rester maître de ce qui se passera une fois qu’il en sortira avec ses butins. « Je ne pense pas que le débat sur les présidentielles se feront avant les six (6) mois qui précèderont la date du scrutin », prescrit-il à ses partisans, mais peut-être aussi à toute la classe politique. Et il les prévient : « je ne serai pas inactif dans le choix du futur président ».
Mais Patrice Talon aura-t-il vraiment les moyens de sa politique ?