20 septembre 2024

Patrice Talon : la fin du rêve panafricaniste

À Paris en 2022 devant des hommes d’affaires du Medef, le président béninois revendiquait ses liens génétiques avec un ancien gestionnaire français d’un comptoir de négoce d’esclaves au Bénin, connu aujourd’hui sous le nom de fort français de Ouidah.

En moins d’un mois, le Président béninois Patrice Talon a ruiné toute la carapace de panafricaniste qu’il a essayé de donner à son régime. Le 15 novembre 2023 à Paris il affichait son admiration pour la colonisation qui aurait été bénéfique pour son pays le Bénin et pour l’Afrique lors d’une cérémonie au Conseil Économique Social et Environnemental de France. Il remet la provocation moins d’un mois plus tard du 13 au 17 décembre 2023 par une visite controversée au siège de la fondation Clément en Martinique malgré les dénonciations des afro descendants du monde entier.

Patrice Talon est-il un panafricain ou un simple commerçant ?

La question se pose de plus en plus avec les nombreuses sorties de route que le président Béninois a opérées depuis quelques mois. Du bellicisme dans le dossier nigérien au pied de nez fait à la dignité des descendants d’esclaves antillais en passant par ses déclarations d’amour enflammées pour la colonisation et pour le rôle de la France en Afrique, sans oublier les actes d’intimidation à l’endroit des militants souverainistes béninois, Patrice Talon ne s’est interdit aucune transgression contre l’image de souverainiste qu’il a construite depuis son arrivée au pouvoir. Il a fallu 8 ans de pouvoir pour que le masque du défenseur des valeurs africaines affichées au début de mandat en 2016 s’écroule comme un château de cartes. En cette année toute l’Afrique noire et sa diaspora était tombée en admiration du tombeur de Lionel Zinsou lors de la présidentielle au Bénin. L’ancien premier ministre du président Yayi Boni avec un large soutien de la classe politique béninoise inféodée à la France avait mordu la poussière au second tour face à son challenger. Patrice Talon par sa couleur de peau noir-ébène et les attaques ouvertes de ses équipes contre le « Yovo » (blanc, en langue fongbé) Lionel Zinsou, avait fait une bouchée de son rival métis né en France d’un père noir et d’une française blanche. Beaucoup avaient vu dans le nouveau président béninois fraîchement élu le bouclier contre la françafrique à partir de Cotonou. Surfant donc sur sa côte très élevée sur le continent, il décida de faire annuler le visa d’entrée sur le territoire béninois à tous les africains d’où qu’ils viennent. Le Bénin devenant ainsi un territoire libre d’accès à tous les citoyens de l’Afrique quelle que soit la nationalité. Le rêve des Modibo Kéita, Kwame Nkrumah et autre Hailé Sélassié se concrétisait à partir de Cotonou.

L’initiative avait suscité des intérêts de plusieurs gouvernements du continent noir qui ont dépêché leurs spécialistes dans la capitale économique béninoise afin de s’enquérir de la pertinence de cette mesure lorsqu’on sait que depuis 1960 la plupart des initiatives d’intégration ont échoué. Mais en réalité, personne à Cotonou ne pouvait donner des explications cohérentes sur une option aussi populiste que mercantile. La décision a été prise sans aucune concertation entre les diplomates nationaux eux-mêmes à plus forte raison avec ceux de la sous-région. En clair, la surpression de visa est sortie des calculs personnels d’un président commerçant soucieux de maximiser ses propres produits.

En fait, ce que les Africains perçoivent moins hors du Bénin c’est le parcours personnel de l’homme d’affaires devenu président de la République

Toutes ses activités reposent en effet sur les marchés de l’État. À cet effet, il est réputé être un redoutable manœuvrier qui a réussi à soudoyer toutes les pontes de l’administration publique depuis des générations. De l’administration de la douane jusqu’aux petits commis en passant par les impôts, les finances, la police, la justice, l’armée. La gendarmerie qui parvenait à lui tenir tête a été purement et simplement dissoute à sa prise du pouvoir.

Dans ses rares moments de lucidité et de sincérité il n’hésite pas à reconnaître publiquement sa part active dans la corruption des partis politiques, des institutions, des députés, de la société civile. Dans un de ses élans de grand orateur il a fini par lâcher en visite à Paris en 2017, en face de son homologue français Hollande à l’époque une confession sur sa responsabilité dans la corruption et l’impunité des régimes successifs au Bénin depuis le retour au pouvoir du général Mathieu Kérékou en 1996. C’était le vrai visage du régime Talon qui commençait à s’afficher.

Ainsi donc, la suppression des visas aux ressortissants d’Afrique était une sorte d’anticipation sur une politique de privatisation de l’administration qui est une doctrine propre au nouvel homme fort du Bénin. Pour mieux comprendre cette politique il suffit de se référer à son passé où il gagnait la plupart des gros marchés publics par un système de réseautage bien huilé. En ce moment il fallait débaucher les fonctionnaires et les élus. Une fois arrivé au pouvoir, il a compris qu’il pouvait faire beaucoup de profit en mettant tout sous sa botte au lieu d’aller négocier au cas par cas des pots-de-vin très onéreux. Il fallait mettre en place ses propres structures en parallèle à l’administration publique. C’est ainsi que la diplomatie a bascule entre les mains de la famille proche, des amis et des obligés. Cette opération ne pouvait pas réussir si les diplomates professionnels étaient en place. Il fallait les rappeler tous à Cotonou et installer des sortes de comptoirs privés dédiés à la prospérité du faux panafricain. C’est pourquoi la disparition du visa n’est accompagnée d’aucune politique attractive. Les gens ont donc le visa pour le Bénin mais ne savent même pas quoi en faire. Les hommes d’affaires africains à commencer par ceux du Nigeria qui essayaient sur le sol béninois avant l’avènement du régime dit de la rupture ont tous déchanté (Dangote, Tony Olumelu).

Talon va ajouter quelques coups d’éclat pour parfaire son image de panafricaniste à l’intention de l’opinion internationale surtout. Ainsi subitement sont sortis de terre à Cotonou principalement son propre palais futuriste entouré de places publiques à la gloire de célèbres résistants dont les noms figurent dans les pages d’histoire consacrées à la lutte contre la domination française. Les statues de Béhanzin et des Amazones ainsi qu’une gigantesque fresque murale ont été pompeusement érigées à moins de 2 km d’intervalle. Au milieu de tout cela trône le palais de la Marina au sommet du grand luxe. On peut donner dans cet espace des splendides soirées de gala, des concerts gratuits de stars planétaires et d’autres mondanités sulfureuses. La dolce Vita de la dynastie Talon et alliés.

Étant au contrôle de tout dans un Bénin meurtri par une violence militaro-policière sans précédent, le régime n’avait rien à craindre sur sa longévité de 10 ans sans interruption, protégé par la constitution qui a prévu un mandat de 5 ans renouvelable une fois. C’est donc à l’approche de la fin du 2ème mandat que les choses se gâtent. En milieu francophone d’Afrique, il est impossible d’envisager un tripatouillage de constitution afin de s’offrir la voie royale pour un 3ème mandat sans passer par l’onction de Paris et de son Président. Patrice Talon en est conscient. Surtout que sous la pression de la communauté internationale le régime de Cotonou a dû laisser quelques places à l’opposition dans le parlement dès janvier 2023, contrairement à ce qui s’est passé entre 2019 et 2023 où le parlement était entièrement aux couleurs du régime.

Mais alors Talon sait qu’il doit être francophile sans aucune fioriture dans un contexte sous régional très défavorable. Dans un premier temps il va recommencer par assister aux sommets des chefs d’État et intégrer le cercle des françafricains les plus avérés : Alassane Dramane Ouattara, Macky Sall, Mohamed Bazoum. Or ces derniers sont en proie à des conjonctures très préoccupantes. Le coup d’État du 26 juillet 2023 à Niamey va faire comprendre à Talon qu’il doit prendre lui-même son destin en main.

Toute occasion est bonne pour aller déclamer soi-même sa flamme pour l’Elysée et son occupant. Une cérémonie d’ouverture de session du Conseil Économique Social et Environnemental français est propice le 15 novembre 2023. En route pour un sommet en Allemagne, Patrice Talon s’est précipité donc à l’événement de Paris en dévoilant sa passion immense pour la colonisation. Selon lui le passé reste le passé et ne doit pas interférer sur le présent. Lui qui a fait revenir au pays des dizaines d’objets d’art ancien du royaume de Danxomè prétend à présent que le passé doit rester au passé. C’est donc de la bouche de leur président de la République que plusieurs béninois apprennent que la colonisation aurait apporté beaucoup de bienfaits aux deux peuples béninois et français.

Il remet ça en décembre par une visite de provocation de la diaspora de Martinique un peu trop grognarde.

La coupe est pleine

Les scènes de rejet vis-à-vis du Bénin par des responsables antillais vont rester gravées dans les mémoires. Mais Patrice Talon n’en a cure. Il veut réviser la constitution et rester au-delà des deux mandats en cours d’acheminement. Ce ne sont pas les jérémiades de quelques descendants d’esclaves caribéens qui l’empêcheront de faire sa danse du ventre au parrain de Paris.

On voit donc tout l’édifice du panafricaniste de pacotille s’effondrer tout seul. Lorsqu’on scrute d’ailleurs très bien le saupoudrage du début du mandat, on constate aisément que les actions d’éclat en question n’étaient pas pertinentes. Les statues et les places aménagées de Cotonou en l’honneur de héros anti-français manquent cruellement d’originalité. La statue de l’amazone a sa place en terre d’Abomey où les amazones ont fait montre de leur bravoure. La statue de Bio Guerra en face de l’aéroport quant à lui est une grotesque falsification de l’histoire puisque l’image ne reflète en rien une épopée qu’on peut attribuer à une légende locale. C’est vrai qu’il s’agit d’un cavalier comme le fut le héros bariba. Mais la monture du cheval et l’accoutrement du cavalier viennent tout droit des bandes dessinées de western dans le désert de Californie aux USA. Bio Guerra serait mieux en terre batombu dans le nord du Bénin.

Autre illustration de la grande méconnaissance du régime Talon pour la renaissance africaine et la défense de l’identité noire face à l’envahisseur, c’est le sort réservé au statut du Général Toussaint Louverture considéré comme le fondateur de l’État d’Haïti. Ce fils d’esclave originaire de la ville d’Allada à une cinquantaine de km de Cotonou incarne à lui tout seul la lutte pour l’abolition de l’esclavage. Un monument y a été érigé à son nom depuis plusieurs décennies. L’ancien chef de l’État Haïtien, René Plével en a fait un sanctuaire qui sert pratiquement de lieu de pèlerinage pour des milliers d’afro-descendants chaque année. Ce lieu chargé de symbole et devenu très emblématique dans le tourisme au Bénin est fermé depuis plus de 6 ans pour rénovation. Les travaux devraient durer à peine 4 mois. Depuis 2018 les 4 mois ne sont jamais parvenus à leur terme et le lieu est demeuré inaccessible au public.

Pendant que le lieu qui sert de lien ombilical entre les Antilles et la terre nourricière africaine est dans l’abandon, Patrice Talon va honorer un sanctuaire de l’asservissement de torture des noirs en Martinique. La presse étrangère n’a pas mis longtemps à dévoiler des raisons purement mercantiles autour de ce voyage de la provocation et de l’indécence. En visite à Paris en 2022 alors qu’il devait délivrer un discours face à des investisseurs français du Medef, Talon revendiquait ses origines françaises. Il n’est rien d’autres que le descendant du premier Talon de sa lignée qui n’était rien d’autres que le gestionnaire d’un comptoir de négoce d’esclaves connu aujourd’hui sous le nom de fort français de Ouidah. Au fil des générations et des métissages les Talon du Bénin sont devenus des noirs mais ils demeurent français et blancs d’origine française. Une famille d’esclavagistes en somme.

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