Élections présidentielles 2026 : Patrice Talon face à la malédiction du dauphin

Élections présidentielles 2026 - Patrice Talon face à la malédiction du dauphin

Tout porte à croire que s’il ne se lance pas dans l’aventure risquée d’un troisième mandat, le plan du président Talon est de tenter d’imposer un dauphin. Pourtant, l’histoire politique contemporaine du continent enseigne que contrairement aux opposants parvenus au pouvoir par le jeu de la démocratie, les dauphins se sont toujours retournés contre leurs mentors.

L’atmosphère est chargée d’électricité dans les rangs des soutiens du président béninois, depuis que ses héritiers naturels ont été tour à tour neutralisés dans un cynisme inédit. Personne dans ces partis ne sait ce que fera le président Talon. Il entretient un mystère religieux sur ses intentions. Dans l’opposition, beaucoup le soupçonnent de caresser secrètement le rêve de s’engager dans la très risquée aventure du troisième mandat. Les dernières sorties coordonnées des collaborateurs du chef de l’État, partisans d’un troisième mandat, fournissent de quoi alimenter cette crainte. Il faut croire qu’il en a de solides raisons, vu la façon cavalière dont il a gouverné au cours des neuf dernières années. Patrice Talon se serait convaincu que sans le bouclier du pouvoir, l’impressionnant patrimoine que son clan et lui se sont constitué serait menacé, tandis que lui-même pourrait personnellement devenir la cible d’une vengeance politique telle qu’il l’a menée contre ses adversaires.

Même s’il déclare publiquement qu’il “n’a besoin de personne pour assurer ses arrières”, le chef de l’État béninois est néanmoins obnubilé par ce qui se passera immédiatement après lui. Légalement, il ne peut plus briguer un autre mandat – la constitution l’en empêche rigoureusement – et à plusieurs reprises ces derniers jours, son porte-parole a assuré à qui veut l’entendre que Patrice Talon passera service à un autre président dans un an. Mais le patron du régime de la Rupture ne veut pas laisser n’importe qui s’installer dans ce qu’il considère apparemment comme “son” fauteuil. C’est pourquoi il sera “très actif dans le choix de son successeur”, comme il en a prévenu tout le monde le 23 décembre 2023 lors du fameux entretien sur la télévision nationale. L’entretien au cours duquel il avait scellé le sort d’Olivier Boko, celui qu’il qualifiait en 2016 de sa “conscience”.

Un dauphin, c’est risqué

L’idée serait de se choisir un dauphin. Une personne qui lui doit tout et qui serait suffisamment loyal pour ne pas essayer de s’autonomiser une fois installée à la présidence. Un autre lui-même. Comme tous ses homologues qui se sont choisi un dauphin, le président béninois rêve de partir sans vraiment partir. Il voudrait pouvoir continuer de tirer les ficelles du pouvoir après son départ. C’est pourquoi il met, depuis au moins deux ans, toute son énergie dans la maîtrise totale du processus électoral. Les manœuvres opérées à l’assemblée nationale en mars 2024 n’étaient destinées qu’à ce seul objectif. Les purges au sein de la mouvance présidentielle aussi. Pourtant, un dauphin, c’est dangereux !

Il n’existe en effet, depuis le retour à la démocratie sur le continent, aucun exemple d’une succession “maîtrisée” qui se soit bien terminée pour le président sortant. Au contraire ! Chaque fois qu’un président en fin de cycle utilise les institutions de l’État pour imposer un successeur identifié comme étant celui à même de préserver les acquis de sa présidence et les intérêts de son clan, il a fini par le payer au prix fort. L’avantage apparent de cette option est certes colossal. Elle permet de pérenniser le système et ses acquis. Les proches du pouvoir se redéploient dans l’appareil de l’État, dans un jeu de chaises musicales où tous les caciques du pouvoir sont recasés. Mais la fin est presque toujours dramatique pour le président sortant. Désormais sans pouvoir et sans autorité, ses anciens collaborateurs ne s’empressent plus de décrocher ses appels, et lui obéissent de moins en moins, trop occupés à servir le nouveau patron. Quant à ce dernier, si reconnaissant soit-il pour son mentor, il a souvent besoin d’asseoir rapidement son autorité et montrer à ses anciens camarades qui est désormais le chef. Très souvent, le moyen le plus rapide et le plus spectaculaire d’y parvenir, c’est de “décapiter le père”.

Des dauphins pas très loyaux

L’exemple le plus récent est celui de la Mauritanie. Malgré les réticences au sein de son propre parti, le président Mohamed Ould Abdelaziz impose le général Ould Ghazouani, son plus fidèle compagnon et qui était alors son ministre de la défense. Les deux compagnons ont fait deux coups d’État ensemble, avant d’aller conquérir le pouvoir par les urnes. « Après avoir vainement tenté de tripatouiller la Constitution pour aller chercher un troisième mandat, il a compris que ce n’était plus possible. Il fallait donc trouver quelqu’un qui lui est très favorable ». C’est en ces termes que l’analyste politique mauritanien Abderahmane Wone réagissait, le 31 janvier 2019, au micro de BBC Afrique, aux manœuvres du Président Mohamed Ould Abdelaziz. Mais à peine installé, Ould Ghazouani se retourne contre son « ami » qui se retrouve avec une douzaine de ses proches devant la justice. L’ancien homme fort de Nouakchott prend 5 ans de prison ferme pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Il y a quelques jours, en appel, l’accusation a requis 20 ans.

La même chose s’est passée en Angola. Le président José Edouardo dos Santos et sa famille se sont tous retrouvés en exil très rapidement après l’installation à la présidence de la République de son bras droit Joao Laurenço. Deux mois après son entrée en fonction, le nouveau Président a limogé de la présidence de la compagnie pétrolière nationale, la Sonangol, Isabel dos Santos, la fille ainée de son prédécesseur, pendant que son époux, Sindika Dokolo, perdait ses intérêts dans le très lucratif secteur du diamant. Puis, ce fut le tour de José Filomeno dos Santos, fils d’Edouardo dos Santos, d’être débarqué de la tête du fonds souverain angolais. Le président José Edouardo dos Santos lui-même meurt à Barcelone de déception et de colère, laissant seuls ses enfants, sans pouvoir et sans soutien, face à celui qu’il avait choisi pour les protéger.

Et puis, il y a la guerre Ahidjo-Biya au Cameroun, le plus emblématique cauchemar des présidents sortants face à leurs dauphins. Épuisé par 22 années passées à la tête du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, premier Président du Cameroun indépendant, décide de quitter ses fonctions officiellement pour des raisons de santé en novembre 1982. Devant le dilemme qui est actuellement celui de Patrice Talon, Ahidjo décide de transmettre le pouvoir à son premier ministre, Paul Biya, tout en conservant le contrôle du parti présidentiel. Le Président Ahidjo avait pris plusieurs années pour préparer Paul Biya à la fonction. Reconnu pour ses valeurs chrétiennes, ce dernier avait occupé plusieurs postes importants dans l’administration Ahidjo avant de devenir son Premier ministre en 1975.

Seulement, pour Paul Biya, il n’y a pas d’arrangement qui tienne. Il avait son plan : il ne veut être le pantin de personne, il veut gouverner seul le Cameroun. Ainsi, à peine entré en fonction, Paul Biya s’émancipe rapidement de la tutelle de son prédécesseur. En septembre 1983, pendant un congé en France, le Président Ahidjo est forcé de quitter la direction de l’Union Nationale Camerounaise, le parti au pouvoir. Dans la foulée, Paul Biya limoge son Premier ministre et plusieurs membres de son cabinet jugés trop proches d’Ahidjo. La rivalité entre les deux hommes s’accentue en février 1984 où, réfugié en France, Ahmadou Ahidjo est accusé de complot contre la sûreté de l’État et condamné à mort par contumace. Il ne remettra plus jamais pied dans son pays. Des années durant, Ahmadou Ahidjo mène une vie de réfugié politique entre la France et le Sénégal, où il mourra le 30 novembre 1989, dans la solitude. Sa dépouille n’est toujours pas autorisée à être retournée au Cameroun.

Il existe néanmoins des cas moins dramatiques que ceux soulignés plus haut, mais presque aussi cahoteux. Comme à Madagascar où Andy Rajoel a bien failli se faire avoir par son ancien ministre des finances Hery Rajoa à qui il a passé le pouvoir au terme d’un accord politique qui le rendait temporairement inéligible. Rajoel réussit à reprendre son fauteuil à la présidence, mais uniquement au bout de cinq (5) années d’une violente guerre fratricide.

On peut évoquer aussi le cas du Niger qui a finalement débouché sur un coup d’État en juillet 2023. C’est en effet Mahamadou Issoufou qui a imposé son vieil ami Mouhamed Bazoum après ses deux mandats. Il l’a fait en décapitant l’opposition, mais s’est rendu compte très vite que son dauphin ne sera jamais la petite marionnette qu’il avait imaginée, et qu’il était déterminé à exercer la plénitude de ses pouvoirs. Plusieurs sources indiquent que quelques heures avant le coup d’État qui l’a renversé, monsieur Bazoum avait eu une violente dispute avec son prédécesseur au sujet de la carrière du fils de ce dernier, le sulfureux Sanni Mahamadou Issoufou que le père voudrait placer à la primature.

L’alternance, une assurance tout risque ?

Depuis, le président Bazoum est séquestré au palais présidentiel et refuse obstinément d’apposer sa signature au bas du document qui lui a été préparé en guise de lettre de démission.

Non seulement les exemples de successions arrangées qui ont mal tourné sont légion, mais nous n’en avons trouvé aucun depuis le renouveau démocratique de 1990 qui se soit bien terminé. Pas un seul cas. On peut donc conclure sans prendre beaucoup de risques, que c’est vers ce gouffre que se dirige inexorablement le président Talon. C’est pour cela qu’il est étonnant que personne, dans son entourage, ne le prévient contre le risque de se faire broyer par un éventuel dauphin.

Si, à de très rares occasions, les régimes défunts ont eu quelques ennuis comme actuellement au Sénégal, le constat est que presque toujours, les nouveaux régimes installés au terme d’une lutte démocratique loyale et d’un processus électoral transparent, ont toujours manifesté beaucoup de respect pour leurs prédécesseurs, et ce, quel que soit le degré d’adversité qui a pu les opposer.

Bénin : Soglo – Kérékou

Ce fut le cas par exemple au Bénin. En 1991, au bout d’une année de transition voulue par la conférence des forces vives de la nation, le général Mathieu Kérékou est battu au second tour de l’élection présidentielle (la première de l’ère du renouveau démocratique) par Nicéphore Dieudonné Soglo, son premier ministre de transition. Nicéphore Soglo n’avait pas beaucoup d’estime pour l’ancien homme fort du Bénin à qui il reproche « sa gestion calamiteuse » entre 1972 et 1989. Et même s’il ne manquait aucune occasion de décocher quelques piques en direction de son prédécesseur, Nicéphore Soglo n’était jamais allé plus loin avec lui ou avec les dignitaires du régime militaro-marxiste. Une courtoisie que Mathieu Kérékou a su lui rendre quand il est revenu au pouvoir en 1996. Non seulement Nicéphore Soglo a pu poursuivre ses activités politiques en toute tranquillité, mais la plupart de ses collaborateurs qui le désiraient ont pu continuer d’animer la vie politique de leur pays, tandis que les hommes d’affaires proches de son régime, dont un certain Patrice Talon, ont pu continuer de faire leurs affaires sans être inquiétés de quoi que ce soit. Cette tradition d’élégance démocratique a été relativement bien respectée jusqu’à présent, malgré quelques tensions qui ont pu être observées en 2019.

Sénégal : d’Abdou Diouf à Macky Sall

Au Sénégal, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade n’étaient pas les meilleurs amis du monde. Pendant plus de 20 ans, les deux hommes se sont livré un combat sans merci avant que le second ne s’empare du pouvoir en 2000 après avoir infligé à son « ennemi intime », une défaite électorale mémorable. Et alors que tout le monde pensait que cette victoire sonnerait le tocsin des règlements de comptes, Abdoulaye Wade propose et porte à bout de bras la candidature de son prédécesseur au secrétariat général de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Le soutien de son pays ne lui fit jamais défaut lors des renouvellements de son mandat. À presque 90 ans (le 7 septembre 2025) Abdou Diouf coule une retraite paisible. Cette tranquillité, Abdoulaye Wade aussi en a bénéficié de la part de son successeur qui avait pourtant toutes les raisons de faire de sa retraite présidentielle un véritable enfer.

Ghana et Nigéria : une longue tradition d’alternance apaisée

Ces deux pays anglophones sont des exemples absolus d’élégance républicaine. Les alternances au pouvoir y sont des traditions solidement ancrées pendant que les anciens présidents y vivent en paix.

Le drame du dirigeant africain, c’est qu’il ne tire jamais de leçons des erreurs du passé. Comme une malédiction, le pouvoir excessif le conduit toujours à tomber là où d’autres avant lui avaient trébuché. À un an de la fin de son second mandat, le président Patrice Talon arrive aujourd’hui à un carrefour décisif. Il est amené à choisir entre le danger de l’aventure d’un 3e mandat, le risque d’exposition à la trahison d’un éventuel dauphin, et le courage de laisser se jouer le jeu de l’alternance. Il est illusoire de croire qu’un dauphin, ça obéit et ça se tait. Le président Talon dont la plupart des soutiens vantent l’intelligence politique hors du commun, se dirige pourtant inexorablement vers le même point de chute que tous ses aînés qui ont eu la mauvaise idée de se lancer à corps perdu dans l’aventure d’une succession arrangée.

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