L’opération a lieu dans la capitale économique ivoirienne où l’Etat reconquiert des domaines publics. Plusieurs quartiers populaires sont en train d’être rasés par des bulldozers depuis la semaine écoulée. Les populations sont dans l’émoi, la situation ayant fait des milliers de familles sans abris.
Coffi Eganhoui
Yopougon Gesco, Boribana et Attécoubé sont quelques quartiers populaires d’Abidjan réduits en ruines. L’opération de déguerpissement annoncée par les autorités début janvier a pris corps et fait disparaitre aussitôt l’euphorie laissée dans les cœurs par la CAN. Le quartier Boribana qui existait depuis 60 années environ a complètement disparu. En lieu et place des habitations, les autorités ivoiriennes veulent ériger des hôtels de luxe, un parc aquatique, des centres commerciaux et un port de plaisance. Pas moins de 30 000 personnes qui vivaient dans ce quartier sont sans abris et ne savent plus à quel saint se vouer. La plupart de ces gens passent la nuit à la belle étoile, sur le boulevard de la Paix. Les plus chanceux se font héberger par des amis. « On a des enfants et on ne sait pas où aller… Ce n’est pas bon pour le pays… », a déploré une mère de famille sur Rfi.
A Yopougon Gesco, le déguerpissement a commencé depuis le mardi 20 février. Venus au cours le matin, les élèves du quartier ont découvert des amas de gravats en lieu et place de leur écoles. Dans la même journée, les maisons et les commerces sont démolis, et les 2500 habitants chassés du site. « On n’a reçu aucune information, aucune lettre pour nous avertir, rien ! Après avoir organisé la plus belle CAN, on vient casser nos maisons », ont dénoncé deux jeunes du désormais ex quartier de Yopougon Gesco dans une publication du quotidien français Le Monde. Pour se justifier Klotioloma Yeo, le vice-gouverneur de la région d’Abidjan, explique que l’opération vise à « dissuader les populations d’occuper des zones vulnérables aux effondrements et aux inondations, surtout à l’approche de la saison des pluies ». Il identifie 77 zones de la capitale économiques qui seront libérées de l’occupation humaine pour des raisons sécuritaires.
Sur le plan politique, cette opération divise. Le maire de Yopougon, Adama Bictogo, et le gouverneur du district d’Abidjan, Ibrahim Bacongo Cissé, ne s’entendent pas. Bien qu’étant tous deux membres du parti au pouvoir, le RHDP, ils n’ont pas le même avis sur l’opération. Pour le maire de Yopougon, les habitants des quartiers concernés devraient toucher une indemnisation conséquente avant que le déguerpissement ne soit effectué. En face, les proches de Ibrahim Bacongo Cissé soutiennent qu’il fallait avoir le courage de déguerpir les gens pour mieux développer Abidjan.
Par ailleurs, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) désapprouve l’opération de déguerpissement en cours et dénonce la violation des droits des victimes. « Au constat, ces populations prises au dépourvu par ces opérations de déguerpissements et de démolition, sont plongées dans une désolation et un désespoir sans précédent. Elles sont livrées à une errance dans les rues avec ce qu’elles ont pu sauver de leurs biens personnels. Des femmes, des enfants, des vieillards et des personnes en situation de handicap sont exposés à des menaces diverses aussi bien sécuritaires que sanitaires », a déploré le CNDH dans un communiqué.
Pour l’heure, aucun plan de relogement des populations touchées par l’opération n’est prévu par les autorités.