Lors d’un entretien accordé au magazine Jeune Afrique, au cours du mois de février 2025, Patrice TALON a laissé entendre qu’il n’entend pas accorder une libération aux prisonniers politiques Reckya MADOUGOU et Joël AIVO, rappelant ainsi, une fois de plus, son obstination à fouler au pied les avis du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire et à pratiquer une politique de deux poids, deux mesures.
Décryptage
Dans cet entretien, le Président béninois a été une nouvelle fois condescendant vis-à-vis des opposants béninois jetés en prison. Il a soutenu qu’il n’est aucunement favorable à une libération de Joël AÏVO et Reckya MADOUGOU qu’il dit ne pas considérer comme des prisonniers politiques. « Ce sont des acteurs politiques condamnés et détenus, ce qui est différent. », a-t-il martelé, rappelant au passage que même si son successeur décide de leur accorder une grâce, « ce n’est pas une bonne chose ». « Ce serait injuste », a-t-il affirmé.
Il ressort donc de ces affirmations que ces deux personnalités et figures emblématiques de l’opposition ne seront libérés avant le départ de Patrice TALON. Or, dans deux différents Avis, les experts du Groupe de travail de l’ONU, après analyse des circonstances d’arrestation et de détention de Reckya MADOUGOU puis de Joël AÏVO condamnés respectivement à 20 et 10 ans de réclusion criminelle, ont déclaré arbitraire leur détention et ordonné leur libération et leur indemnisation conformément aux lois en vigueur. Soulignons au surplus que le gouvernement a participé à la procédure contradictoire conduite par les experts de l’ONU en ce qui concerne Reckya Madougou et leur a fourni le dossier ayant servi à l’arrestation et la condamnation de l’opposante. Ce à quoi le GTDA de l’ONU après étude indique entre autres que “de simples affirmations du gouvernement ne suffisent pas. Le gouvernement n’a fourni aucun procès-verbal de témoignage, d’échanges téléphoniques ou autres documents à l’appui de ses déclarations”. La non indépendance de la CRIET a d’ailleurs été pointée du doigt dans les deux avis.
Mais alors Patrice TALON a-t-il décidé de se jouer éternellement des prescriptions de l’ONU ? Il ne s’en cache pas. Chose bien curieuse toutefois, sachant que le Bénin est membre du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, l’organe dont émane ces deux décisions.
Une obstination dont les justifications ne tiennent pas
Patrice TALON justifie sa décision par le fait que libérer AÏVO et MADOUGOU serait perçu comme une injustice. « Cela reviendrait à confirmer que les péchés commis sous le couvert de la politique sont plus pardonnables que les autres », a-t-il argumenté. Pourtant, arrêtés dans le cadre des évènements de la présidentielle de 2021 eux aussi, l’ancien ministre Alexandre HOUNTONDJI, Joseph TAMEGNON, ancien Directeur Général de la Société de Gestion des Marchés Autonomes du Bénin, Paulin DOSSA ancien Directeur Général de la Loterie Nationale et haut fonctionnaire du palais de la présidence sous Boni Yayi et bien d’autres ont été libérés. On se rappelle que ce fut à la suite d’une rencontre entre Patrice TALON et Boni YAYI. La mise en liberté de ces personnalités de l’opposition remet sérieusement en cause, une fois de plus, la sincérité du Chef de l’État, pense-t-on tout bas dans l’opinion publique.
D’aucuns parlent d’une discrimination à nulle autre pareille qui ne pourrait être justifiée par le désir de rester “juste” évoqué par Patrice TALON. De plus, sachant qu’année après année, Patrice TALON gracie des centaines de détenus de droits communs aux alentours du 1er août, pourquoi certains politiques en seraient-ils sciemment empêchés ? Si des malfrats avérés sont graciés et on refuse la grâce à des opposants, cet argument d’être “juste” pour tous les détenus tombe.
Alors les questions que l’on se pose sont celles-ci. Pourquoi s’obstine-t-il à maintenir en prison Joël AÏVO et Reckya MADOUGOU dont les conditions d’arrestation et de détention ne respectent aucune réglementation en la matière ? N’y a-t-il pas anguille sous roche ? N’est-ce pas un acharnement contre ces concitoyens qui auraient commis l’ultime crime de se porter candidats à une présidentielle au cours de laquelle Patrice TALON a choisi ses propres challengers ? Au regard des détenus de droits communs fréquemment graciés par Patrice Talon, n’est-ce pas là une injustice que de refuser cette même grâce à un autre type de détenus (puisqu’il tient à catégoriser), sous prétexte d’être “juste” ?
Aujourd’hui, la question fait l’actualité sur les réseaux sociaux et le chou gras des mass media. Des prétextes fallacieux tentent difficilement de justifier ce qui s’apparente à une stratégie pour empêcher de sérieux adversaires présents sur le territoire national de s’impliquer d’une manière ou d’une autre dans les prochaines joutes électorales où s’annonce encore l’exclusion avec le nouveau code électoral vicié voté.