Par leurs actions, leurs omissions et parfois même par leur silence, ces dix (10) hommes ont marqué l’actualité béninoise en cette année.
Par Comlan Hugues Sossoukpè et Julien Coovi
Patrice Talon : le maître du jeu
Comme depuis son élection, il a été au cœur de l’actualité béninoise. Patrice Talon n’a pas fait l’actualité simplement du fait de ses fonctions classiques de président de la république sur lesquelles il n’y avait vraiment rien de spécial à se mettre sous la dent. Année charnière de son second mandat, 2024 s’annonçait comme un tournant décisif pour celui qui avait réitéré quelques jours plutôt sur la télévision nationale qu’il ne se représentera plus en 2026, mais qu’il pèserait de tout son poids dans le choix de son successeur. Le défi était d’autant plus grand pour lui que les ambitions dans son propre camp commençaient à s’exprimer avec véhémence. Par ses manœuvres à l’assemblée nationale, Patrice Talon a réussi à se remettre au centre du jeu en faisant corser les conditions de candidature à la présidentielle et les conditions d’éligibilité pour les législatives. Si cette réforme a eu le mérite de ‘’calmer’’ les ambitions aussi bien dans l’opposition que dans son propre camp, le président de la république mettra le dernier clou dans le cercueil en mettant en scène la chute de son ‘’ami’’ Olivier Boko, jusque-là la deuxième personnalité la plus puissante de son régime. Mais s’est-il acheté pour autant la tranquillité qu’il souhaite avoir jusqu’à l’élection de son successeur ?
Frédéric Joël Aïvo : l’indestructible
Il est en prison depuis bientôt quatre ans, mais l’activité autour de lui n’a jamais été aussi intense. Au cours de l’année qui s’achève, le cœur de l’actualité béninoise a battu au rythme des événements autour du Professeur Frédéric Joël Aïvo. D’abord par les activités du mouvement Génération Aïvo, lancé en février 2024 et qui a multiplié des sorties et les prises de position remarquables sur les grands sujets de la nation. Ensuite, l’avis du Groupe de travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire (GTDA) relativement à sa détention. L’avis des experts de l’ONU a en effet fait les choux gras de la presse internationale et nationale et a et été largement commenté dans les réseaux sociaux. Dans la foulée, les universitaires béninois, pas très connus pour leur courage, auraient saisi le président Talon pour réclamer la libération de leur collègue. Enfin, le lancement en fin d’année d’un livre sur son calvaire judiciaire. Intitulé « L’affaire Joël Aïvo : ce que vous devez savoir », le bouquin a suscité un grand engouement dans l’opinion. Une fois encore, et sans avoir jamais pris la parole lui-même, l’opposant s’est révélé comme l’un des hommes les plus médiatiques de l’année, s’implantant un peu plus dans l’écosystème national.
Chabi Yayi : le pacificateur
S’il ne fallait que deux mots pour définir cet homme, ce serait « discrétion » et « efficacité ». Le fils cadet de l’ancien président n’est pas la figure la plus connue du parti Les Démocrates, mais son impact sur la restructuration du parti fondé quatre ans plus tôt par son père est déjà si grand. Chargé lors du congrès de Parakou (octobre 2023), des relations institutionnelles du parti, Chabi Yayi s’est mis très vite au travail, multipliant les contacts avec toutes les composantes de l’opposition, même celles qui auraient des raisons objectives d’en vouloir à ses camarades. S’il n’a pas encore réussi à convaincre toutes les forces de l’opposition à le rejoindre, c’est à sa persévérance et à sa détermination que l’on doit la mise en place du cadre de concertation de l’opposition. Sa virginité politique couplée avec sa bienveillance, font de lui l’une des personnalités les plus respectées du parti.
Olivier Boko : l’ami déchu
Olivier Boko aurait voulu faire l’actualité cette année, pour d’autres raisons. Mais l’ex-bras droit du président de la république est privé de liberté depuis le 24 septembre dernier, dans une sombre affaire de tentative de coup d’état. Il est en prison depuis et attend d’être jugé. Avant son arrestation, Olivier Boko était l’homme le plus puissant et le plus craint du régime de Talon après Talon lui-même. Cependant, ses ambitions non assumées, mais de plus en plus évidentes ont fini de sceller son sort auprès de son ami et partenaire. À partir de ce moment, la question se posait de savoir qui allait tomber le premier. Ce sera Olivier Boko, entrainant avec lui toute la bande de ses soutiens.
Romuald Wadagni : l’homme de confiance
Principal artisan de ce qui est présenté comme la transformation économique du Bénin, Romuald Wadagni poursuit son aventure sans grand bruit aux côtés du président Patrice Talon. Reconnu et souvent primé à l’international, Romuald Wadagni a encore marqué de son empreinte l’actualité économique et financière du Bénin, avec plusieurs opérations financières réussies, mais également avec un taux d’endettement de plus en plus élevé (plus de 52% du pib au 30 juin 2024).
En tant que ministre chargé de la coopération, Romuald Wadagni est de plus en plus présent dans les sommets internationaux où il représente le président de la république. De quoi relancer les rumeurs sur son statut de dauphin du président de la république, d’autant plus avec l’élimination de Johannes Dagnon et Olivier Boko.
Frère Hounvi : un silence intrigant
C’était l’une des tribunes les plus suivies du Bénin depuis cinq (5) ans. Ses chroniques étaient attendues chaque semaine avec beaucoup d’impatience. Et puis tout s’est arrêté fin septembre avec l’enlèvement à Lomé de Steve Amoussou, conférencier que certains disent proche de l’ancien candidat à l’élection présidentielle, Sébastien Germain Ajavon, exilé en France. Pour autant, est-ce lui le Frère Hounvi ? Les avocats du kidnappé assurent que non. Toujours est-il que l’enlèvement et le convoiement de monsieur Steve Amoussou sur Cotonou, a été à la base de la plus grosse crise diplomatique des 35 dernières années entre le Togo et le Bénin. La Justice togolaise exige que lui soit livré Ouanilo Fagla Mèdégan, le directeur général du centre national d’investigations numériques. Peu de temps après cette levée de bouclier du gouvernement togolais, un procès en kidnapping est organisé à Cotonou contre deux des personnes recherchées par le Togo. Elles ont été reconnues coupables d’enlèvement et condamnées à la prison ferme. Néanmoins, Steve Amoussou restera en prison et personne ne verra les traces des condamnés Jimmy Gandaho et Géraud Gbaguidi dans aucune prison du Bénin.
Valentin Djènontin-Agossou, le lutteur
Il a éveillé la conscience de plus d’un, durant cette année qui s’achève. L’ancien garde des sceaux n’a raté aucune occasion pour opiner sur tous les sujets d’intérêt général. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il a joué le rôle de l’opposition, lui qui est en exil en France depuis 2018. D’ailleurs, il lui est arrivé de lancer des pierres dans le jardin des partis politiques d’opposition afin de les réveiller de leur léthargie. La création de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme, le vote et l’adoption d’un nouveau code électoral, la survenue de l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’État qui impliquerait l’homme d’affaires Olivier Boko et l’ex-Ministre Oswald Homéky, les représailles contre les producteurs agricoles, la question des droits de l’Homme, etc. Voilà, pêle-mêle, quelques sujets sur lesquels il a attiré l’attention des Béninois. Ses prises de position à travers ses nombreuses tribunes étaient d’une pertinence remarquable. Son objectif est clair : démontrer son amour pour sa patrie qu’il a eu l’honneur de servir par le passé, en insistant sur les dérives du pouvoir actuel.
Jean-Eudes Mitokpè : la révélation
On connaissait le Jean-Eudes Mitokpè journaliste, le Bénin a découvert cette année le Jean-Eudes Mitokpè politique. Son engagement dans le projet présidentiel d’Olivier Boko l’a révélé comme une figure montante de la politique avec une vision claire. Très vite, il a été convaincu par la capacité d’Olivier Boko à redorer le blason du Bénin, jadis berceau de la démocratie en Afrique. Il est le Président du Mouvement politique ”OBJECTIF BÉNIN 2026”, un mouvement qui croit en l’homme d’affaires et promeut les valeurs qu’il incarne. Après son tour du Bénin où il a tenté de convaincre les Béninois de se tenir prêts pour Olivier Boko, il s’est vraiment illustré par sa conférence de presse après les arrestations, dans la nuit du 23 au 24 septembre 2024, d’Olivier Boko et d’Oswald Homéky dans une affaire dite de tentative de coup d’État au Bénin.
Père Éric Aguénounon : le prêtre engagé
Le Père Éric Arnaud Mahuxien Aguénounon est Prêtre de l’archidiocèse de Cotonou depuis le 10 septembre 2011. Auparavant formateur au Séminaire Propédeutique Saint Joseph de Missérété, puis Professeur vacataire pour l’enseignement de la Philosophie politique dans de Grands Séminaires de Philosophie dont Saint Paul de Djimè (Abomey), le Père Aguénounon, nanti d’une Licence en Sciences de l’éducation, d’un Master en Philosophie et d’un Diplôme d’Université en Relations Internationales, tous obtenus à Dijon, a été nommé par la Conférence épiscopale du Bénin, Directeur de l’Institut des artisans de justice et de paix/Chant d’oiseau dont il a pris la tête le 4 juillet 2022.
Habité par une ardente passion pour la défense des droits de l’Homme, il fit ses premières armes au club « Mgr Isidore de Souza » du collège catholique Père Aupiais, en lien avec Amnesty International, Plan Bénin et UNICEF. Ainsi, le Père Éric Arnaud Aguénounon a cultivé très tôt une sensibilité accrue à la doctrine sociale de l’Église catholique. C’est justement à ce niveau qu’il s’est beaucoup révélé aux Béninois. Notamment par ses chefs-d’œuvre “Le pouvoir du déni : Chronique d’une démocrature assumée”, ” La frénésie du messianisme”, ”Lumière sur les racines organiques des peurs au Bénin” et ”La soif du pouvoir”.
Le Père Aguénounon s’insurge contre le bannissement de la liberté d’expression et le non-respect des droits fondamentaux sous couvert de développement. Sa vocation ne l’a nullement empêché d’opiner publiquement et de s’imposer comme un grand intellectuel de son temps, car, dit-il, « un intellectuel, c’est le diplômé, le cadre qui a le courage de mettre sur la place publique ses idées […] pour que la société avance, pour que la lumière jaillisse dans les ténèbres ».
« L’Église ne peut rester silencieuse face aux injustices flagrantes », pense-t-il à cet effet. Alors, il appelle à une refonte sociopolitique pour une société meilleure. Écrivain-essayiste, philosophe politique et analyste politique, Éric Arnaud Aguénounon n’a pas sa langue dans sa poche, préférant mettre son intellect au service de sa patrie. Fin observateur de la politique nationale, il aura marqué positivement le Bénin au cours de l’année 2024 à travers sa remarquable incursion dans de nombreux débats nationaux dont les faiblesses du Code électoral, le problème de la cherté de la vie au Bénin et l’incarcération de Reckya Madougou et de Joël Aïvo.
Louis Philippe Houndégnon : la grande gueule
L’ancien Directeur Général de la Police Nationale, envoyé d’office à la retraite, n’a pas perdu du temps pour enfiler son manteau de civil et de panafricaniste. Très fin connaisseur des rouages des forces de sécurité au Bénin, Louis Philippe Houndégnon a été un tremplin pour les Béninois sur certaines décisions étatiques. Notamment, les questions liées à la sécurité, la défense et le respect des droits de l’Homme. Acteur incontournable en matière de sécurité, il était revenu surtout sur la fameuse réforme ayant conduit à la fusion de la police et de la gendarmerie au Bénin. Aussi, sa lecture du respect des décisions de justice sur le plan national et international, a-t-elle mis l’homme au-devant de la scène pendant plusieurs mois avant son arrestation pour « incitation à la rébellion et harcèlement par voie électronique ».