Le contexte sociopolitique béninois actuel continue de susciter de sérieuses attentions, des incertitudes, voire des craintes. Encore que le pays s’achemine vers des élections générales jamais connues auparavant, depuis l’avènement du système démocratique, en 1990. Ces incertitudes et craintes viennent des nombreuses réformes, notamment celles concernant les élections. Selon le politologue béninois, Juste Codjo, il faut faire une lecture stratégique du contexte géopolitique qui entoure ces joutes de 2026 et opérer des réajustements idoines afin de garantir des élections inclusives et apaisées.
Le Docteur Juste Codjo n’est pas un intrus ni un observateur éloigné de la situation sociopolitique du Bénin. Ancien officier supérieur des Forces Armées Béninoises (Fab), il est, depuis quelques années, de retour dans la vie civile. Avec succès, il est passé du treillis à l’enseignement supérieur. Il est Professeur de sécurité internationale et Directeur de Programme Doctoral au New Jersey City University, aux États-Unis d’Amérique. Politologue de son état, c’est donc en connaissance de cause qu’il opine sur ce qui constitue la vie quotidienne des Béninoises et Béninois. Portant son regard critique sur l’actualité sociopolitique actuelle du Bénin, il ne boycotte pas les réformes électorales engagées par le régime de ‘’la Rupture’’. Il a trouvé qu’elles sont inspirées de son chef-d’œuvre intitulé ‘’Consencratie’’. Néanmoins, il a regretté le fait que tous les points abordés dans ce livre ne soient pas pris en compte. Selon lui, le fait d’organiser les élections législatives communale et présidentielle courant la même année est une bonne option. « Sur le principe, je dirais qu’il s’agit plutôt d’une bonne option. Aller à des élections tous les deux ou trois ans, comme on le faisait, me parait être un poids trop lourd pour un pays en voie de développement. Cette consolidation du cycle électoral, à mon avis, permettrait de focaliser toute l’énergie des électeurs et des acteurs politiques autour d’une seule au lieu de plusieurs années électorales pendant un quinquennat par exemple », a-t-il indiqué. Malheureusement, la charte des partis politiques et le code électoral qui constitue le cadre juridique et institutionnel mis en place, ne constituent pas un gage quant à la bonne tenue de ces élections. « Il y a huit ans, juste après les résultats du second tour de l’élection présidentielle de 2016, j’avais fait une série de sorties médiatiques pour proposer des idées de réforme des institutions politiques au Bénin. J’avais d’ailleurs publié un livre sur cette question en mai 2016. Même si je n’ai jamais été consulté par les autorités béninoises, le constat est clair que plusieurs dispositions de la charte des partis et du code électoral sont inspirées de certains principes du modèle Consencratie que j’ai proposé dans mon livre. Il est regrettable que le modèle n’ait pas été adopté dans son ensemble et, surtout, que l’adoption de ses instruments importants pour la gouvernance politique de notre pays n’ait pas fait l’objet d’un consensus général comme je l’ai recommandé dans le livre… Je dois avouer que je suis personnellement un peu inquiet par rapport aux scrutins de 2026 », a-t-il regretté.
Les risques d’un verrouillage électoral !
Selon l’ancien officier supérieur des Forces Armées Béninoises, il y a sans doute des raisons d’être inquiet. « Comme nous l’avions vu en 2021, la question du parrainage demeure une source d’inquiétude. Si cette question est mal gérée, cela pourrait conduire à de nouveaux troubles sociopolitiques », a-t-il entrevu.
Intervenant sur l’actualité liée à l’affaire Olivier Boko et Oswald Homéky qui défraie la chronique depuis quelques mois, il a déclaré qu’elle serait un élément révélateur important si elle est confirmée. « Loin de vouloir prendre parti, l’analyste que je suis ne peut s’empêcher de voir dans ces allégations (si confirmées bien sûr) des signes d’un verrouillage hermétique du jeu électoral à travers certaines dispositions du code électoral. En général, les acteurs politiques, surtout quand ils sont proches du pouvoir en place, ne nourrissent pas des intentions de coup d’État s’ils ont la certitude d’avoir des alternatives pour accéder au pouvoir par la voie des urnes. C’est donc cela qui m’inquiète véritablement », a estimé le Docteur Juste Codjo. Cette inquiétude s’élargie quand il pointe particulièrement du doigt l’alternance à la tête de la magistrature suprême. Pour s’en rendre compte, il propose de faire une lecture stratégique du contexte géopolitique qui entoure cette élection. « Nous savons que le Bénin devient de plus en plus la convoitise de quelques puissances étrangères ayant perdu de leur influence au Sahel. Les investissements faits par ces puissances au cours des deux dernières années impliquent un besoin de continuité dans leur politique de coopération avec le Bénin. Ensuite, le régime en place souhaite sans doute aussi une continuité. À ce contexte géopolitique, il faut ajouter l’instauration des règles électorales restrictives telles que la nécessité de parrainage et l’obligation des élus de ne parrainer que les candidats de leur parti politique », a-t-il indiqué. Tous ces éléments juxtaposés, selon lui, montrent combien l’enjeu de l’élection présidentielle de 2026 est grand, peut-être même plus grand que par le passé, aussi bien pour les acteurs locaux que ceux de la diaspora. À en croire ses propos, dans une telle dynamique, la succession de Patrice Talon sera probablement une élection soigneusement contrôlée. « Je ne serai d’ailleurs pas surpris de voir le président Talon se porter candidat à la vice-présidence de la République pour garantir cette continuité dont je parlais. Après tout, la constitution est restée muette sur la possibilité pour les anciens présidents de se porter candidats à la vice-présidence », craint-il.
Le critère de 20% des suffrages dans chaque circonscription électorale
Le critère de 20% des suffrages dans chaque circonscription électorale contenu dans le fameux code électoral controversé, querellé non seulement par le Cadre de Concertation des partis d’Opposition, mais aussi par la société civile et la Conférence Épiscopale de l’église catholique demeure une préoccupation, selon le Professeur de sécurité internationale. « J’avais proposé une série de réformes institutionnelles à l’avènement du régime Talon en 2016. J’avais, par exemple, proposé une règle de représentativité ethno-géographique pour inciter les partis politiques à de grands rassemblements qui transcendent durablement leurs bases ethniques ou géographiques traditionnelles. Pour être représenté au parlement, avais-je proposé, un parti politique devrait obtenir des sièges dans chacune des grandes régions administratives du pays (sept au total suivant mes propositions). Le 30 mars 2016 précisément, j’avais évoqué ces idées lors d’un débat télévisé entre Monsieur Orden Aladatin et moi sur la chaîne Sikka Tv. Il m’avait alors répondu ceci : « Ce que vous proposez est hors de la République. Vous savez, Patrice Talon ne peut pas venir avec son nouveau départ se mettre hors de la République. Curieusement, c’est M. Aladatin qui, devenu plus tard président de la Commission des lois au parlement, se fait aujourd’hui l’avocat de cette condition de représentativité dont il avait pourtant rejeté une version plus souple et plus réaliste en 2016 », s’est-il offusqué. Selon lui, en exigeant des partis politiques une obtention de 20 % des suffrages dans chacune des 24 circonscriptions électorales du Bénin, les auteurs du code électoral sont allés trois fois plus loin que ce qu’il avait proposé en 2016. « Ma crainte est que cette nouvelle règle électorale n’aille à l’avantage exclusif que des deux partis majeurs de la mouvance présidentielle. Ces deux formations politiques ont aujourd’hui un avantage organisationnel, structurel et géographique sur leurs compétiteurs. C’est pour cette raison que j’avais, dans mes propositions, insisté que ce type de réforme se fasse de façon consensuelle dans un processus qui donne les mêmes chances à tous les partis au départ. La leçon que j’en tire est que nous ne devrions pas laisser ces réformes importantes aux seuls soins des acteurs politiques. Les citoyens et les organisations de la société civile devraient s’y impliquer davantage », prévient-il.
Des réajustements inévitables au code électoral
Selon le Docteur Juste Codjo, procéder à des toilettages du système de gouvernance du Bénin n’est que la partie visible de l’iceberg. Il propose de réformer profondément le système dans son ensemble. Ce processus, à l’en croire, devrait impliquer, non pas seulement les acteurs politiques, mais aussi l’ensemble de la société béninoise. « Il y a beaucoup de Béninoises et de Béninois, de l’intérieur comme de la diaspora, qui sans doute souhaitent participer à l’animation de la vie politique du Bénin. Mais beaucoup d’entre eux s’abstiennent, probablement parce qu’ils ne s’identifient pas aux pratiques politiques en cours depuis plusieurs décennies. Mon souhait est qu’un jour les Béninois puissent se donner la chance de rebâtir les institutions de gouvernance du pays de façon non-partisane et consensuelle », a-t-il proposé.
En 2026 plus particulièrement, il nourrit le rêve de voir la société béninoise se mobiliser pour exiger un engagement des candidats aux prochaines élections générales, à organiser un dialogue national « bottom-up », en un mot, de la base au sommet, afin de réformer le modèle de gouvernance et rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions du pays. « Cela aiderait, selon lui, à créer des conditions durables pour une gouvernance plus productive et plus inclusive. Mais ce rêve, j’imagine, pourrait paraitre illusoire aux yeux d’un peuple préoccupé plus par le pain quotidien que par la mise en place d’un système de gouvernance qui résisterait au temps et aux tentatives de manipulation des acteurs politiques appuyés par leurs mécènes. »
S’agissant de ces recommandations, il souhaite, à défaut de soustraire le parrainage du dispositif institutionnel, le « réformer de sorte que les élus puissent, de façon indépendante et souveraine, parrainer les candidats de leur choix ». En second lieu, « à défaut d’instaurer la condition de représentativité ethno-régionale pour les élections législatives comme proposé dans mon modèle Consencratie, il serait plus réaliste de réaménager, à la baisse, les règles exigeant l’obtention de 20 % de suffrage dans chacune des 24 circonscriptions du pays. Pourquoi ne pas, par exemple, limiter la condition de représentativité à un nombre minimum de circonscriptions dans chacune des trois régions du pays que sont le septentrion, le centre et le sud ? Mais là encore, ces réaménagements devraient se faire par consensus », a appelé de tous ses vœux, Juste Codjo.