Ignace et Richard auraient pu sauver Ernest

Comme la plupart de ceux qui sont nés dans les années 1980, c’est sur le petit écran que j’ai découvert l’immense talent de Ernest Kaho. Le monsieur avait un don formidable pour la comédie. Pour moi, son chef-d’œuvre le plus mémorable était le clip publicitaire sur la SBEE avec Ken Lohento dans le rôle d’Apo et Ange Badou (RIP) dans celui d’Atagan. Je l’ai ensuite vu dans le téléfilm Taxi Brousse réalisé par son ami Ignace Yetchenou, un autre comédien pétri de talent et d’intelligence… j’y reviendrai.

Ernest, vous disais-je, avait un don unique pour le théâtre. Les quelques-unes de ses représentations que j’ai eu l’honneur de suivre à certains spectacles du FITHEB, m’en ont définitivement convaincu. Son langage corporel, la clarté de son élocution, l’unicité de sa voix et sa présence scénique exceptionnelle l’inscrivaient parmi la crème du théâtre béninois. C’est pour lui ressembler que je m’étais engagé dans la troupe théâtrale du Collège Catholique Notre Dame de Lourdes de Porto-Novo et plus tard, dans celle de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM). C’est donc avec beaucoup de tristesse que j’ai partagé sur mon mur, la vidéo par laquelle l’opinion publique nationale découvrait que l’artiste était gravement malade et pouvait mourir à tout moment sans un formidable élan de générosité de la part de ses concitoyens.

Cynisme du destin, la vidéo-SOS a été réalisée et lancée par Ignace Yetchenou, un artiste qui met toute son intelligence, tout son talent et son immense popularité au service de la défense d’un pouvoir dont la cruauté face à la misère des plus fragiles n’a son équivalent nulle part dans le monde. Un pouvoir qui est capable de se vanter d’avoir mis 13 milliards dans la rénovation du palais présidentiel alors que les contribuables meurent faute de soin dans le seul hôpital de référence du pays, à un jet de pierre des nouveaux palmiers présidentiels ; un pouvoir qui est capable de décaisser des milliards pour aller expliquer aux populations affamées pourquoi elle n’arrivent plus à se nourrir ; un pouvoir qui a supprimé la gratuité de la prise en charge des soins pour les malades d’insuffisance rénale et donc causé la dégradation de l’état de santé, puis la mort d’Ernest Kaho. On me reprochera de vouloir me servir de la mort d’un artiste pour polémiquer. J’aimerais dire à l’épouse, aux enfants et aux parents de l’illustre disparu que je suis profondément attristé par cet événement et que j’ai un profond respect pour leur douleur. Mais il y a des vérités qu’un peuple qui veut progresser doit pouvoir se dire en se regardant dans les yeux. Si les artistes béninois avaient mis leurs talents et leur popularité au service du bien-être social de leur public, si Ignace Yetchenou et Richard Flash par exemple n’étaient pas plus habiles à jouer les Klébés d’un gouvernement inhumain qu’à défendre les acquis sociaux des populations qui les applaudissent, nulle doute qu’ils auraient pu empêcher le gouvernement d’arracher à Ernest Kaho, la seule chose qui le maintenait en vie : la gratuité de ses soins.

Ernesto Kaho n’est que la énième victime de ce régime cruel et insensible aux cris de détresse de sa population. Des centaines d’autres dialysés avant lui étaient morts dans l’indifférence de nos gouvernants qui ne comprennent que le langage du profit et de la rentabilité. Sans oublier les malades de cancer dont le chef de l’État a suggéré aux évêques béninois qu’il était préférable de les laisser crever, avant de se précipiter lui-même à Paris puis en Turquie pour se soigner de son propre cancer, aux frais du contribuable.

L’artiste est parti, mais pour éviter que les vaisseaux sanguins trop mous, les cœurs trop fragiles, les taux de sucre trop élevés dans le sang, ou encore un malheureux paludisme n’emportent beaucoup d’autres de ses confrères, il faudra peut-être qu’enfin les artistes assument leur fonction sociale, voire politique.