Non seulement la délégation des députés LD n’a pas pris la peine de prévenir les autorités judiciaires de leur visite, comme ils l’ont fait plus de trois (3) mois auparavant pour Mme Madougou, mais en plus, ils avaient dans leurs bagages un huissier de justice. “Déloyal”, s’indignent les soutiens du professeur.
Par Julien Coovi
Peu d’observateurs ont vu venir cette crise. Mais le mercure des relations entre les soutiens du professeur Frédéric Joël Aïvo et le parti Les Démocrates a brutalement chuté la semaine dernière, suite à l’exploitation que le parti et l’avocat de Mme Réckya Madougou ont faite de la visite improvisée à l’universitaire qui a tenté de se présenter contre le président Talon en avril 2021 et qui purge depuis lors une peine de 10 ans de prison ferme. Les membres du mouvement Génération Aïvo en sont convaincus, certains responsables du parti Les Démocrates mènent une guerre sournoise à leur leader. Sur la BBC, lundi dernier, Angelo Botchi, un membre de la dénégation générale (structure faîtière) de Génération Aïvo avertit : « On ne s’attaque pas à un allié qui ne peut pas se défendre. » Le ton se veut ferme, le message précis.
Le feu au poudre
Les soutiens de l’opposant reprochent à leurs “alliés” des Démocrates d’avoir tenté de le piéger de façon déloyale pour défendre l’autre prisonnière politique, Réckya Madougou.
C’est un communiqué de l’avocat de cette dernière qui a mis le feu au poudre. Sur sa page Facebook, Me Renaud Agbodjo a dénoncé “la politique de deux poids deux mesures” dont serait victime sa cliente depuis l’incarcération des deux personnalités. L’avocat en veut pour preuve le fait qu’un groupe de députés LD ait été refoulé à la porte de la prison de Missérété où est détenue sa cliente, alors que quelques heures plus tôt, dans la journée de ce mercredi 27 mars, ils ont réussi à voir le professeur Joël Aïvo, détenu lui, à la prison de Cotonou. Autrement dit, madame Réckya Madougou serait moins bien traitée que le pensionnaire de la prison civile de Cotonou.
Sanctions
Au lendemain de cette dénonciation, le régisseur de la prison de Cotonou et une surveillante ont été sanctionnés pour avoir méconnu les consignes et la règlementation en vigueur. « Les députés concernés n’étant pas en mission d’information ou d’enquête parlementaire telle que prévue par l’article 36 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, aucune visite collective dans un établissement pénitentiaire n’était de droit », précise le communiqué de l’Agence Pénitentiaire du Bénin. Selon le patron de l’APB, le ‘’traitement de faveur’’ que souhaitait mettre en exergue Me Agbodjo pour le prisonnier politique Joël Aïvo, n’était finalement qu’une faute professionnelle. Des sources internes à la maison d’arrêt de Cotonou, nous indiquent que la délégation des Démocrates a d’abord été bloquée au portail pendant de longues minutes avant que la visite ne soit finalement autorisée juste pour saluer Joël Aïvo quelques minutes. “Pour ne pas nous exposer, la visite ne devait faire l’objet d’aucune médiatisation”, nous a confié un des surveillants de la prison. “Pourtant, précise la délégué générale de Génération Aïvo, j’ai moi-même appelé les responsables de cette opération (…) pour les prier de ne pas instrumentaliser la détention du Professeur Aïvo et d’éviter de faire de leur passage improvisé de quelques minutes, une exploitation politicienne.”
“C’est déloyal”
Mais davantage que l’exploitation qui a été faite de “cette opération”, c’est le procédé qui indigne les soutiens de l’universitaire. Non seulement la délégation des députés LD n’a pas pris la peine de prévenir les autorités judiciaires de leur visite, comme ils l’ont pourtant fait plus de trois (3) mois auparavent pour Mme Madougou – ses avocats l’ont confirmé dans un second communiqué publié le 30 mars –, mais en plus, ils avaient dans leurs bagages un huissier de justice. “Inacceptable”, s’indignent les membres de Génération Aïvo pour qui le procédé cache un objectif inavouable, “celui de piéger le personnel pénitentiaire de Cotonou et de créer des problèmes au Professeur Joël Aïvo”. Barkatou Sabi Boun ne s’est pas mordu la langue pour dénoncer une instrumentalisation de la détention du professeur: “À défaut de le soutenir sincèrement, je demande que son épreuve ne soit pas un fonds de commerce qui a pour conséquence de dégrader ses conditions de détention dont peu de personnalités politiques se soucient en vérité.”
Pris de court par l’énergie de la réaction des soutiens du professeur, Guy Mitokpè, le Responsable à la communication du parti LD a tenté de calmer le jeu en invitant Génération Aïvo à “ne pas céder au chant des sirènes”. Une petite phrase insinuante interprétée comme de l’huile sur le feu. Interrogé lundi par la BBC, Angelo Botchi, un autre membre de la délégation générale insiste sur le dégoût de ses camarades : “La réaction de notre déléguée générale vise à rappeler à tous les acteurs de l’opposition qu’on ne s’attaque pas à un allié qui ne peut pas se défendre. L’opération du mercredi dernier, montée autour du professeur Aïvo nous parait déloyale parce qu’elle visait clairement à hiérarchiser les prisonniers. À Génération Aïvo nous n’acceptons pas ça.”
Qui en veut à Joël Aïvo ?
Le fait que les députés LD n’aient pas fait la même démarche au profit du professeur Joël Aïvo était déjà en soi une faute politique, étant donné que le parti était accusé de donner priorité à son ex-candidate, et plus globalement de traiter la question des prisonniers politiques de façon dilettante. Qu’en plus, Éric Houndété, le premier vice-président du parti, Kamel Wassangari ou encore Habib Woroucoubou et leurs camarades aient décidé au dernier moment de faire un crochet par la prison civile de Cotonou accompagnés de l’avocat de madame Madougou et d’un huissier, sans en informer leur hôte, soulève des questions légitimes sur la stratégie derrière l’opération.
Qui au sein du parti de Boni Yayi, a intérêt à « piéger le personnel pénitentiaire de Cotonou et créer des problèmes au Professeur Joël Aïvo » ? Qui, comme le soupçonnent les soutiens du professeur, a intérêt à décrédibiliser leur leader et à passer ses sacrifices par pertes et profits, en le présentant comme « un prisonnier politique de connivence » qui vivrait une détention tranquille ? Comment comprendre que Les Démocrates ne soient allés tirer le professeur de sa cellule que pour les besoins de la polémique ? “Je trouve qu’il n’est pas décent de se lancer dans des intrigues politiciennes entre nous, pendant que notre peuple nous attend pour la libération de tous les détenus politiques. J’appelle tous les acteurs à la mesure et à se re-concentrer sur l’essentiel qui importe aux yeux de notre peuple. Le Professeur Joël Aïvo ne doit pas être la cible, il est une solution pour l’avenir, la solution du problème”, a confié Angelo Botchi à Olofofo.
À l’approche des élections générales de 2026 et des défis qu’elles posent au peuple béninois, le parti du président Boni Yayi peut-il se permettre de se mettre à dos la troupe du professeur Joël Aïvo ? Plus généralement, l’opposition peut-elle se permettre une division? La réponse se trouve sans aucun doute au niveau des deux leaders Boni Yayi et Joël Aïvo qui sont restés, jusqu’à présent, très silencieux.