Tribune libre : Passons nos « Zémidjan » à l’électrique

M Auto

Que l’on parle d’équivalent carbone, d’impact carbone, d’empreinte carbone ou, en anglais de carbone footprint, le spectre des émissions de gaz à effet de serre (GES) menace la planète et plus particulièrement les Etats africains. Toutes les conclusions des études menées et des rapports produits dont le tout dernier est du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) paru le 4 avril 2022 sont sans appel : dans trois ans, notre planète sera plus chaude de 3,4°C par rapport à l’ère préindustrielle en 2100. L’impératif est absolu et le défi énorme, mais la sentence sera bien plus lourde et explosive pour les populations africaines dont le continent n’émet pourtant que 4% des gaz à effet de serre depuis 1850. Et ce encore, dans un contexte d’ambiance démographique, d’urbanisation galopante des villes, de de dépendance diversifiée des nouveaux modes de consommation mais également des ambitions projetées d’industrialisation.

Face à l’urgence, l’instant n’est plus à la passivité mais à la volonté d’agir maintenant

Suite à l’Accord de Paris adopté par 195 pays et dans le souci de contribuer à la tenue des engagements pris pour limiter la haute des températures « à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle », de nombreux Etats ont opté pour des mesures ambitieuses dans presque tous les domaines dont les solutions de mobilité électrique. À l’horizon 2030, l’ambition affichée par les pays industrialisés combinée à la volonté des géants de l’automobile est d’inverser à la courbe à une utilisation intégrale de la voiture électrique. En Afrique, alors que les possibilités pour impulser une économie verte sont existantes et le contexte largement favorable, l’électromobilité est encore anecdotique. En Afrique du Sud par exemple, les chiffres officiels en 2020 font état de 92 véhicules électriques vendus et de 232 modèles hybrides. En vérité, l’horizon n’est plus si lointain lorsqu’il est question d’agir en faveur d’une neutralité carbone dans nos pays surtout en Afrique de l’Ouest où la mobilité urbaine est essentiellement à deux roues. Par ici, la moto représente à la fois un important moyen de transport personnel ou commercial. Connus localement sous le nom de « zed » ou « zémidjan », les conducteurs de taxi-motos sont plus de 60 000 dans la capitale togolaise, Lomé et plus de 250 000 dans la seule ville de Cotonou, soit environ un taxi-moto pour environ 10 habitants. Il d’évidence alors que les motos électriques représentent la transition de tous ces pays comme le Bénin ou le Togo au point de contribuer à ce que les anglo-saxons appellent le leapfrogging, littéralement appelé le saut de la grenouille pour désigner le bond qualitatif permettant à certains pays de griller des étapes pour accélérer leur développement. Et plusieurs facteurs y postulent.

Aujourd’hui face à l’envolée considérable des coûts des produits pétroliers au niveau mondial, plusieurs pays africains ont envisagé des mesures pour réajuster et soutenir le pouvoir d’achat de leurs concitoyens. Rien que pour le mois d’avril 2022 seul, les subventions de l’Etat togolais sur le carburant se sont élevées à 12 milliards de francs CFA. Pendant ce temps, les prix des énergies renouvelables ne cessent de décroître comme ce fut le cas au Sénégal en 2017 où la mise en service de centrales solaires a fait baisser de 10% le prix et améliorer l’électricité avec un gain de 30 milliards de francs CFA en faveur des consommateurs. Le potentiel est là, car au cours des dix dernières années, le coût de l’éolien terrestre a par exemple divisé par 3 fois et par 10 pour le solaire à grande échelle. Dans un tel contexte, s’affranchir de l’utilisation des motos à essence et faire passer notre mobilité urbaine à l’électrique, est à mon sens une étape salutaire vers la transition énergétique. Plusieurs avantages sont à mettre à l’actif de l’utilisation des motos électriques dans la lutte contre le désordre climatique. Selon plusieurs publications scientifiques, les voitures ou les motos électriques présentent d’énormes avantages. En moyenne, une moto à essence produit 2,5 tonnes de CO2 par an. Sur une distance de 100 km, une voiture è essence rejette jusqu’à 5 kilogrammes de CO2 à la source de plusieurs infections pulmonaires et de nombreuses maladies dans les villes. Assurément avec les voitures ou les motos électriques, finie la pollution atmosphérique à partir des gaz toxiques dont le monoxyde de carbone et les oxydes d’azote. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2021, environ sept millions de personnes meurent prématurément chaque année du fait de cette pollution. Les pays à faible revenu ou intermédiaire comme le Bénin ou le Togo sont les plus touchés. Une étude de l’Université de Stanford aux Etats-Unis publiée en juillet 2018 démontre que la pollution de l’air est responsable du décès d’un enfant sur cinq dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. Le Nigéria par exemple où la cause réside dans le carbone noir.

Etant aussi donné que le moteur des motos électriques est exclusivement alimenté par du courant électrique, son utilisateur n’a plus aucun souci pratique à se faire pour l’entretien du moteur. Finis alors les coûts liés à l’essence et ses prix en constante hausse. Dans les faits, plus de vidange à faire, pas de bougie à nettoyer, plus d’émission de gaz carbonique à travers des pots d’échappement et même plus de bruit à entendre. Ce sont des engins équipés de batteries électriques totalement silencieuses. Somme toute, presque plus de factures d’entretien ou de mécanique à recevoir. Mais plus intéressants est la plus-value et l’impact économique de la mobilité électrique pour le citoyen surtout pour le conducteur de taxi-moto pour lequel, c’est une source de revenus. Selon les données recueillies sur les solutions de mobilité électrique, 100 kilomètres en moyenne coûte 2 euros d’électricité alors que la même distance avec une voiture à combustion interne s’élève à 8 euros en essence. A cette allure, nul ne doute que la mobilité électrique est l’avenir.

Mais en raison de ses avantages, cet engin électrique est onéreux à l’achat. Dès lors, pour qu’il soit accessible à des agents économiques comme les conducteurs de taxi-motos, des mécanismes innovants et des mesures incitatives doivent être imaginés et proposés par les sociétés engagées dans la fabrication et la commercialisation ainsi que les Etats. En tant que secteur de l’innovation, la mobilité électrique se présente des plus prometteurs pour la création d’emplois dans les années à venir. Car, la fabrication et la commercialisation des motos électriques favorisent la création massive d’emplois et de structuration d’un écosystème de valeurs à travers la fabrication des pièces, leur assemblage et les points de recharge de batterie. Selon le Rapport sur le marché mondial des motos électrique 2020, le marché des scooters et motos électriques dans le monde est évalué à 751,17 milliards USD en 2021 et devrait atteindre 28991,93 milliards USD d’ici 2027 tout en enregistrant un TCAC de 25,08% au cours de la période de révision 2022-2027.

Le défi pour une adhésion massive doit s’inscrire alors dans une démarche d’inclusion à la fois sociale et financière. Par exemple faire le choix d’un paiement échelonné. En détails, il sera question d’inciter tous les consommateurs et principalement les conducteurs de taxi-motos à transiter vers l’électrique avec un mode d’achat pour plus souple et arrimé à leurs revenus. Une grille tarifaire est élaborée pour chaque corps de métier sur la base d’une évaluation objective de ses revenus. Ainsi, au lieu d’un versement intégral du prix à l’achat, les sociétés de commercialisation proposeront un règlement au quotidien, hebdomadaire ou même mensuel. La moto revient à son propriétaire dès le premier jour de l’achat, le reste sera dans les modalités de suivi et de gestion à distance des paiements. Pour ce fait, les motos peuvent être équipées d’une technologie mobile. Réussie, et c’est à l’analyse objective le cas, cette stratégie commerciale sera aussi celle de l’innovation et de l’entrepreneuriat, de l’inclusion financière élargie et de la durabilité au service de la transition énergétique et de la mobilité durable. De tels formats de solution ont déjà marché dans les politiques de transition énergétique. C’est le cas d’une initiative du gouvernement togolais dénommé « Projet Cizo » (qui signifie allumer en langue locale Guin), un projet d’électrification rurale par la fourniture de kits solaires à plus de deux millions de togolais par un paiement via portable. Saluée par tous les partenaires du Togo, ce projet a été un modèle à la fois de transition énergétique et d’inclusion financière des populations vulnérables.

Signataires de l’Accord de Paris, le Bénin et le Togo ont par ailleurs tout intérêt aussi à s’investir et à accompagner par d’autres mesures ou politiques publiques, l’arrivée et l’adoption de ces motos par leurs concitoyens. Cela s’inscrit parfaitement dans les engagements pris en décembre 2015 pour inverser la courbe des émissions des gaz à effet de serre. Les Etats peuvent dès lors accorder des facilités fiscales à toutes les entreprises engagées dans la fabrication et la commercialisation et aux citoyens désireux d’utiliser des véhicules électriques. Depuis 2019 au Togo et cette année au Bénin, les lois des finances font une marge de facilité importante aux véhicules hybrides ou électriques. Cet élan doit être maintenu et élargi. Pourquoi ne pas accompagner ou soutenir auprès des banques des entreprises locales engagées dans la réduction de leur empreinte carbone ? Pourquoi ne va promouvoir à l’interne une taxe carbone ? Des questions dont l’intérêt des réponses réside en grande partie de l’arrivée annoncée des motos électrique.

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