Technologies : « Le fon-gbé sur google, c’est une question de souveraineté » [Interview exclusive de Fabroni Bill Yoclounon]

Technologies : « Le fon-gbé sur google, c’est une question de souveraineté » [Interview exclusive de Fabroni Bill Yoclounon]

Le 27 juin dernier, le public béninois apprenait avec fierté l’intégration de la langue fon-gbé à l’outil de traduction en ligne, Google Traduction. La première langue nationale la plus parlée du Bénin, venait ainsi de rejoindre la liste des 243 autres langues traduites par l’outil du géant américain Alphabet. Pour que cela soit possible, il aura fallu des milliers d’heures de travail acharné d’un groupe de jeunes béninois dont Fabroni Bill Yoclounon qui a accepté de nous raconter cette fabuleuse histoire.

Fabroni Bill Yoclounon : Bonjour, je suis Fabroni Bill Yoclounon. Je suis doctorant en droit et promoteur de la plateforme I AM YORCLOUNON qui est spécialisée dans la digitalisation et la modélisation des langues béninoises.

Vous avez annoncé, il y a quelques jours à travers vos canaux digitaux, la disponibilité de la langue fon-gbe sur Google Traduction. Déjà, présentez-nous ce projet. Quelles sont les étapes qui vous ont conduit à ce résultat aujourd’hui ?

Le fon sur Google, ça signifie beaucoup de choses. C’est l’aboutissement d’un long parcours de jeunes béninois dévoués à la promotion de la culture à travers la valorisation des langues béninoises. Il faut dire que ce combat a commencé depuis 2018 et s’est poursuivi avec beaucoup de péripéties, d’entraves, mais beaucoup de réussites sur le chemin et aujourd’hui c’est une grande joie pour nous d’avoir l’un des grands moteurs google, notamment Google translate qui est disponible en fon-gbe. C’est le travail de plusieurs personnes, de plusieurs partenaires et de plusieurs équipes successives. Mais on retiendra que les principales personnes de ce travail-là sont connues. Et ce sont des jeunes essentiellement béninois qui ont travaillé sans soutien et surtout avec volonté et passion.

Quel est l’objectif en initiant un tel projet ?

Le fon étant la langue la plus parlée au Bénin, cette langue-là, les aînés ont beaucoup travaillé sur ça, mais le seul défaut est que leurs travaux sont restés dans les bibliothèques et la jeune génération n’y avait pas vraiment accès. Donc, on a d’abord repris ces contenus dans la grande majorité que nous avons digitalisés.

Quelle est la constitution de l’équipe qui a mené à bien cet objectif et comment elle travaille ?

Il y a tellement de personnes qu’on ne peut pas tout citer. Néanmoins, il y a des personnes référentes dont les noms méritent d’être cités. Il y a Bonaventure Dossou avec qui on a collaboré sur le FFA Translate. En fait, c’est la première machine de traduction du fon vers le français qu’on a sortie autour des années 2021. Cela a été une étape cruciale pour plébisciter le fon vers Google désormais. Après Bonaventure, il y a Ricardo Ahouanvlamin qui a travaillé dans l’équipe I AM YORCLOUNON. Il y a un autre, Marcel Codjia, qui est le premier à croire en tout ce combat depuis 2018. Il y a Fulbert Tchiakpè, développeur de I AM YORCLOUNON, qui travaille sans cesse. Il y a Marina, Huguette, Charlemagne et plein de personnes qui travaillent au jour le jour pour que le fon soit digitalisé. Récemment, il y a pas mal de personnes de l’écosystème institutionnel comme le ministre du numérique et de la digitalisation et l’Agence des systèmes d’information numériques (ASIN).

Combien de temps vous a-t-il fallu pour en arriver là aujourd’hui ?

Le processus a vraiment duré. D’abord, la première étape, ça a été beaucoup plus de créer des contenus. Et dans la création des contenus, on a également pensé à la digitalisation des contenus en fon. On a traduit beaucoup de contenus en fon et il y a pas mal de solutions qui ont été créées en amont. Par exemple, le sticker en fon-gbe, le clavier des langues béninoises et des campagnes de valorisation des termes du numérique en fon, des droits en fon et pas mal de choses. Tout cet écosystème a fait qu’on a rencontré pas mal de personnes. Et l’une des personnes notables qu’on a rencontrée sur ce parcours, c’est Bonaventure Dossou qui est spécialiste en intelligence artificielle et qui est spécialiste en Machine Learning, qui a fait un stage à Google et qui a vraiment milité pour le fon au sein de Google. Il a été le grand acteur, sinon le principal, de l’avènement du fon sur Google Translate. Autour de lui, beaucoup de personnes, dont nous et d’autres avec I AM YORCLOUNON, ont travaillé à cet effet.  Donc, le processus a duré. On va dire que c’est depuis 2018 que chacun de son côté travaillait déjà sur le fond. On s’est rencontrés courant 2019-2020 et on a fait le chemin ensemble pour d’autres victoires. Il y a eu des travaux spécifiques de chaque côté et il y a eu des travaux communs aussi. C’est tout ça qui a été mis dans le panier pour que Google s’intéresse au fon en fin de compte. Voilà !

Quels sont les projets qui vont succéder à celui-ci ?

Déjà, au niveau institutionnel, nous, on compte travailler sur ce volet-là. Que la langue soit institutionnalisée, c’est très important parce que c’est une question de souveraineté. La langue est une question de souveraineté et d’identité d’un peuple. Un peuple sans culture n’est pas un peuple et une culture sans langue n’est pas une culture en fait. Et effectivement, nous avons la richesse du Bénin qu’on ait plus d’une soixantaine de langues et parmi ces langues-là il y a le fon qui représente plus ou moins le Bénin, qu’on le veuille ou pas. Donc, c’est une grande avancée pour le Bénin aujourd’hui, culturellement, politiquement et en matière de souveraineté.

Quel est votre sentiment de l’accueil que cette nouvelle a suscité sur les réseaux sociaux ?

Certes, c’est une victoire d’une équipe plus ou moins restreinte, mais aussi de tout l’écosystème béninois du digital. C’est tout le Bénin qui en porte la paternité et tout le monde mérite de la célébrer comme une victoire. Le fon, autant que les autres langues béninoises, est notre langue. On a le droit de la parler, on a le droit de faire des traductions sur Google Translate désormais et c’est ça qui est bien. En termes d’avancées, déjà, cela hisse le Bénin au niveau des pays avec des langues dominantes. Vous savez, le yoruba est sur Google Translate depuis une dizaine d’années et maintenant le Bénin est représenté par le fon, la langue la plus parlée. C’est une suite logique et cela nous appelle à voir beaucoup d’autres choses.

Un appel à lancer aux autorités et aux populations ?

Je vous invite à utiliser Google Translate en fon. Je vous invite à consulter les travaux de toutes les personnes qui ont travaillé, à aller visiter le site web de I AM YORCLOUNON et à profiter au maximum des langues.

Propos recueillis par Comlan Hugues Sossoukpè

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