Les mesures annoncées le 16 novembre ne mettront pas fin au spectacle des tranchées et des blocs de granite sur les pistes rurales en direction des pays voisins. Au contraire.
Par Yasmine Affi Lawson
Peu importe la pression populaire, le gouvernement de Patrice Talon ne reculera pas sur le dossier du soja. Entre les acteurs de la filière et lui, la guerre est ouverte depuis qu’il a décidé de sécuriser l’approvisionnement en soja de l’industrie naissante de transformation des produits agricoles. Ainsi, sa première décision en novembre 2022, d’interdire à partir de 2024, l’exportation de cette légumineuse, avait été vigoureusement contestée par les acteurs, principalement les exportateurs. Dans un contexte mondial ou le conflit Russie-Otan a donné un coup d’accélérateur à la demande mondiale, il était en effet devenu beaucoup plus intéressant pour les commerçants de vendre leur soja à l’étranger où le marché offrait des prix parfois deux à trois fois plus intéressants que ceux que proposait le transformateur national. Résultat, près de 182 mille tonnes de soja étaient restés dans les magasins. Gros problème.
Le 11 avril 2023, Patrice Talon et son gouvernement avaient donc dû revoir leur stratégie avec comme leitmotiv de garder la main sur la filière. Ils ont relevé de façon substantielle le prix de la denrée (le soja conventionnel était monté à 270 FCFA, le dégradé à 250 francs et le soja biologique grimpait à 320 FCFA) et limité les exportations aux stocks qui n’auront pas été achetées par le gouvernement, « par l’entremise de la société SIPI S.A. », précise le site internet de la plateforme agroindustrielle GDIZ. Enfin, ils ont instauré une taxe à l’exportation dénommée « contribution à la recherche et à la promotion agricole » et qui est fixé 140 francs par kilo. En tournée d’explication de ces mesures, le ministre de l’agriculture Gaston Dossouhoui précisait que « le Gouvernement a subventionné l’engrais pour céder le sac à 14.000 FCFA au lieu de 28.000 FCFA. Cela a coûté au bas mot 55 milliards mobilisés grâce aux cotonculteurs, aux égreneurs et au Gouvernement. Pour la prochaine campagne agricole, il faut trouver cet argent quelque part. C’est ce qui justifie la mise en place d’un mécanisme pour prendre les redevances sur des productions exportées et transformées ailleurs. » Autrement dit, le gouvernement ne peut pas se permettre de laisser les commerçants tirer profit à eux seuls des subventions publiques alors qu’il s’évertue à faire décoller une agro-industrie nationale.
Mais ces décisions n’ont pas eu plus de succès que les autres. Entre les tranchées et les blocs de granite pour entraver certaines pistes rurales, le gouvernement béninois a dû recourir à des moyens drastiques pour empêcher les producteurs ou les commerçants d’écouler leurs produits vers le Togo où ils sont assurés d’avoir des prix nettement plus importants.
Le 16 novembre 2013, après plusieurs mois d’un bras de fer qui a parfois tourné au drame avec les acteurs de la filière soja, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures censées résoudre la crise. Ainsi la taxe à l’exportation, passe de 140 francs à seulement 30 francs CFA le kilo, soit un abattage de plus de 80%. Le communiqué du gouvernement précise également que « le commerce du soja grain est libre sur l’ensemble du territoire national », qu’ainsi, « les opérations d’achat, de vente, de transport, les prix, les dates de démarrage et de fin des opérations, sont librement fixés par les acteurs. » Mais le diable se cachant toujours dans les détails, le gouvernement ajoute que l’exportation du soja est (désormais) libre, sans agrément, mais qu’elle se fera « exclusivement par le Port de Cotonou ». Exclusivement par le port. Autrement dit, même si le producteur de Kandi trouve un client sur Bamako, il devra quand même passer par le port de Cotonou. Pour rejoindre les magasins bamakois de son client par quelle route ? Une décision une fois encore vivement critiquée par les acteurs de la filière et par l’opposition qui voient en cette dernière mesure une nouvelle ruse du gouvernement et de son partenaire Bénin Contrôle pour récupérer par la main gauche ce qu’ils donnaient l’impression d’avoir offert par la droite. Dans tous les cas, cette décision apporte un cachet légal aux actions visant à entraver les pistes rurales en direction des pays voisins.
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