(Interview exclusive)
Le nouveau président du Sénégal est entré officiellement dans ses fonctions le mardi dernier. Ousmane Diomaye Faye a prêté serment le 2 avril au bout d’un processus électoral bluffant qui l’a vu sortir de prison une dizaine de jour avant son sacré électoral. Diomaye Faye a été positionné sur la liste des candidats, en substitution du véritable leader de son parti, Ousmane Sonko, empêché de candidater. Quelles vont être les relations entre les deux hommes ? Comment peut-on analyser leur sacre ? Quels effet cette alternance peut-elle avoir sur la situation politique dans les pays de la sous-région ? Nous avons toutes ces questions à notre confrère Olivier Allochémè, éditorialiste chez L’Événement Précis.
Propos recueillis par Comlan Hugues Sossoukpè, avant l’investiture.
Olofofo : Monsieur Olivier Allochémè, Bonjour. Étant donné les conditions dans lesquelles sa candidature a été montée et sa campagne menée, vous attendiez-vous à une victoire aussi éclatante du candidat Bassirou Diomaye Faye ?
Olivier Allochémè : On pouvait s’attendre à tout sauf à un K.O dès le premier tour. Moi d’une façon ou d’une autre, depuis qu’ils étaient sortie de prison je me disais que Sonko et son acolyte allaient gagner. Mais l’emporter dès le premier tour à une majorité aussi confortable face au candidat du pouvoir, franchement je ne m’y attendais pas du tout. Je me disais qu’il y aurait peut-être un second tour parce que déjà, ils n’ont pas vraiment eu le temps de faire campagne. Aussitôt sortis de prison ils ont dû prendre la route de la mobilisation et dans quelles conditions encore ! Donc c’est une victoire totalement inédite. On ne peut même pas la comparer à Mandela parce que Mandela a eu le temps de se préparer, d’aller en campagne. C’est totalement inédit ce qui s’est passé au Sénégal ces derniers jours et c’est tout à l’actif du peuple sénégalais. Pas seulement de la jeunesse mais tout le peuple. C’est vrai que c’est la jeunesse qui a été le fer de lance mais le reste c’est toute la population qui l’a suivi, jeunes et moins jeunes.
Olofofo : BDF est la doublure du candidat naturel de l’ex-Pastef, Ousmane Sonko. Le considérez-vous comme un président par défaut ?
Olivier Allochémè : Bien sûr que c’est un président par défaut ! Mais il porte les idéaux de son électorat. Il porte les idéaux de son ami. Même s’il est président par défaut, il l’est parce que le peuple sénégalais a pensé qu’il est crédible, aussi crédible que son ami Sonko. Donc dans tous les cas il est élu et il porte la fierté du parti. C’est même dire que Sonko doit être totalement fier du travail qu’il a fait. Il ne s’est pas réduit à n’être que lui. Il a transmis la flamme à des gens valables qui pouvaient prendre la relève quelle que soit la situation. Et donc je crois que même s’il était candidat par défaut, il est aujourd’hui un président plein. Ce n’est pas pour rien que Sonko lui-même l’appelle président. Oui, il est président même s’il a été un candidat par défaut.
Olofofo : On l’a vu, l’ombre d’Ousmane Sonko a plané sur Bassirou Diomaye Faye tout au long du processus au sens propre comme au figuré. Le 26 mars dernier, c’est quasiment ensemble qu’ils ont prononcé le discours de victoire. Comment, selon vous, BDF peut-il asseoire sa légitimité sans se démarquer de son menthor ? En aura-t-il d’ailleurs besoin ?
Olivier Allochémè : Ça c’est des questions qui vont se poser éventuellement si Sonko se mêlait de lui faire de l’ombre. Dans tous les cas, beaucoup ont vu un syndrome sankarien. Comme vous le savez, Sankara est arrivé au pouvoir avec ses amis et ça s’est mal passé. Certains se disent qu’effectivement ça va mal tourner mais ici ce sont des gens qui ont un idéal très fort, très profond. Ils ont été victimes d’un système qu’ils ont combattu ensemble. Ils ont été en prison ensemble, ils ont été radiés de la fonction publique. Radier un fonctionnaire, déjà des gens qui ont fait l’école nationale d’administration, donc qu’on a préparés toute une vie pour être fonctionnaires, les radier de cette fonction publique c’est un traumatisme psychologique. Et ils ont survécu à tout ça. Pour moi, ce sont presque deux personnes qui sont appelées à gouverner ensemble. Heureusement que d’ici septembre, la loi donne la possibilité à Diomaye Faye de dissoudre l’Assemblée nationale et d’avoir un nouveau parlement plus tard. Donc il pourra avoir ainsi à ses côtés Sonko probablement comme président de l’Assemblée nationale. Puisque la loi lui permet de dissoudre l’assemblée nationale. Donc, de ce fait Sonko pourrait avoir un rôle légitime dans la République. Mais il n’aura pas de légitimité, lui (Diomaye Faye), à se démarquer. Sa légitimité sera d’être conforme à l’idéologie qu’ensemble, ils ont construite avec Sonko. Et sa légitimité va s’éroder voir même se brider s’il commençait à avoir une velléité de démarcation vis-à-vis de Sonko. Je crois qu’il le comprend très bien. Il a été élu que pour être conforme, pour appliquer l’idéologie de Sonko et ça, il l’a très bien compris. Et bien sûr nous sommes béninois et nous avons vécu des situations où des amis d’hier sont devenus des ennemis. Mais sur ce chapitre là il n’y avait pas une idéologie qui les liait. Il n’y avait pas des idéaux partagés, contrairement aux deux jeunes sénégalais. Et bien c’est clair que c’est une idéologie partagée, ce n’est pas des aventuriers.
Comme je l’ai dit il n’en aura pas du tout besoin. Parce que c’est des alliés naturels. Même si demain Sonko décidait de prendre la présidence, ce serait peut-être cinq ans après et ce serait tout à fait légitime. Bien sûr il est devenu président et il a en main toute la charge présidentielle avec tout ce que cela comporte comme contrainte. Les résultats qu’il doit produire en étant président ne sont plus les mêmes que les résultats qu’il devrait produire en étant opposant. Les variables changent et donc il va probablement être obligé de changer de peau et de changer de regard. Mais tout compte fait moi je nourris l’espoir que ce changement ne soit pas au point d’affronter celui qui était son mentor.
Olofofo : Dans un contexte de recul démocratique de plus en plus marqué en Afrique de l’Ouest, de quel message l’élection du candidat de l’ex-Pastef est-elle porteuse pour les démocratures de la région et pour la jeunesse ?
Olivier Allochémè : Pour les démocratures, comme vous les appelez, c’est-à-dire les démocraties gantées dans des mains de dictatures, c’est un message assez redoutable. Redoutable en ce que voilà un président qui a mis en œuvre tout l’arsenal de dispositif répressif qui a échoué sur toute la ligne, et il a échoué de la façon la plus lamentable. Je veux parler de Macky Sall (prédécesseur de Diomaye Faye, ndlr). Il a échoué de la façon la plus lamentable et la fin de son deuxième et dernier mandat demeure une humiliation totale pour lui et pour toute son équipe. Donc pour les régimes plus ou moins démocratiques de la sous-région, et bien, c’est une menace. Et je suis convaincu que tous ces régimes vont chercher à resserrer les arsenaux qui permettent de harceler ou bien de réprimer l’opposition. J’ai appris déjà depuis ce lundi que le Togo a mis en place une nouvelle constitution, donc une nouvelle république avec la prérogative désormais donnée à l’Assemblée nationale d’élire le président de la République. Vous voyez que ça concourt à contrôler davantage l’expression démocratique des citoyens et ces genres d’initiatives peuvent se multiplier dans la sous-région. Est-ce que c’est un modèle pour la jeunesse ? Je dis oui ! Un modèle absolu d’engagement désintéressé parce que les jeunes qui s’engagent en politique aujourd’hui au Bénin s’engagent parce qu’ils visent des intérêts matériels pour la plupart. Et surtout ils n’ont aucun fonds d’idéologie. Ceux que je vois n’ont pas une épaisseur, ni un profil politique et idéologique. Du moins en ce qui concerne le Bénin, la plupart des jeunes que je vois s’engager en politique c’est parce qu’ils veulent obtenir tel poste, tel marché, développer leur village, etc. Il n’y a pas une vision d’ensemble pour le pays. Une vision qui soit réellement porteuse d’avenir.
Olofofo : CFA, Accords commerciaux internationaux, ressources naturelles, présence militaire française… L’ex-Pastef a un programme résolument souverainiste. D’ailleurs, c’est par la dénonciation d’un accord économique au désavantage du Sénégal que son leader Ousmane Sonko a fait son entrée dans l’espace politique sénégalais. Leur triomphe est-il en quelque sorte celui d’une volonté de rupture des sénégalais avec le système néocolonial ?
Olivier Allochémè : Absolument ! Le Sénégal comme d’ailleurs la Côte-d’Ivoire, le Cameroun et aussi le Bénin, constituent des exemples de perpétuation de l’entreprise coloniale par d’autres moyens. Si vous prenez par exemple le cas du Cameroun, plus de 80% des recettes fiscales proviennent des entreprises multinationales donc des entreprises étrangères. C’est pareil aussi au Sénégal et presque la même chose en Côte d’Ivoire. Et on travaille à faire la même chose au Bénin. C’est-à-dire que l’essentiel de l’économie est basé sur des entreprises dont le siège se trouve en France, en Chine, en Allemagne et, c’est ce qui est curieux, les économistes viennent nous expliquer que c’est ça qu’on appelle le développement. C’est une véritable aberration, nous ne pouvons pas continuer à accepter ce système qui prive les nationaux africains, béninois de la main qu’ils doivent avoir sur notre économie. L’économie française n’est pas aux mains des étrangers, c’est aux mains des français. L’économie américaine est aux mains des américains. On cherchera toujours à argumenter dans tous les sens pour parler de la Chine mais l’économie chinoise est aux mains des chinois. Et ça ne se passe pas autrement, tant que le système néo colonial sera en place cela va favoriser l’installation de présidents godillots avec des systèmes qui vont créer des mécontentements, des révoltes voir des révolutions. Il faut que cela change, voilà. Et donc le triomphe de Diomaye Faye et Sonko est un message fort adressé à toute la Françafrique. C’est vrai qu’aujourd’hui moi je n’accuse plus les français. Je nous accuse. Cette volonté de rupture doit être nôtre désormais avec le triomphe qu’on a observé au Sénégal. Ça veut dire que nous le pouvons dans d’autres pays.
Olofofo : Auront-ils les moyens de renverser l’ordre établi comme ils l’ont prévu, ou au contraire, vont-ils se confronter très vite aux réalités du pouvoir ?
J’en doute ! Ils vont tenter mais le système qui est en place est un système qui a mis du temps. Au Sénégal ne l’oublions pas, toute l’économie sénégalaise a été pendant longtemps aux mains des français. Et si vous entrez dans l’histoire du Sénégal, le Sénégal était le siège de l’AOF, l’Afrique Occidentale Française. Donc c’était le siège des gouverneurs. Et quand vous allez à Dakar, vous verrez que la plupart des grandes institutions internationales dirigent l’Afrique de l’Ouest à partir de Dakar. C’est l’une des spécificités du Sénégal. Donc vous avez des institutions qui ont un siège sous-régional installé, pour la plupart des institutions financières, onusiennes, etc pour la plupart installées à Dakar. Donc ce sera difficile, c’est une grosse machine mais, il faut qu’ils y mettent de la méthode sinon ils vont être très vite submergés. Surtout si l’appareil militaire ne les suit pas ce serait très compliqué. L’appareil militaro-policier s’il ne les suit pas, il sera très compliqué pour eux de renverser l’ordre établi. Je le dis parce que les tentatives d’assassinat sont très vite arrivées. C’est l’une des variables avec lesquelles il faut vraiment compter. Lorsqu’on atteint des révolutions de ce genre, ils peuvent, ils vont très vite, être confrontés à des tentatives d’assassinats. Et s’ils ne sont pas suffisamment courageux ils vont très vite baisser les bras. Je pense que leur détermination est de taille et il faut compter avec.
Olofofo : Contrairement au Mali, au Burkina et au Niger, c’est par les urnes que les idées souverainistes ont conquis le pouvoir. Quel impact ce raz-de-marée électoral de l’ex-Pastef peut-il avoir sur la situation politique dans le sahel ? Est-ce une opportunité ou au contraire une menace pour les juntes militaires établies dans ces 3 pays ?
Olivier Allochémè : Moi je ne pense pas que cela puisse avoir d’impact sur le sahel. Sur le Sahel proprement dit parce que c’est des régimes déjà militaires dans le Sahel. Or ici nous sommes en face d’un régime typiquement civile, sorti des urnes. Donc la différence est vraiment notable et je doute fort même qu’ils partagent les accointances russes des actuels dirigeants du Sahel. Le problème c’est que si la France se met à leurs trousses, si la France commence à avoir des velléités de chasse comme cela a été par le passé, c’est-à-dire si la France se met à vouloir assassiner les responsables du régime qui est en train de s’installer vous allez voir que tout de suite pour leur propre protection ils vont basculer dans le groupe du Sahel et se mettre sous la protection de la Russie. Et je crois que la France ne commettra plus cette erreur. Parce que c’est à force de harceler et de menacer les régimes, par exemple les régimes du Niger, surtout au Niger, c’est à force de les menacer que Tiani et tous son régime a basculé vers le Kremlin. Et la même chose doit arriver si jamais, peut-être pas vers le Kremlin à proprement parler mais probablement vers une autre puissance capable de les protéger contre les velléités françaises. C’est une variable que les anciens régimes n’avaient pas perçue. C’est-à-dire les régimes qui ont affronté le néo colonialisme pour pouvoir rester et perdurer et ne pas sombrer, ils doivent avoir un soutien fort d’une grande puissance. Et ces grandes puissances c’est la Russie, c’est la Chine. Et ces deux puissances là sont prêtes. Peut-être que la Chine est un peu réservée mais la Russie est vent debout. Donc est-ce une opportunité ou une menace pour les jeunes militaires établis dans les trois pays ? Non ! Ce n’est pas une menace. Peut-être même pas une opportunité. Dans tous les cas ce n’est pas une menace. Si c’est une opportunité ça dépendra de la France. Parce que dès que la France va commencer à les harceler, il n’y a rien à faire, les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Ils vont se mettre directement sous la coupole de Poutine. Il n’y a rien à faire. Cela s’est déjà passé et ça se passera si jamais la France n’accepte pas que les populations africaines ont choisi un autre chemin que la domination néocoloniale.
Olofofo : La proximité idéologique de la nouvelle équipe gouvernementale du Sénégal avec les juntes militaires peut-elle accélérer la résolution de la crise qui les oppose à la CEDEAO et à l’UEMOA ?
Olivier Allochémè : Au contraire moi je pense même que telle que les choses se passent, si la France n’enlève pas son pied de la CEDEAO, le Sénégal risque à son tour de basculer dans l’anti-CEDEAO. Ça risque d’arriver. Le discours que j’entends de Sonko par rapport au CFA est un discours très fort. A la limite c’est des souverainistes, ça c’est clair, et il est évident, le siège sous-régional de la BCEAO se trouve à Dakar. Et bien, Vous verrez qu’ils risquent même de demander à quitter le CFA, parce qu’ils ont été élus sur un programme où il est résolument question de quitter l’ornière française. Et évidemment si la France les y pousse, ils vont se retrouver dans les mains des juntes qui sont là. Mais ce n’est pas les mêmes types de régimes. Les autres c’est des militaires qui ont en face d’eux des crises djihadistes auxquelles ils sont obligés de se confronter donc, les impératifs ne sont pas les mêmes du tout. Ce sont des régimes carrément militaires et ici c’est un régime civil et un programme qui est très clair. Quand vous prenez le cas du Niger moi je dis que c’est un coup d’Etat opportuniste et même une idéologie totalement opportuniste. Et est-ce que ça va être arrimé à ce que nous voyons au Sénégal ? J’en doute très fort. En tout cas cela dépendra de l’opposition qui sera manifestée par la France vis-à-vis de ce nouveau régime. Voilà ce que je peux dire.
Olofofo : Merci Olivier Allochémè.