Régimes militaires et constitutionnalisme : Joël Aïvo déconstruit un mythe

Régimes militaires et constitutionnalisme : Joël Aïvo déconstruit un mythe

Accusé de tentative de coup d’État et condamné à 10 ans de prison dans son pays, l’opposant béninois a opéré cette semaine une prise de position remarquable sur les prises de pouvoir par la force, et les maquillages pseudo-constitutionnels qui les accompagnent. “Le serment prêté dans les régimes militaires n’est qu’un moyen de blanchiment d’un pouvoir conquis par les armes ; il n’a aucune valeur juridique”, écrit-il dans un article scientifique qui vient de paraître.

L’opposant Béninois Joël Aïvo est certes en prison, il n’en a pas perdu pour autant le sens du devoir et l’intérêt pour les bouleversements politiques qui frappent le continent depuis quelques années.

C’est dans la Revue du Droit Public, la plus prestigieuse du monde francophone, que le constitutionnaliste a publié son analyse et ses recommandations au sujet des maquillages institutionnels opérés à l’occasion de ces putschs. En effet, que ce soit à Bamako en juin 2021, à Conakry en octobre de la même année, à N’Djamena en octobre 2022, à Ouagadougou en juin 2021 et octobre 2022, ou tout récemment à Libreville en septembre 2023, les chefs des juntes militaires qui se sont emparés du pouvoir par la force, se sont fait organiser chacun une cérémonie solennelle d’investiture, comme on l’aurait fait pour tout président démocratiquement élu.

D’entrée de jeu, le constitutionnaliste a planté le décor de ce qui sera le sujet principal de sa réflexion : la légalité des actes de prestations de serment. « Au fond, questionne-t-il, qu’est-ce qu’il y a de légal dans les cérémonies de prestation de serment des militaires parvenus au sommet de l’État par la menace des armes ? Que valent ces prestations de serment à mains armées et ces chartes de la transition dont les peuples ignorent tout mais sur lesquelles les militaires prêtent serment ? Est-ce en définitive la participation de ces juridictions suprêmes généralement dissoutes mais qui finissent par recevoir ce serment qui sauve la légalité de ces manœuvres de construction d’un ordre constitutionnel d’urgence ? ».

À ces questions, Joël Aïvo a tenu à répondre avec la plus grande clarté. Pour lui, que la prestation de serment soit unilatérale (c’est-à-dire destinée à « clôturer l’installation du pouvoir militaire ») ou consensuelle, ces cérémonies non seulement ne légalisent pas les coups d’État qui restent fondamentalement « une violation du droit interne et une atteinte brusque et réfléchie aux règles juridiques qui ont pour objet l’organisation et le fonctionnement des autorités constituées dans un pays » (Théodore Holo, 1979), mais surtout, elles n’ont aucune valeur juridique.

Mais, précaution importante pour ne pas laisser naître et se développer une polémique toxique sur une hypothétique indifférence à la faillite de l’État et de la pratique démocratique dans les pays qui ont connu ces bouleversements, l’expert a tenu à pointer les responsabilités des élites politiques. Dans son article, Joël Aïvo dénonce entre autres « l’inculture démocratique de la classe dirigeante dans la plupart des États africains, la carence de l’État et le dévoiement de la démocratie par la faute des élites africaines qui ont érodé la confiance des citoyens et fait le lit aux aventures militaires ».

Pour autant, précise-t-il rien de ces raisons ne sauraient conférer la moindre légitimité à ces prestations de serment qui sont dénuées de toute valeur juridique. L’auteur point trois vecteurs d’illégalité à savoir, (1) la suspension de la constitution et la dissolution des institutions de la république, (2) la norme sur laquelle le serment est prêté, c’est-à-dire une charte de transition, « élaborée à la hâte par les militaires, sous le sceau du secret et introuvable jusqu’au jour de la prestation de serment », et enfin (3) le juge qui reçoit le serment du président de la transition, et qui est supposé avoir été démis de ses fonctions, jusqu’à la réception du serment. De fait, précise l’auteur la portée juridique de ces prestations de serment est « quasi nulle ».

Arrêté au lendemain de l’élection présidentielle d’Avril 2021 dans son pays et condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour des accusations de tentative de coup d’État et blanchiment d’argent, cette prise de parole du professeur Joël Aïvo peut apparaître bouleversante pour la part de l’opinion publique qui croit aux accusations pour lesquelles il a été condamné. Beaucoup en revanche y voient une preuve supplémentaire de son attachement à la démocratie et à l’état de droit.

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