17 septembre 2024

Réckya Madougou : 1000 jours de détention injuste

Malgré l’avis du Groupe de Travail des Nations Unies contre les détentions arbitraires, l’ancienne ministre de la justice boucle aujourd’hui son 1000e jour derrière les barreaux.

« Je ne compte pas gracier madame Madougou ». Cette sentence, prononcée de façon lapidaire, le 27 novembre dernier par le président Patrice Talon lors de sa rencontre avec les responsables du parti Les Démocrates, a certainement eu l’effet d’un autre coup de poing sur la gueule de Réckya Madougou. Arrêtée le 03 mars 2021 à la fin d’un meeting conjoint avec l’autre opposant, Frédéric Joël Aïvo, la candidate LD est gardée entre les liens de la détention depuis le 05 mars de la même année. Cela fait donc aujourd’hui 1000 jours que Réckya Madougou est en prison pour des faits de « financement du terrorisme ».

Kidnappé en pleine rue


Le 03 mars 2021, Réckya Madougou était à Porto-Novo où le Professeur Joël Aïvo et le Front pour la Restauration de la Démocratie (FRD) organisaient un grand meeting pour dénoncer l’exclusion de l’opposition du processus électoral. La candidature de l’universitaire avait aussi été invalidée pour les mêmes raisons. Avant ce meeting, trois de ses proches, messieurs Bio Dramane Tidjani, Sacca Zimé Georges et Mama Touré Ibrahim avaient déjà été arrêtés et gardés à vue. Dans son discours, Réckya Madougou a évoqué les menaces d’arrestation et annoncé qu’elle n’avait pas peur.
Après une première tentative d’arrestation sur les lieux du meeting qui a échoué, la voiture qui la transportait vers Cotonou est interceptée sur le pont. Elle en est extraite manu militari, jetée dans la voiture des policiers, et emmenée à la brigade criminelle.

Placée sous mandat de dépôt deux jours après son arrestation, Réckya Madougou fera l’objet d’une violente campagne de dénigrement dans les médias. Elle y est présentée comme une dangereuse criminelle, qui aurait mobilisé de l’argent pour financer l’assassinat de personnalités politiques et déstabiliser le pouvoir.

Procès politique


Cette campagne a été menée par le procureur spécial de la Criet avec l’aide d’un de ses anciens collègues ministres (Modeste Kérékou) passé du côté du pouvoir en place. Mais elle n’a pas réussi à convaincre l’opinion de la culpabilité de la détenue. Au début du mois d’avril, soit à peine un mois après son arrestation, le juge Essowé Batamoussi qui était en charge du dossier a démissionné et dénoncé les pressions politiques dont ses collègues et lui faisaient l’objet. « Toutes les décisions que nous avons été amenés à prendre l’ont été sur pression, y compris celle qui a vu le placement de madame Reckya Madougou en détention. Dans ce dossier, nous avons été sollicités par la chancellerie (le ministre), car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention ».
 
Le 10 décembre 2021, plus de 10 mois après son arrestation, s’ouvre le procès devant la CRIET. L’un des avocats français de l’accusée, Maître Antoine Vey, a claqué la porte du procès en dénonçant la partialité du tribunal et les violations graves des droits de la défense : « Monsieur le président, votre juridiction ne présente aucune garantie d’indépendance », a-t-il lancé au juge Guillaume Lally avant de sortir. Le verdict du tribunal tombe au petit matin du 11 décembre : 20 ans de prison ferme et 50 millions d’amende.
Mais plus de deux ans après, la détention de Réckya Madougou continue d’être un véritable poil à gratter pour le gouvernement béninois. Le 2 novembre 2022, le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU a déclaré que « la privation de liberté de Reckya Madougou est triplement arbitraire ». Il demande donc au gouvernement béninois de la « libérer immédiatement », la dédommager et initié une enquête indépendante pour situer les responsabilités des auteurs de sa mésaventure. À cette date, le gouvernement béninois est resté sourd à cette injonction.

Combativité


Les conditions carcérales de Réckya Madougou sont un véritable calvaire. Son avocat, maitre Renaud Agbodjo a dénoncé à plusieurs reprises les conditions dans lesquelles La candidate des « démocrates » est en effet soumise à un régime carcéral digne d’un isolement dans le vocabulaire pénitentiaire, et équivalent au sort réservé aux aux dangereux criminels. « Ses conditions de détention, qui étaient déjà très difficiles au moment de son interpellation, ne cessent de s’aggraver », déplorait Me Renaud Agbodjo sur les antennes de la radio française RFI.

En prison, Réckya Madougou a connu l’isolement, puis la promiscuité. Elle a connu les brimades et les privations de ses droits les plus élémentaires. En réaction à l’indignation que ces conditions de détentions provoquaient dans l’opinion publique, le porte-parole du gouvernement, l’avocat Alain Orounla répond : « une prison n’est pas un hôtel 5 étoiles ».

Mais malgré la dureté de ses conditions de détention, Mme Madougou n’a jamais baissé les bras. Elle a continué de se mettre au service des autres. Par exemple, elle a grandement contribué à l’amélioration progressive du traitement réservé aux peulhs, raflés par centaines dans le nord du Bénin, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, et entassés dans les prisons comme des sous-hommes. Elle a continué d’apporter sa contribution à l’amélioration des conditions de vies des femmes et des enfants, à travers de nombreuses œuvres sociales.
À 49 ans, Reckya Madougou est l’une des femmes politiques les plus en vue au Bénin. Ancienne garde des sceaux et porte-parole du gouvernement béninois, elle fut deux fois ministre du gouvernement Boni Yayi, (Microfinance, Emploi des jeunes et des femmes, puis garde des Sceaux, ministre de la Justice, porte-parole du gouvernement).
 
En avril 2016, elle devient conseillère spéciale du président togolais Faure Gnassingbé, avant de revenir au Bénin cinq ans plus tard où elle a tenté de se présenter à l’élection présidentielle d’avril 2021, sous la bannière du plus grand parti de l’opposition béninoise « Les Démocrates ». Mais sa candidature sera rejetée pour défaut de parrainage. Le 03 mars, elle est arrêtée sur la base d’accusations de financement de terrorisme, ce que l’opposition et le juge initialement chargé de l’affaire dénoncent comme une mesure politique arbitraire.

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