Bien que n’étant pas dans le même camp politique et ne nourrissant pas les mêmes ambitions, le positionnement du professeur Joël Aïvo et les résultats obtenus par Jacques Ayadji nourrissent quelques réflexions.
Y a-t-il des acteurs politiques indépendants de Talon et de Yayi ? Sur quelles organisations, sur quels hommes le pays peut-il espérer bâtir son avenir ? Un avenir paisible, démocratique et surtout débarrassé de menaces de vengeance ou d’envie de revanche d’un camp contre un autre, des héritiers de Yayi contre les lieutenants de Talon. Pour nous à Olofofo, deux forces politiques se démarquent clairement dans les rangs des indépendants : le professeur Joël Aïvo et Jacques Ayadji.
La génération Aïvo : l’avenir ?
Que pèse Joël Aïvo dans le paysage politique béninois ? Cette question est dans la tête de tous les observateurs de la vie politique béninoise, mais sans doute également dans la tête du président Patrice Talon et de ses conseillers. Arrêté au lendemain de la présidentielle de 2021 et condamné à 10 ans de réclusion criminelle, son incarcération semble avoir eu pour effet de renforcer sa légitimité. Plus de deux ans après son arrestation, le réseau des soutiens de Joël Aïvo est resté intact et tout indique qu’à la différence de ses « concurrents » d’aujourd’hui et de demain, il mènera son propre combat. Le régime assiste impuissant au durcissement de la mobilisation des Béninois autour de Joël Aïvo et à l’intensification de la défense de la démocratie, préoccupation numéro 1 de l’universitaire. En témoignent la ferveur avec laquelle le public béninois commémore chaque anniversaire de son arrestation, ou chaque 18 juillet, date de naissance du prisonnier. La question de sa libération semble dépendre de l’idée que le pouvoir de monsieur Talon se fait de l’influence politique que conserve l’homme du « dialogue itinérant ».
Déjà en 2021, le constitutionnaliste voulait incarner une voie alternative au combat Yayi-Talon. À l’époque, pour échapper à la pesanteur des deux présidents il aurait poliment décliné l’offre de faire partie des membres fondateurs du parti « Les Démocrates ». Pour lui, « s’engager contre la gouvernance politique de Patrice Talon ne signifie pas qu’il faut aller renforcer le Yayisme et ses anciens collaborateurs, confie un de ses conseillers. Pour poursuivre la transformation du Bénin et asseoir une démocratie apaisée, Joël Aïvo est convaincu qu’il faut sortir le Bénin, ses institutions et son économie de l’affrontement entre Patrice Talon et Boni Yayi. C’est le sens de la candidature indépendante qu’il a construite pour s’interposer entre les deux camps. », précise-t-il. Si sa candidature n’a pas prospéré faute de parrainage, la suite des événements l’a imposé comme un des hommes politiques les plus décisifs de ces dernières années. Son opposition à la politique du président Talon, son indépendance à l’égard du Yayisme, son courage sur le terrain et son discours sans ambiguïté l’ont placé dans une posture de recours potentiel, de voie de secours possible. En tout cas, comme un des hommes clés avec lesquels il faudra compter pour les 20 ou 30 prochaines années.
« Ni parrain, ni président d’honneur »
L’irruption en 2019 du constitutionnaliste dans l’arène politique en reconstruction, avait d’abord été accueillie par avec un sourire en coin. Mais très tôt, son engagement politique a changé la donne sur le terrain. En deux ans de « dialogue itinérant », Joël Aïvo a redonné confiance à l’opposition. La vague populaire que sa candidature a provoquée, l’a positionné non seulement comme le principal adversaire du président Talon mais surtout comme le seul candidat capable de l’emporter en 2021 en cas de scrutin ouvert et concurrentiel. Depuis, « le professeur » est devenu l’une des personnalités politiques les plus respectées du Bénin, avec des cadres et des relais partout sur le territoire.
Le positionnement stratégique de Joël Aïvo sur un échiquier aujourd’hui confisqué par Talon et Yayi est à juste titre considéré comme un véritable exploit. Mieux, contrairement aux personnalités de sa génération, héritières de Boni Yayi comme protégées de Patrice Talon, Joël Aïvo a dû construire son capital politique seul dans un environnement hostile. « Toute proportion gardée, Joël Aïvo combat presque à armes égales avec Patrice Talon et Yayi Boni qui n’ont ni parrain ni président d’honneur », s’enflamme Ibrahim Kora, un de ses soutiens dans la commune de N’dali (nord Bénin). Même Adrien Houngbédji dont il a été plusieurs années le directeur de cabinet et qui aurait pu être son mentor politique naturel, a préféré se ranger derrière Patrice Talon. Et à défaut d’avoir le soutien du PRD, Joël Aïvo a même dû faire face à l’hostilité de son président qui, dit-on, aurait même usé de toute son influence pour empêcher sa candidature et entraver son ascension politique. Quel est l’avenir de cette dynamique autour de Joël Aïvo, et surtout quelle forme et quelle direction prendra-t-elle dans les mois et années à venir ? Seul l’avenir le dira.
Jacques Ayadji : l’émergence amorcée ?
Dans ce dernier groupe des forces montantes débarrassées de tout parrainage ostensible, nous pouvons citer Jacques Ayadji et son MOELE-Bénin. Ancien chroniqueur sur l’émission « La caravane du matin » de radio Tokpa, une chaine privée du Bénin, Jacques Ayadji s’est révélé à travers ses prises de positions remarquables sur plusieurs sujets notamment politiques où il s’était souvent montré très acerbe contre le régime de Boni Yayi. Après avoir dénoncé violemment la candidature de Patrice Talon en 2016 sur plusieurs de ces chroniques, il a fini par le rejoindre au second tour de l’élection présentielle par le truchement du jeu des alliances. Son candidat au premier tour était Abdoulaye Bio Tchané, l’actuel numéro 2 du gouvernement. C’est donc sans surprise que l’Ingénieur en génie civil, haut fonctionnaire de l’Etat, a été nommé à la tête de la stratégique et immense Direction générale des infrastructures du Ministère de travaux public et du transport dès les premiers jours du nouveau régime.
Dans la perspective des élections législatives de 2019, et contrairement à toute la galaxie du pouvoir, l’ancien syndicaliste s’est démarqué des deux partis créés par le président Patrice Talon pour créer à la surprise générale son propre parti, MOELE-Bénin. Perçu au début dans l’opinion comme un parti-lige créé pour perturber le jeu électoral de 2019 et malgré le rejet de leur candidature aux élections législatives de 2019 et celles des communales 2020, Jacques Ayadji et son parti se sont montrés résilients face aux mépris et à l’adversité de leurs propres partenaires politiques de la mouvance présidentielle. Annoncé tantôt au Bloc Républicain, tantôt à l’Union Progressiste le Renouveau, Jacques Ayadji et ses camarades se sont montrés déterminés à garder leur ligne politique, celle de soutenir l’action du gouvernement sans s’inféoder aux deux partis siamois. Malgré les frustrations et les difficultés actuelles de son parti liées à l’occupation excessive de l’espace politique par les deux partis présidentiels, il apparaît évident que l’actuel Directeur général des infrastructures de transport et son parti ont décidé de construire tout seul leur destin politique. En un mot, ils ont opté pour le choix difficile mais intelligent, celui de parier sur l’avenir.
Cinquième force politique du Bénin juste derrière les FCBE et devant le MPL et l’UDBN au regard des statistiques des dernières élections législatives, MOELE-Bénin se construit à petits pas une envergure nationale. Le parti est présent dans les 345 arrondissements du pays et se définit clairement comme un creuset de jeunes et de femmes engagés pour un Bénin meilleur.
Jacques Ayadji et ses camarades pourront-ils entretenir cette flamme de l’espoir pour combien de temps encore ? Prochain test : les élections générales de 2026.