Le « yayisme » et ses lieutenants : E. Houndété, N. Atchadé, K. Koutché et R. Madougou, prêts à en découdre

Le « yayisme » et ses lieutenants : E. Houndété, N. Atchadé, K. Koutché et R. Madougou, prêts à en découdre

Au sein du parti « Les Démocrates », une kyrielle d’acteurs relativement nouveaux se livrent une lutte sans merci pour représenter Boni Yayi prochaines joutes électorales.

Yasmine Affi Lawson

Boni Yayi, incarne le deuxième courant important du paysage politique sous Patrice Talon. Il est d’ailleurs probable que les partisans et héritiers du yayisme occupent l’espace politique béninois pour plusieurs années encore. Pour les échéances électorales à venir, Boni Yayi compte peser de tout son poids. L’ancien président ne s’est pas pardonné d’avoir laissé Patrice Talon, « son pire ennemi », s’emparer du pouvoir, alors qu’il avait les moyens de le briser définitivement. Surtout que le « pacte de non-agression » convenu avec ce dernier sous les hospices des présidents togolais Faure Gnassingbé et ivoirien Alassane Dramane Ouattara n’a jamais été respecté. L’activisme de Boni Yayi après avoir quitté le pouvoir lui a valu, de goûter avant le nigérien Bazoum, les effets d’une prise d’otage politique. Le prédécesseur immédiat de Patrice Talon a subi 52 jours d’une assignation à domicile illégale, plusieurs mois d’exil forcé ainsi que le vol de son parti historique, les FCBE. Depuis, Boni Yayi ne rêve que de revanche. Même si ses adversaires le soupçonnent de caresser secrètement le rêve de redevenir, on ne sait par quelle acrobatie, président de la république, constitutionnellement, Boni Yayi ne peut plus se présenter à une élection présidentielle au Bénin.

Pourtant, comme Patrice Talon, Yayi est à la tête d’un important fonds politique qui hélas, ne servira à rien à son propre profit. Malgré son impressionnante côte de popularité, Boni Yayi ne peut plus être candidat lui-même. Or, c’est sur sa tête et sur son nom que s’est construite l’amicale des sympathisants et nostalgiques de son passage à la tête de l’État. Le Parti « Les Démocraties » aurait parfaitement pu s’appeler « Parti Yayi Boni » tant la personne de l’ancien président impacte tout, régule tout et règle tout au sein de ce parti d’opposition. Yayi Boni décide de tout dans ce parti et tous ceux qui dirigent le parti le dirigent par procuration, car LD c’est d’abord et avant tout le patrimoine de Yayi. Les militants qui font la force de ce parti suivent personnellement Boni Yayi, leur vrai leader, de parti en parti quel qu’il soit. Hier, ils étaient avec lui aux FCBE, aujourd’hui ils l’ont suivi au LD, demain, l’électorat de Yayi Boni sera capable de le suivre dans un autre parti s’il le décide. Boni Yayi est donc le vrai propriétaire des LD et toutes les personnalités qui animent ce parti sont les « outils » de sa vengeance contre Talon. Elles sont toutes ses protégés, ses « enfants », elles vivent et profitent de la popularité de Yayi. Il n’est pas exagéré de dire que les dirigeants et toutes les personnalités qui se revendiquent du parti de Yayi font carrière grâce à l’aura et à la popularité de ce dernier.

Faute de pouvoir se présenter lui-même à la présidentielle de 2026, c’est parmi ses personnalités qui font la politique avec son nom et son héritage que le président Yayi va devoir trouver son candidat. Une kyrielle de prétendants se livrent une lutte sans merci pour représenter Boni Yayi au scrutin de 2026. Eric Houndété, Komi Koutché, Réckya Madougou, Nouréinou Atchadé sont les principales figurent qui se disputent l’héritage du Yayisme.

Eric Houndété et Nourénou Atchadé : les hommes du système

Au sein de la chapelle politique de Yayi, deux hommes se regardent en chien de faïence. Éric Houndété, transfuge de l’Union fait la Nation et Nourénou Atchadé soutien historique de Yayi. Aujourd’hui, les deux hommes se partagent la direction du parti Les Démocrates et se déchirent au vu et au su de tous les autres responsables. Eric Houndété doit plus sa présence à la tête du plus grand parti de l’opposition du Bénin à la volonté personnelle de Boni Yayi qu’à une véritable adhésion des cadres et militants qui se souviennent des intrigues et manœuvres du natif de Kpomassè contre leur leader du temps où ils étaient aux affaires. Par ailleurs, Boni Yayi a développé une véritable phobie pour les accusations de régionalisme et redoute que le choix d’une personnalité du nord ne lui fasse perdre le soutien de l’électorat du sud. C’était déjà pour les mêmes raisons qu’il avait choisi ses ex-ministres Valentin Djênontin originaire de Covè, puis Paul Hounkpè le natif de Bopa, à la tête des FCBE.

Président des Démocrates depuis sa création, Eric Houndété est à la tête d’une armée dont il n’est pas le commandant en chef. Néanmoins, il se voit candidat du parti aux prochaines présidentielles de 2026. Parviendra-t-il à déjouer mieux qu’en janvier 2021, les forces intérieures de son parti favorables à un candidat du nord du Bénin et qui étaient allées démarcher l’ancienne garde des sceaux Réckya Madougou pour le contrer ? Là est toute la question. Pour l’échéance de 2026, Eric Houndété surveille comme du lait sur le feu son vice-président Nourénou Atchadé. Originaire du septentrion, le président du groupe parlementaire « Les Démocrates » à l’assemblée nationale joue sa chance, conscient que la sociologie, l’ethnologie, et les rapports de forces au sein du parti jouent pour un homme de son profil. Il n’y pas de raison que les mêmes forces et les mêmes discours qui ont conduit à la désignation de Réckya Madougou ne jouent pas en sa faveur. Nourénou Atchadé est convaincu qu’il mérite l’onction de Boni Yayi à qui il est resté loyal en dépit de toutes les péripéties par lesquelles ils sont passés. Pour l’instant, la guerre froide entre les deux hommes se poursuit.

Komi Koutché et Réckya Madougou : les enfants légitimes

Contrairement aux deux précédents, Komi Koutché est en exil depuis plus de cinq (5) ans, et Réckya Madougou en prison. Traqué par Patrice Talon et par la justice béninoise, Komi Koutché a dû abandonner fonctions et ambitions pour sauver sa peau. Il a, en commun avec Atchadé d’avoir été sortis de l’anonymat par Boni Yayi qui a fait d’eux des acteurs politiques de premier plan. Issu des réseaux ethniques de Yayi, Komi Koutché a connu une ascension en flèche, du fonds national de la microfinance au ministère d’état chargé de l’économie et des finances. Avant son départ en exil, Komi Koutché s’organisait pour sortir de l’ombre de Boni Yayi. Mais quoi qu’il fasse le fils de Bantè est répertorié comme étant sous pavillon Yayi. Koutché doit sa carrière politique au président Boni Yayi et si demain, comme il en rêve, il s’impose aux héritiers du yayisme, il sera prêt à s’abriter sous le parapluie de Yayi et revendiquer son héritage.

En dehors du président Yayi lui-même, Réckya Madougou est aujourd’hui sans aucun doute la figure la plus importante du parti « Les Démocrates ». Dans le Yayisme, trois facteurs ont contribué à donner à Madougou une avance confortable sur ses rivaux héritiers de Yayi. Il s’agit d’abord de la prison, ensuite de ses fonctions auprès de Yayi et enfin de son encrage au nord. En 2021, sa candidature qui n’était pas attendue ni préparée est perçue comme un cheveu sur la soupe. Aujourd’hui, son statut de martyr politique a réussi à éclipser toute autre figure au sein du parti.

Réckya Madougou a fait son irruption sur la scène politique national grâce à la campagne « Touche pas ma constitution » en 2005. La jeune responsable marketing de l’opérateur téléphonique Bell Benin aura par la suite une carrière ministérielle fulgurante après la victoire à l’élection présidentielle en 2006 de Boni Yayi. Son apprentissage du pouvoir d’État la conduira tour à tour au ministère de la microfinance, puis pour quelques mois à celui de la justice. Installée au palais présidentiel de Lomé où elle assumait des fonctions de conseillère en inclusion financière, Réckya Madougou avait joué un important rôle dans le retour d’exil de l’homme d’affaires Patrice Talon, et a activement combattu Lionel Zinsou, le candidat de Boni Yayi à l’élection présidentielle de 2016. Si sa réconciliation avec Boni Yayi avait quelque peu surpris les observateurs, le choix que ce dernier a porté sur elle pour porter l’étendard de son parti à l’élection de 2021 en avait dérouté plus d’un.

En cas de primaire aujourd’hui au sein du parti, Réckya Madougou est assurée d’écraser tous ses concurrents. Elle s’adjugera le contrôle du Parti Les Démocrates » et a toutes les chances de porter les couleurs de Yayisme dans les prochaines présidentielles. Deux ans et demi après le dernier scrutin présidentiel, c’est bien Réckya Madougou que les circonstances actuelles désignent comme l’héritière la plus légitime du Yayisme.

Une question se pose néanmoins. Suffira-t-il de porter les couleurs du Yayisme pour gagner une présidentielle au Bénin ? Le rejet de Patrice Talon veut-il automatiquement dire l’envie du peuple béninois de revoir les héritiers de Yayi aux commandes de l’État ? En cela, les héritiers et autres courtisans de Boni Yayi gagneraient à préalablement auditer la popularité de Yayi avant de chercher à représenter ce courant politique pour l’avenir. Cette popularité de Boni Yayi, teintée de nostalgie du passé et de défiance à l’égard de Talon signifie-t-elle que les béninois auraient envie de revivre la gouvernance de l’homme de Tchaourou ? L’heure de la réponse ne tardera pas à arriver.

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