Longtemps étouffée, la parole veut “respirer”, sous la rupture finissante de Patrice Talon.
En moins d’une semaine, les Béninois ont pu entendre des choses, plus ou moins osées, de la part de gens habituellement muets à l’exception d’un seul. D’abord le vieil Ousmane Batoko, le baroudeur : leader de la jeunesse révolutionnaire d’un passé douloureux, ancien ministre, ancien président de la Cour suprême, fonctionnaire et universitaire. Son dernier crime : avoir réalisé une vidéo virale sur les réseaux sociaux à propos de la liberté sous éteignoir au Bénin, pays de la conférence nationale des forces vives de la nation et berceau de la démocratisation de l’Afrique. La grandiloquence régimiste ne lui a fait aucun cadeau après sa sortie. Tous les noms d’oiseaux ont été revisités sans surprise.
Ensuite, il y a eu le doyen Phillipe Nseck, vestige de la radiotélévision nationale, désormais à la retraite. En un pamphlet épistolaire très rugueux contre l’écrasement des minorités par le régime Talon, l’ancien journaliste n’a pas fait économie de son indignation. En ligne de mire le code électoral qui n’accorde aucune chance aux identités minoritaires dans le pays. Il faut réunir au moins 20% des suffrages exprimés dans chacune des 24 circonscriptions électorales avant d’espérer être représenté à l’Assemblée nationale. “La démocratie est certes l’exercice du pouvoir par la majorité. Mais de là, à dénier aux minoritaires, le droit de s’exprimer et de porter un regard critique sur la gouvernance du pays, est un pas qu’il faut se garder de franchir” écrit-il dans une tribune libre qui continue de nourrir les files de discussion sur les forums.
Et puis il y a eu la déclaration en ligne du président d’Objectif Bénin 26, Jean-Eudes Mitokpè, un autre homme de médias. Là, c’est la totale lorsqu’on arpente les morceaux choisis : “médias soudoyés” ; “élections biaisées et manipulées comme on en a l’habitude depuis 2019” ; “Boko n’est pas Talon”… L’orateur n’est rien d’autre que l’un des partisans inconditionnels d’Olivier Boko, présidentiable et considéré dans un passé très récent comme l’un des piliers du système et le seul ami collant de Patrice Talon. Lorsque lui cite en modèles dans son réquisitoire les deux plus célèbres prisonniers politiques Reckya Madougou et Joël Aïvo, on se croit la tête dans les nuages.
Jean-Eudes Mitokpè n’a pas dit que ça du régime qui était le sien il y a encore quelques mois peut-être : “Depuis 2016, les Béninois ont été trahis” ; “Notre pays a dérivé d’une démocratie en construction vers un régime de plus en plus autocratique”… Les mots sortaient, drus, crus, sans concession. Une rupture en lambeaux sans aucun doute. Beaucoup redoutent que le Bénin ne soit déjà rentré dans une vendetta pour le moment orale mais qui ne tarderait pas à devenir de plus en plus poignante voire saillante. L’apprivoisement de la parole qui a réussi au système jusque-là prend de l’eau de tous les côtés.
Les éléphants se battent…