Une tribune de AKPOVI Constantin, Expert en Démocratie et gouvernance publique.
Le sujet est sensible et alimente bien de débats au Bénin. Et en parler fait le lit à des pots de fleurs au sein des partisans ou à des jets de pierre dans le rang des détracteurs. Joël Frédéric AIVO, jeune dandy, brillant universitaire à la renommée établie, passera-t-il dix (10) années de sa vie en prison pour avoir osé envisager, un instant, briguer le fauteuil présidentiel ? À cette interrogation, bien peu de citoyens, admirateurs ou non, du constitutionnaliste s’aventurent à donner une réponse définitive.
Car, il faut s’empresser de le dire, dans le paysage médiatique Béninois, l’homme ne laisse personne indifférent.
Doté d’un charisme qui emballe, d’une allure de Prince Porto-Novien et d’un parcours qui entretient dans le cœur des plus jeunes le rêve d’une réussite sociale exemplaire, l’ancien doyen de la Faculté de Droit et Sciences Politiques (FADESP) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) a le profil rêvé, presque parfait dans le contexte incertain et ténébreux d’un pays aux opportunités rares et aux ressources limitées.
Amoureux du verbe châtié et enseignant adulé par ses apprenants, l’Agrégé de Droit devenu au fil des ans, ardent défenseur et sentinelle assumée des valeurs Démocratiques héritées de la Conférence des forces vives de la Nation de 1990, celui qui postule à l’héritage intellectuel des Professeurs Maurice AHANHANZO-GLELE, Théodore HOLO et autres, passe désormais ses heures et ses jours, ses semaines et ses mois dans les geôles de la prison de Cotonou depuis avril 2021 avant d’être reconnu coupable, le mardi 7 décembre de la même année, de blanchiment de capitaux et de complot contre l’autorité de l’État puis condamné par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) à 10 ans de réclusion criminelle.
Revient-il au chroniqueur de contester une décision de justice, de la peindre en noir ou d’inciter à rébellion populaire contre une sentence judiciaire ? Point du tout et là ne saurait être l’objet de la présente réflexion qui découle, faut-il le préciser, à toutes fins utiles, du droit constitutionnel reconnu à chaque citoyen de participer aux débats à caractère public.
Car, pour dire vrai, le chroniqueur le sait : “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer”. Nul ne saurait, de ce fait, se soustraire à la punition légale et légitime des cours et tribunaux lorsqu’il transgresse délibérément ou non les règles qui régissent la vie en société.
C’est d’ailleurs, au nom de cette universelle vérité que voleur de téléphone ou de poulet, auteur de violences ou de détournement de fonds, coupable de viol ou de mutilations diverses, séjournent loin de tous, derrière les barreaux en guise de sanction à la commission d’une infraction.
Mais, alors que l’on est en droit d’avoir le cœur en peine et solliciter la miséricorde pour ces frères et sœurs, filles et fils de la nation issus bien souvent de milieux défavorisés, fautifs au regard des normes sociales, il n’est point exclu d’avoir à l’esprit certains cas, certains faits qui alertent la conscience collective. Il est ainsi du cas Joël AIVO.
À l’analyse en effet, les différends à caractère politique n’ont point vocation à faire éteindre des vies, à noyer dans l’océan trouble du silence les meilleurs ambassadeurs d’une nation en construction, en quête d’identité sur la scène régionale voire internationale.
Le chroniqueur demeure convaincu que de telles contradictions pacifiques, toutes résultant du désir de chaque citoyen d’apporter une pierre à l’édification du pays, ne peuvent être exclues mais ne doivent être, dans un contexte démocratique, des motifs d’exclusion d’adversaires ou de répression des voix dissonantes.
Au fond, la prison n’est point le point de chute d’adversaires politiques dans une nation apparentée aux « Démocraties » et qui jure, à la face du monde, ne point avoir pour source d’inspiration les pratiques promues et exécutées dans de pays tels que la Russie, la Corée du nord, la Chine…
En mémoire des pères fondateurs de la Démocratie Béninoise dont les sacrifices ont posé les jalons du label démocratique de ce pays à l’histoire politique riche, aucun Béninois ne saurait demeurer insensible au sort du fondateur de l’Association Béninoise de droit constitutionnel (ABDC) et expert Onusien.
Il convient de le dire, point n’est besoin de connaître l’homme encore moins de l’affectionner. Mais, il faut s’émouvoir à l’instar de tant d’universitaires, hommes politiques, acteurs de la Société civile…à travers le monde, de voir une étoile si brillante, un soldat aux initiatives si vivifiantes, un cœur si fougueux au service du rayonnement de la Démocratie croupir là-bas, derrière les barreaux décrépis, éloignés des salles de cours où il inoculait les vertus de la démocratie à ses apprenants et des débats nourrissants de la vie publique pour des raisons que bien des Béninois ont encore du mal à cerner tant la clarté des motifs de l’emprisonnement du constitutionnaliste demeurent flous.
Mais, partout et depuis toujours, l’on le sait : le destin est bien mystérieux et peut, parfois, faire jaillir des ténèbres les plus sombres, la lumière la plus vive, peut soustraire de la position la plus vile pour faire siéger dans le palais le plus majestueux. Nelson MANDELA en Afrique du sud, Lula da SILVA au Brésil et plus récemment le duo Bassirou Diomaye FAYE – Ousmane SONKO au Sénégal témoignent que rien n’entrave durablement ou de façon définitive le destin. Au contraire, les actes et gestes des uns et des autres peuvent concourir ou servir de prétexte à sa réalisation.
Trois (03) longues années se sont maintenant écoulées et l’espoir de voir JFA – pour ses intimes- mettre sa verve et son savoir au service de son pays et de ses compatriotes n’a pas franchi le cap de la réalité. Mais, sous le ciel des hommes, aucune certitude n’est absolue. Et des signaux entretiennent l’espoir d’un réexamen de la situation de ce fils du pays à qui l’on ne reproche ni détournements de deniers publics encore moins crime de sang.
Joël AIVO est fils de ce pays nôtre et sa notoriété, qui n’est plus à démontrer, fait rayonner le Bénin d’honneur et de fierté. Cet homme-là, ce talent si apprécié là n’est point un criminel à mettre sous un boisseau pour y étouffer sa lumière trop vive. Notre conviction demeure ferme que Joël AIVO n’est point un saint. Mais, de tous les citoyens du Bénin, il fait incontestablement partie des rares modèles à magnifier.
Le chroniqueur a lu Martin Luther KING qui, au prix de sa vie, a allumé la flamme de l’espérance en un monde de dignité et d’égalité au sein de la communauté afro-américaine méprisée, bâillonnée et à laquelle la haine raciale et le système étatique avaient dénié toute humanité. De cet homme à l’intelligence singulièrement lumineuse, je retiens ces propos qui résonnent encore aujourd’hui : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des hommes méchants ; c’est l’indifférence des hommes bons ».
Devant l’histoire, ma plume aura interpellé !
Cotonou, le 20 avril 2024.