Énième modification des lois électorales : cette fois, il faut dire non

Énième modification des lois électorales : cette fois, il faut dire non

Loin de renforcer les institutions et les partis politiques, toutes les réformes politiques que le président Talon a initiées depuis son avènement ne l’ont été que pour exclure ses concurrents du jeu politique et s’assurer le monopole absolu sur la composition des institutions. Cette fois-ci l’opposition et les déçus de la majorité auront-ils l’intelligence d’unir leurs forces pour barrer la voie à cette énième manipulation ?

Le scénario est le même depuis que le président Talon s’est installé au Palais de la Marina en 2016 : à l’approche de chaque rendez-vous électoral, il fait modifier les lois et y introduit des dispositions qui le laissent seul maître du jeu. Et quand il est trop tard pour modifier une loi électorale qui ne lui garantit pas la maîtrise totale du scrutin, c’est la cour constitutionnelle qui vole à son secours.

En 2019, c’est avec le certificat de conformité, sorti du chapeau de Joseph Djogbénou, qu’il a barré la route de l’assemblée nationale à tous les partis sauf l’UP et le BR, qu’il a créés quelques mois auparavant. Les législatives qui s’en sont suivies ont été un véritable carnage, avec un peloton de militaires tirant à bout portant sur des manifestants désarmés dans les rues de Cotonou. À Savè, à Bantè, à Tchaourou, à Parakou et à Kandi, les mêmes scènes de violence et de désolation se sont répandues. Le résultat du tripatouillage des textes a conduit à la 8e législature, désormais reconnue comme étant la législature de toutes les calamités. Les policiers viennent d’en faire les frais. Conscient des crimes engendrés par son holdup, le camp Talon s’est empressé d’amnistier ce carnage sans que le bilan ne soit jamais communiqué.

2021 : bis repetita. En novembre 2019, une modification unilatérale de la constitution permet au Président Talon de modifier à son avantage les critères de candidature pour l’élection présidentielle. Le parrainage est institué et en même temps confisqué par les deux partis de Patrice Talon. La conséquence de ce deuxième tripatouillage est que tous les candidats sérieux de l’opposition ont été privés de parrainage et exclu de la présidentielle de 2021. Là encore, il y eut des scènes de violence, de nouvelles tueries, de nouvelles arrestations et de nouveaux départs en exil.

2020 : Le président Talon organise des élections municipales au cours desquelles il fit suspendre le processus électoral pour tripatouiller une nouvelle fois la loi afin de faire nommer les maires par les chefs de ses Partis. Désormais, les maires ne seront plus élus par les conseils municipaux, ils seront nommés. Une grande première. Jusque-là, le Président Talon ne recule devant rien. Il modifie, quand il veut, comme il veut et comme bon lui semble. La particularité des soi-disant réformes de Talon, c’est qu’elles visent rarement le bon fonctionnement des institutions. Patrice Talon révise, modifie et tripatouille les textes de la République pour exclure ses adversaires, empêcher ses concurrents, contrôler les organes électoraux. Depuis 2016, Patrice Talon ne révise que pour se servir et pour faire main basse sur les centres névralgiques de décision du pays. Les réformes de Patrice lui ont permis jusque-là de vaincre son pays et de lui imposer ses choix.

Après sa réélection controversée en avril 2021, le président béninois s’est déjà suffisamment servi. On aurait pu penser que n’étant plus candidat à rien, il devrait, pour une fois depuis bientôt 10 ans, laisser la compétition se faire à la loyale entre les différentes composantes de la classe politique. Malheureusement, à deux ans de la fin de son deuxième et dernier mandat, son appétit pour le « game », se réveille. À l’horizon, les élections générales de 2026. En effet, trois grandes élections arrivent dans deux ans, et le président Talon remet en marche le même stratagème. Lors de son entretien télévisé du 23 décembre dernier, le président béninois prévenait qu’il ne comptait pas rester en marge des manœuvres pour le choix du prochain président. Si en vertu des dispositions de la constitution, il ne peut plus concourir lui-même, il « désignera » tout de même, assure-t-il, un candidat « que le peuple choisira ».

C’est donc à l’aune de cette visée qu’il faut comprendre l’acharnement avec lequel il conduit son nouveau plan de modification du cadre juridique des élections. Aux députés de l’opposition qu’il recevait le 22 janvier dernier, il a juré que « l’actuel débat sur la révision de la constitution n’était pas le sien et qu’il n’avait aucune intention de se maintenir au pouvoir ». Mais il ajoute, comme une menace que « des constitutionalistes internationaux de grande réputation », lui ont fait remarquer la formulation de l’article 42 nouveau de la constitution (“en aucun cas, nul ne peut de sa vie, exercer plus de deux mandats”) lui ouvrirait la possibilité de briquer un nouveau mandat. Aux groupes parlementaires de son camp, il leur annonce au contraire, qu’il voulait faire modifier la constitution. Un double discours qui ne trahit qu’une seule chose : sa volonté d’exclure à nouveau. Mais exclure qui cette fois ? Toute la question est là.

Le prix des tripatouillages de Talon

Ne nous y trompons pas, loin de renforcer les institutions et les partis politiques, toutes les réformes politiques que le président Talon a initiées depuis son avènement ne l’ont été que pour exclure ses concurrents du jeu politique et s’assurer le monopole absolu sur la composition des institutions. Modifier pour exclure, modifier pour empêcher, modifier pour piper les règles du jeu. Tel semble être la devise du président Talon. En huit ans d’errance législative et de réformes hasardeuses le Bénin a payé le prix pour les manipulations répétées de son président. Ils ont été passés à la lessiveuse des fausses réformes de leur président qui ne voit le pays que comme une bergerie et sa politique que comme un moyen d’asservissement et de soumission. Sans peut-être le vouloir, Patrice Talon a admis devant les députés LD le 22 janvier dernier sa responsabilité dans la casse du modèle démocratique dont il a hérité en avril 2016 et dans les blessures dont le pays souhaite guérir à mesure qu’approche la fin de son second et dernier mandat. Car aussi bien les soutiens, les opposants ou les simples citoyens sans opinion politique, tout le monde arrive véritablement éreinté vers ce qu’on pensait être la fin de cette épreuve. Hormis la famille biologique du Président Talon et une poignée de personnes de son clan, les Béninois, toutes tendances confondues, veulent expérimenter une gouvernance plus apaisée et plus juste. Mais le président Talon n’en a visiblement pas dit son dernier mot.

Cette nouvelle manœuvre que le président Talon vient d’initier à deux ans de la fin de son dernier mandat est un véritable défi qu’il lance à tout le monde, à commencer par ses propres partisans qu’il a malmenés, manipulés, trainés de violence en violence, à qui il imposé les crises que notre pays a connu sous son mandat. Talon les sait usés et à bout de souffle. Ils sont nombreux les députés, les maires, les conseillers communaux, ou simples militants à la base qui commencent à bouder et qui seraient même prêts à refuser leur caution à un nouveau plan d’exclusion de candidats et de tensions dans le pays.

À Patrice Talon, on peut dire non et il est venu le moment de lui dire non clair et retentissant, de dire non à la manipulation des institutions, non au tripatouillage des textes, non à l’exclusion permanente et non aux cycles de violences électorales. Que l’on soit opposant ou partisan de Patrice Talon, il faut avoir le courage de reconnaître que les réformes qu’il a imposées au pays ont montré leurs limites. La nouvelle révision constitutionnelle et la énième modification du code électoral que propose aujourd’hui le président Talon traduisent l’échec des tripatouillages orchestrés depuis 2017.

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