Le raz-de-marée électoral provoqué par Bassirou Diomaye Faye et Ousman Sonko, deux jeunes leaders sénégalais que Macky Sall a passés à la lessiveuse de son pouvoir, est un signal fort que le Sénégal envoie à tous ceux qui comptaient sur la défaite de la démocratie.
Par Julien Coovi
Les chiffres attendent d’être confirmés par les institutions en charge de l’élection, mais ils ont déjà les allures d’une avalanche qui s’est abattue sur le microcosme politique de la Teranga. Avec une participation parmi les plus élevées de l’histoire du Sénégal, plus de 56% des électeurs se sont prononcés dimanche en faveur du plus jeune des candidats, Bassirou Diomaye Faye. Une victoire aussi éclatante que surprenante, avoue l’éditorialiste béninois Olivier Allochémè : « On pouvait s’attendre à tout sauf à une victoire par K.O dès le premier tour. On savait que leur sortie de prison allait booster la campagne du candidat, mais l’emporter dès le premier tour face au candidat du pouvoir, je ne m’y attendais pas du tout ».
La quarantaine à peine entamée – il est né le 25 mars 1980 – le secrétaire général de l’ex-Pastef était sans doute la dernière personne attendue à un niveau aussi élevé de la bataille pour le fauteuil présidentiel. Arrêté sur son lieu de travail le 14 avril 2023 dans une opération spectaculaire de police, Bassirou Diomaye Faye avait été jeté derrière les barreaux et attendait un procès en outrage à magistrat, diffusion de fausses nouvelles et diffamation envers un corps constitué. Tout comme des milliers de ses camarades du parti, il était la victime de vague de répressions qui s’était abattue sur l’opposition sénégalaise dans une ambiance de fin de règne.
Un leurre appelé Sonko
Mais, disais-je, Bassirou Diomaye (l’honorable en langue Serère) Faye était loin d’être la cible principale du pouvoir. Celui qui cristallise toute l’animosité de l’APR (parti du président Macky Sall) et de sa coalition Benno Bok Yakar, s’appelle Ousmane Sonko. C’est lui qui a créé le Pastef après avoir été radié de la fonction publique pour avoir dénoncé un contrat “conclu en défaveur du Sénégal”; c’est lui a fédéré autour de sa personne et de ses idées les principales forces de l’opposition sénégalaise; c’est lui qui empêchait le président Macky Sall et ses affidés de dormir. Après plusieurs années d’un fac-à-face tendu entre Macky Sall et lui, Ousmane Sonko avait fini par se retrouver lui aussi en prison, trois mois après son lieutenant Diomaye Faye. Il était accusé d’“appels à l’insurrection et complot” contre l’État. Pour le pouvoir, l’objectif était atteint. Le troublion Sonko désormais neutralisé, Benno Bok Yakar pouvait maintenant envisager la succession de Macky Sall avec sérennité. Erreur fatale.
“Bassirou c’est Sonko !”
Ce calcul n’avait pas pris en compte le fait qu’au-delà de la personne d’Ousmane Sonko, les idées du Pastef avaient suffisamment essemé dans le pays pour être capables de triompher, quelle que soit la personne qui les représenterait. Derrière son visage d’enfant, sa voix d’adolescent effarouché et ses faux airs de sous-fifre, Diomaye Faye ne faisait pas peur à Macky Sall. Son pouvoir ne s’est donc donné aucun mal pour tenter de le désactiver. Il était certes en prison, mais il avait conservé tous ses droits civiques. Il faut souligner aussi l’habileté du Pastef qui a compris qu’il perdrait tout à vouloir tout miser sur son leader charismatique dont la candidature serait de toutes les façons rejetée. Aussi, se sont-ils servis de la campagne de collecte de parrainage – ils ont choisi le parrainage citoyen alors qu’ils disposaient de suffisamment d’élus pour faire valider la candidature de leur joker – pour tenter de combler une partie du déficit de popularité de leur candidat de substitution. Le slogan “Sonko mooy Diomaye, Diomaye mooy Sonko” (“Sonko c’est Diomaye, Diomaye c’est Sonko”) en langue wolof a ainsi été lancé dès la campagne de parrainage citoyen.
Le triomphe de la démocratie
Et cela a fait mouche ! Victoire sans appel dès le premier tour d’un scrutin auquel prenaient part le candidat du pouvoir sortant, mais également des dinosaures de la politique sénégalaise tels que Khalifa Sall et Idrissa Seck. « C’est une victoire totalement inédite dont la portée me paraît même plus grande que celle de Mandela, parce que contrairement à eux (Faye et Sonko, ndlr) Mandela a eu le temps de préparer sa campagne », s’enthousiasme Olivier Allochémè.
Le 02 avril prochain, un nouveau président prêtera serment à Dakar, conformément à la Constitution sénégalaise. Il le fera en dépit des soubresauts du président sortant qui aura vainement tenté de s’adjuger huit mois supplémentaires sur son mandat constitutionnel. Le Sénégal revient de loin. Les deux dernières années avec leurs lots de morts, de blessés et d’emprisonnés n’ont pas tenu en haleine que le peuple sénégalais. Elles ont fait battre de peur le cœur de toute la région ouest-africaine. Elle assiste impuissante depuis une dizaine d’années au délitement radical de sa jeune et fragile architecture démocratique. Beaucoup ont eu peur que le pays de Cheikh Anta Diop bascule dans l’aventure militaire comme ses voisins du Sahel ou de la Guinée, ou qu’il s’installe dans une démocratie illibérale comme par exemple le Bénin de Patrice Talon. Les sénégalais ont finalement décidé de s’enraciner dans la démocratie, au grand soulagement des autres peuples de la région.
Le raz-de-marée électoral provoqué par Bassirou Diomaye Faye et Ousman Sonko, deux jeunes leaders sénégalais que Macky Sall a passés à la lessiveuse de son pouvoir, est un désaveu cinglant que le Sénégal inflige à tous ceux qui comptaient sur la défaite de la démocratie pour consolider leur pouvoir illégitime. C’est un vent d’espoir qui souffle depuis Dakar, pour tous les combattants de la liberté.