La commission béninoise des droits de l’homme est-elle un éléphant blanc ? La question se pose avec de plus en plus d’acuité face à la timidité dont elle fait preuve en présence des cas de violation des droits humains. Sa principale faiblesse est la peur que lui inspire le pouvoir du président Talon qui assume sans complexe sa réputation de fossoyeur des droits de l’homme
Yasmine Affi Lawson
Pour beaucoup de citoyens béninois, la commission béninoise des droits de l’homme ne sert à rien. L’institution présidée par Clément Capo-Chichi et où siègent de grands noms de l’univers béninois des défenseurs des droits tels que Serge Prince-Agbodjan avait suscité beaucoup d’espoir à l’annonce de sa composition. Force est de constater presque cinq ans plus tard, que son bilan est loin des attentes qu’elle a suscitées, alors que le pays a connu sous leur mandat, des cas historiquement graves de violations des droits de l’hommes. La faute au manque de courage des femmes et des hommes qui l’animent, ou à des politiques beaucoup trop frileux pour laisser s’exprimer une telle institution ?
Une naissance poussive
A la veille des assises de l’historique conférence nationale, conformément à Article 26 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, des intellectuels béninois notamment des avocats indépendants ont battu des pieds et mains pour l’adoption de la loi 89-004 instituant la CBDH (Commission Béninoise des Droits de L’Homme) par l’Assemblée nationale. C’était le 29 avril 1989. L’adoption d’une telle loi est intervenue alors que le pays restait dirigé par un gouvernement militaire répressif. Il a fallu attendre plus d’un an après sa promulgation le 12 mai 1989 pour sa mise en place, alors que la loi donnait seulement trente (30) jours au gouvernement pour le faire. Dans sa première version, la Commission béninoise des droits de l’homme était composée de quarante-cinq (45) membres dont trois sont dits de droit et les quarante-deux (42) autres membres, appelés membres composés. Pendant une dizaine d’années, la commission a joui d’une remarquable stabilité au niveau de ses membres et a gardé la même direction avec à sa tête, Saidou Agbantou, un avocat, réélu deux fois. Mais selon les ONG et d’autres observateurs consultés par Human Rights Watch à l’époque, la CBDH a fait preuve d’un manque flagrant de dynamisme. On retiendra de l’existence de cette institution, dans sa première version seulement deux cas dans lesquels elle a entrepris de remplir un rôle de protectrice des droits de l’Homme : en janvier 1998, la CBDH a dénoncé l’intention des autorités d’expulser une quarantaine de réfugiés congolais en situation irrégulière, la mesure d’expulsion ayant d’ailleurs été suspendue; dans le second cas, la commission a déposé une plainte en justice en décembre 1997 au nom de Tohon Evariste, un mécanicien qui avait été battu et blessé par son employeur, un ressortissant jordanien, et elle s’est constituée partie civile dans cette affaire. Comme une prémonition, on n’entendra plus parler de cette institution qui a eu le temps s’éclipser au profit du Conseil Consultatif des droits de l’Homme chargé de la coordination et de la coopération avec les ONG des droits humains qui va à son tour disparaitre.
La résurrection de la CBDH s’est faite bien des années plus tard par l’adoption à l’Assemblée Nationale de la loi n° 2012-36 portant création de la Commission Béninoise des Droits de l’Homme. Aux termes de cette loi, la Commission est une institution nationale indépendante chargée des droits de l’Homme qui n’est assujettie à aucune autorité publique et exerce ses fonctions sans aucune ingérence. Elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion. Sa vie repose désormais entre les mains de onze (11) membres appelés commissaires diversement désignés et répartis dans quatre (04) organes : l’Assemblée générale ; le Bureau exécutif ; les organes consultatifs et les sous-commissions spécialisées. Ces hommes et femmes ont prêté serment le 28 décembre 2018 dans les locaux de la Cour Constitutionnelle à la faveur d’une cérémonie présidée par Joseph DJOGBENOU, alors président de ladite cour. La Commission est par ailleurs dotée d’un Secrétariat permanent placé sous l’autorité du Bureau exécutif et dirigé par un secrétaire administratif.
Des attributions étendues
La CBDH a pour mission, la promotion et la protection des droits de l’Homme sur tout le territoire de la République du Bénin. A ce titre, elle est habilitée à donner aux institutions de la République, à la population et à toute structure compétente, des renseignements, des avis et faire des recommandations sur toutes questions relatives aux droits de l’Homme soit par auto saisine, soit à la demande des pouvoirs publics ; faire aux pouvoirs publics toutes propositions de textes susceptibles de promouvoir et de garantir les droits de l’Homme, et donner son avis sur les projets et propositions de loi ayant une incidence sur les droits de l’Homme ; recevoir les requêtes individuelles et collectives des citoyens et diligenter des enquêtes sur les cas de violations des droits de l’Homme ; œuvrer à la primauté du droit et à la légalité en République du Bénin ; organiser des campagnes de sensibilisation sur les droits de l’Homme et entreprendre toutes actions susceptibles de promouvoir une culture des droits de l’Homme ; coopérer à l’élaboration de programmes d’enseignement et de recherches en droits de l’Homme ; veiller à la mise en œuvre et au respect des engagements internationaux du Bénin en matière des droits de l’Homme ; effectuer des visites régulières, inopinées ou notifiées, dans les lieux de détention et de rétention aux fins de prévenir toutes violations des droits de l’Homme ; encourager l’adhésion à toutes conventions internationales ou régionales des droits de l’Homme ou leur ratification par le Bénin et veiller à leur publication au Journal Officiel ; contribuer à l’élaboration par le gouvernement, dans les délais requis, des rapports périodiques en application des engagements internationaux et régionaux du Bénin en matière des droits de l’Homme et veiller à la mise en œuvre des recommandations qui en résultent ; développer la coopération avec tous les mécanismes internationaux et régionaux des droits de l’Homme ; coopérer avec les structures nationales des droits de l’Homme, et avec les réseaux sous-régionaux, régionaux et internationaux des institutions nationales des droits de l’Homme ; coopérer avec les institutions établies par l’Etat pour la promotion et la protection des droits de l’Homme ainsi qu’avec d’autres organisations de la société civile œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme, telles que les Organisations non gouvernementales ; veiller à la mise en conformité de la législation et à l’harmonisation des pratiques nationales avec les instruments internationaux des droits de l’Homme auxquels le Bénin est partie ; examiner de sa propre initiative toutes les situations d’atteinte aux droits de l’Homme constatées ou portées à sa connaissance et entreprendre toutes les actions appropriées en la matière ; élaborer des rapports périodiques sur l’état des droits de l’Homme et des rapports ad’ hoc sur toutes autres questions spécifiques dans le domaine ; aider les victimes à ester en justice sur toutes les violations avérées des droits de l’homme, notamment au nom des victimes desdites violations ; orienter les plaignants et offrir l’assistance à ceux qui la demandent devant les tribunaux compétents.
Un décollage controversé et difficile
Après leur installation en 2018, les membres de la CBDH ont fait rêver plus d’un. En effet, les organisations de la société civile, les activistes et autres acteurs y compris les individus ont vu en cette institution, le Messie venu hisser le drapeau des droits humains dans le pays. Mais très vite, des doutes s’installèrent faisant naître des inquiétudes, voire des propos fatalistes. Ces doutes, nés du silence apparent observé pendant la période électorale de 2019, alors que des violations de droits faisaient rage et que dans la foulée, précisément fin mois mars 2019 la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples critique les dérives éloignant le pays de l’État de droit. La mémoire collective gardera l’image d’une CBDH absente durant cette période critique dans la vie du pays à cause de sa supposée passivité. Si les avis étaient partagés, il arrivait dans l’opinion la liste non-exhaustive des difficultés de l’institution à savoir le manque de moyens et de siège. Ce qui ne suffira pas à obtenir la compassion et la compréhension des populations et autres acteurs.
Très vite, et fort heureusement, la Commission avec à sa tête Isidore Clément Capo-Chichi a compris les attentes des uns et des autres et s’est mise à la tâche. En effet, elle va instituer un système de rapportage annuel présentant l’état des droits humains dans le pays. Dans son tout premier rapport publié en 2020, l’institution reviendra sur les manquements aux droits observés en 2019, comme pour rassurer. Peu à peu, la CBDH conquit les cœurs, ceux des partenaires, des ONG et des citoyens en quête de justice en multipliant les initiatives et tend ainsi les bras à l’international. Les conséquences ne sont pas faites attendre. D’abord son élection au conseil des droits de l’Homme le 14 octobre 2021, puis son accréditation au statut “A” de l’Alliance mondiale, intégrant ainsi le cercle des institutions nationales des droits de l’Homme au plan mondial.
Si le texte instituant la CBDH la met à l’abri de toute ingérence, elle n’est cependant pas sortie de l’auberge. En témoigne les critiques à son encontre de la part de certains députés se réclamant de la mouvance présidentielle après la présentation de son rapport couvrant la période 2020-2021 sur la situation des droits de l’Homme. Ces derniers dont Orden Alladatin affirment que le rapport de la CBDH est à charge et ne rend pas compte fidèlement de l’état des lieux des droits de l’Homme au Bénin. Ce qui a confirmé selon certains, le soupçon d’ingérence du pouvoir exécutif. Le président de l’institution, comme pour lever tout équivoque répond : « le rapport de la CBDH n’a pas être validé ou rejeté ». « Cette institution travaille à attirer l’attention des gouvernants dans sa mission de promotion et de protection des droits de l’Homme, sur ce qui ne va pas. Nous avons un rôle de conseil et en même temps de contrôle. Notre travail se fait sur la base de principes bien établis. Ce que nous avons constaté par nous-mêmes et que nous pouvons justifier. Chaque phrase de ce rapport peut être justifiée par tout membre de la commission » a –t-il poursuivi.
Il faut pour la prochaine mandature une commission plus proche des populations, plus active et surtout moins timorée face aux libertés que se permet le gouvernement béninois avec les libertés.