La décision 23-209 du 29 juin 2023 est l’acte fondateur d’une mandature qui s’annonce totalement inféodée aux intérêts du régime Talon.
(Olofofo n°4 du 05.07.2023)
Vers la fin de la semaine écoulée, la nouvelle mandature de la cour constitutionnelle a rendu sa première décision la plus importante. L’institution présidée par le professeur Dorothée Sossa était appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de la nomination de l’une de ses membres, madame Dandi Gnamou. Il est reproché à l’universitaire de ne pas remplir les critères de bonne moralité et de grande probité, comme l’exige la constitution. La décision de la cour constitutionnelle (DCC 23-209 du 29 juin 2023) était scrutée par les milieux judiciaires et plus largement par les Béninois qui attendaient le premier acte de cette cour pour prendre sa température et voir ce qu’elle a dans la culotte. C’est désormais chose faite.
Dans sa décision, Dorothée Sossa et ses pairs considèrent que si « la bonne moralité » suppose la conformité aux principes, à l’idéal de conduite et de conscience (sic), et que la « grande probité » renvoie à la droiture, l’intégrité, la loyauté et à l’honnêteté (sic), ces deux principes ne peuvent s’apprécier qu’au regard du casier judiciaire. Or celui de Mme Gnamou ne porte mention d’aucune condamnation. Normal, puisque le CAMES qui l’a condamnée pour fraude et non-respect de son code d’éthique et de déontologie n’est pas une juridiction. Elle ne délivre pas de casier judiciaire. La cour décide donc de ne pas tenir compte des actes graves posés par madame Gnamou et qui ont fait l’objet de la sanction la plus lourde jamais prononcée par le CAMES. Certes, CAMES ne délivre pas de casier judiciaire mais il n’en est pas moins une organisation sérieuse et honorable. La preuve, c’est bien le CAMES qui a délivré au professeur Sossa tous ces titres académiques. La Cour constitutionnelle, dans le cadre de l’instruction de ce recours, aurait dû contacter le CAMES pour obtenir copie de la décision prise par son Conseil des Ministres contre madame Dandi Gnamou. Ce qu’elle n’a pas fait. Une juridiction soucieuse de sa crédibilité et de l’honorabilité de ses membres n’aurait sérieusement pas pu considérer qu’une décision rendue par un Conseil des Ministres regroupant plus de 17 États ne vaut rien.
Il est d’ailleurs fort probable que même les requérants ne se faisaient pas beaucoup d’illusion sur la capacité de cette cour à déchoir de ses fonctions une de ses membres. Cette Cour constitutionnelle-là, n’a pas le courage de faire ce que ses prédécesseurs ont fait en 1998 en invalidant la reconduction de Mme Élisabeth Pognon et en 2013 en sortant de ses rangs, le juge Euloge Akpo nommé par Yayi Boni.
En effet, par décision DCC 98-52 du 29 mai 1998, la cour constitutionnelle avait éjecté de ses rangs Elisabeth Pognon, celle-là même qui était alors présidente sortant de l’institution, pour une tentative de prestidigitation. Retraitée peu avant sa reconduction, la juge Elisabeth Pognon n’était plus habilitée à siéger à la Cour constitutionnelle en tant que magistrate. Pour tenter de contourner cet “obstacle”, le bureau de l’assemblée nationale alors présidé par Bruno Amoussou, l’avait reconduite le 22 mai 1998 en qualité de juriste de haut niveau. Contestée devant elle, la cour constitutionnelle a eu le courage d’invalider la nomination de sa présidente sortante au motif « qu’un membre de la Cour constitutionnelle ne peut être renommé avec une qualification différente de celle du premier mandat. » Elisabeth Pognon dû sortir de la Cour. L’assemblée nationale s’était inclinée et a nommé à sa place la professeure Conceptia Ouinsou. Quinze ans plus tard, la même juridiction éjectera de ses rangs le juge Euloge Akpo pourtant nommé par le chef de l’état en personne. La haute juridiction avait jugé que si l’intéressé avait plus de quinze (15) ans d’expérience professionnelle générale (de 1995 à 2000, il était conseil juridique, avocat stagiaire, puis auditeur de justice), il n’était juge que depuis à peine 13 ans et ne saurait donc être considéré comme un magistrat doté d’au moins 15 ans d’expérience, comme l’exige l’article 115 de la constitution (Décision DCC 13-060 du 24 juin 2013). Tout ce prestige est, à present malheureusement fini.
En juriste expérimenté (il est avocat, professeur de droit et ancien secrétaire permanent de l’OHADA), Dorothée Sossa sait très bien que la moralité d’une personne ne s’apprécie pas seulement en fonction de son casier judiciaire, mais surtout en fonction de ses actes, de sa pratique sociale et professionnelle, et de tout un ensemble d’actes qui ne sont pas forcément judiciarisables. Doit-on le rappeler? Dans la pratique judiciaire, le parquet et les magistrats instructeurs ont toujours fouillé dans la vie familiale, professionnelle et sociocommunautaire des personnes dont les cas leur sont soumis pour déterminer leur moralité et leur degré de probité. Cest ce qui justifie l’enquête de personnalité dans le procès pénal. Elle est une pièce capitale du procès devant un juge. Or, madame Dandi Gnamou a été condamnée par ses pairs et déchue de son grade de professeur titulaire du CAMES pour « codirection frauduleuse d’une thèse à Lomé, et usurpation du titre de professeur titulaire du CAMES ». Elle n’aurait pas fait soutenir de thèse dans son école doctorale avant la date de son inscription sur la liste d’aptitude aux fonctions de professeur titulaire, et a été condamnée par le conseil des Ministres du CAMES sur proposition unanime du comité d’éthique et de déontologie. Mais en face d’actes aussi graves et déshonorants, la cour constitutionnelle de Dorothée Sossa affirme sans gêne que son membre contesté est propre et irréprochable.
La décision DCC 23-209 est une décision frauduleuse. Comme presque toutes celles rendues par Joseph Djogbénou, pupille de Dorothée Sossa (ce dernier fut le directeur de thèse de Joseph Djogbénou). Si comme les précédentes, elle permet à un pouvoir sans limite de renforcer son emprise sur un pays totalement apathique, elle renvoie malheureusement un message bien tragique : n’importe quel voyou peut désormais siéger à la cour constitutionnelle, pourvu qu’il sache compter sur le soutien d’un pouvoir. Cela voudrait-il dire que demain, un fonctionnaire qui a passé sa vie professionnelle à violer les décisions de la Cour constitutionnelle serait quand même de bonne moralité pour siéger à la cour constitutionnelle, simplement parce que ce n’est pas inscrit dans son casier judiciaire ? Qu’un haut fonctionnaire qui a multiplié des comportements répréhensibles, qui est passé de conseil de discipline et qui a fait l’objet de plusieurs sanctions d’ordre administratif pourraient siéger à la cour constitutionnelle tout simplement parce que ses sanctions ne figurent pas dans son casier judiciaire ?
Le juge, quel qu’il soit, doit avoir à coeur de rendre justice au droit et pour l’avenir. Malheureusement, dans le cas de Madame Dandi Gnamou, Dorothée Sossa et ses pairs ont tordu le bras au droit, juste pour sauver la peau d’un des leurs et pour sauver la face à un pouvoir.
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