Par Stanic ADJACOTAN, Docteur en droit public, avocat à la Cour d’appel de Paris – Barreau de Seine Saint Denis, chargé d’enseignement à l’Université catholique de Lille et Président de l’Association béninoise de droit de constitutionnel
Comment la fumée blanche attendue le jeudi 14 mars 2024 par les requérants parlementaires et autres citoyens ayant saisi la Cour constitutionnelle du Bénin au sujet de la loi modifiant le code électoral s’est-elle transformée en une gigantesque fumée noire ? Manifestement, les députés de l’opposition espéraient une décision d’inconstitutionnalité des nouvelles dispositions introduites par la majorité dans le code électoral.
En réalité, le conclave qui s’est tenu sous la direction du Professeur Dorothé Sossa a fini par accoucher d’une souris au nom de la jurisprudence dé-constructive inaugurée depuis le départ du Professeur Holo de la tête de la Cour constitutionnelle. Croire en une invalidation des nouvelles dispositions du code électoral, c’était faire preuve de naïveté en raison de la prévisibilité des sentences jurisprudentielles de la Cour. Cette fois-ci, le combat des opposants face à la loi modificative du code électoral avait quelque chance d’ébranler les certitudes établies Carrefour des trois Banques à Ganhi, lieu où la Cour constitutionnelle siège. En effet, le juge constitutionnel était cerné par des moyens imparables d’invalidation, tant ceux-ci défient toute logique contraire.
Au fond, il n’y avait rien de surprenant dans la décision de la Cour constitutionnelle en ce que qu’elle n’a fait que conforter une continuité jurisprudentielle de rupture. Elle a l’avantage de marquer un nouveau coup de force jurisprudentiel qui insécurise les droits civils et politiques des citoyens d’une part et qui efface le principe sacro-saint séparant le mandat représentatif de celui impératif d’autre part.
Trois faisceaux d’indices d’inconstitutionnalité auraient dû permettre au juge constitutionnel de reconquérir son pouvoir régulateur des institutions de la République qu’il semble avoir perdu.
Primo, l’un des moyens d’invalidation qui sautent aux yeux et dont le juge constitutionnel est saisi fut sans nul doute les déclarations du Député Augustin Ahouanvoebla insistant sur sa ferme volonté de faire en sorte que son parti politique remporte les compétitions électorales prochaines à plus de 80%. Si, sur le plan politique, un parti politique a vocation à participer et à gagner aussi confortablement que possible les élections, il ne peut résister à l’idée même d’une démocratie pluraliste et concurrentielle d’introduire dans les règles de la compétition politique, des moyens susceptibles de priver les adversaires de la possibilité de pouvoir se présenter devant les électeurs. La Cour constitutionnelle béninoise, dans sa tradition jurisprudentielle originelle, ne serait absolument pas restée indifférente à un discours annonçant une intention de poser dans le code électoral des règles de confiscation du pouvoir pour le compte d’un parti politique fût-il majoritaire au parlement. In concreto, le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 et l’article 3 du texte interdisent toute volonté de confiscation du pouvoir par quelque organe que ce soit.
Manifestement, la Cour constitutionnelle semble démontrer dans sa décision qu’elle était insensibilisée au fait que les propos ouvertement inconstitutionnels étaient constitutifs de menace d’utilisation du pouvoir législatif en vue de priver les autres partis politiques de l’attribution des parrainages.
L’article 132 du texte incriminé dispose substantiellement : « Les duos de candidats pour l’élection présidentielle seront parrainés par un nombre de députés et de maires correspondant à au moins 15% de l’ensemble des députés et des maires et provenant d’au moins trois cinquièmes des circonscriptions législatives ;
Un député ou un maire ne peut parrainer qu’un candidat membre et issu du parti sur la liste de laquelle il a été élu. Toutefois, en cas d’accord de gouvernance conclu avant le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle et enregistré à la CENA, le député ou le maire peut parrainer un candidat membre de l’un des partis signataires de l’accord de gouvernance ;
Pour être éligible à l’attribution des sièges au parlement et dans les conseils municipaux et communaux, tout parti politique ayant pris part aux élections législatives ou aux élections municipales et communales doit recueillir 20% des suffrages exprimés par circonscriptions ;
La désignation des chefs quartiers et des chefs de village sera faite par le parti majoritaire issu des prochaines élections communales. »
In fine, la Cour constitutionnelle avait entre les mains un moyen d’invalidation solide en ce sens que l’intention du législateur a été d’instaurer un système partisan basé sur l’hégémonie et avec pour seule finalité de priver les citoyens de leur liberté d’avoir à voter pour les candidats de leur choix.
Secundo, le chemin de la modification du code électoral était parsemé d’autres vices d’inconstitutionnalité remarquables. En l’espèce, les dispositions des articles 44, 80, 81, 124 et 35 méritaient d’être confrontées aux nouvelles dispositions du code électoral. On en présente quelques-unes.
S’agissant de l’article 44 de la Constitution, la Loi 2024-13 du 4 mars 2024 dispose que les duos de candidats seront « parrainés par un nombre de députés et de maires correspondant à au moins 15% de l’ensemble des députés et des maires et provenant d’au moins trois cinquièmes des circonscriptions législatives » au lieu des 10% du collège des parrains requis par le parlement en 2019. L’Assemblée nationale a particulièrement durci les conditions de candidature sur deux points essentiels : tout d’abord, en portant le nombre de parrains de seize (16) à vingt-huit (28) et ensuite, en exigeant que les vingt-huit (28) parrainages réunis par le candidats à l’élection présidentielle proviennent des 3/5 des circonscriptions électorales du Bénin, soit quinze (15) circonscriptions électorales sur les vingt-huit (28) que compte le pays.
De plus, pour l’élection du Président de la République, le parlement a modifié les règles d’attribution du parrainage. Désormais, au terme de l’Article 132 nouveau du Code électoral, « Un député ou un maire ne peut parrainer qu’un candidat membre et issu du parti sur la liste de laquelle il a été élu. Toutefois, en cas d’accord de gouvernance conclu avant le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle et enregistré à la CENA, le député ou le maire peut parrainer un candidat membre de l’un des partis signataires de l’accord de gouvernance ».
Par voie de conséquence, le parrainage n’est plus attribué aux députés et aux maires. Le parrainage des candidats à l’élection présidentielle n’est plus un acte unilatéral et libre en ce que le député ou le maire qui en est l’attributaire ne deviendrait qu’un agent d’une organisation politique et confiné dans le seul rôle de veiller sur le parrainage de son groupe politique et ce contrairement à l’article 44 de la Constitution qui confie le parrainage aux élus et non pas aux partis politiques.
Ensuite, l’imposition d’un mandat impératif en lieu et place du mandat représentatif contenu dans l’article 80 de la Constitution. L’article 80 de la Constitution dispose en effet : « Les députés sont élus au suffrage universel direct. La durée du mandat est de cinq ans renouvelable deux fois. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul ».
Le constituant du renouveau démocratique en décembre 1990 en empruntant aux révolutionnaires français de 1789 la règle de l’interdiction du mandat impératif a voulu s’inscrire dans une tradition de démocratie représentative. Pour les citoyens ordinaires, l’on peut rappeler que la théorie de mandat impératif s’entend d’un pouvoir délégué à une personne afin que celle-ci mène une action prédéfinie et suivant les modalités arrêtées auxquelles elle ne saurait déroger. Cette théorie politique formulée par Jean Jacques Rousseau est directement reliée à la théorie de la souveraineté populaire à laquelle s’oppose la souveraineté nationale. Son interdiction traduit une volonté de voir un député se déterminer librement dans l’exercice de son mandat et qu’il ne saurait en aucune façon être prisonnier d’intérêts de quelque nature que ce soit. Présentée autrement, l’interdiction du mandat impératif renvoie au fait qu’aucune injonction à agir dans tel ou tel sens ne peut être adressée à un élu de la nation.
Cependant, l’œuvre du parlement béninois déférée à la Cour constitutionnelle présente toutes les caractéristiques de privatisation du mandat de député puisqu’il est privé de sa liberté de conscience et de décision.
Sur ce point précisément, la décision de conformité totale des dispositions du code électoral modifié est un véritable déni de justice constitutionnelle ou tout simplement un refus de consolider la jurisprudence récente de la même Cour constitutionnelle. En effet, dans sa décision EP 21-012 du 17 février 2021, le juge constitutionnel rappelait que « l’acte de parrainage est un engagement unilatéral à soutenir un candidat à l’élection du Président de la République et les élus ont la liberté d’accorder leur parrainage aux candidats de leur choix… ».
En définitive, la décision de la Cour constitutionnelle contribue immanquablement à une œuvre d’affaiblissement des garanties légales des exigences constitutionnelles. La Cour constitutionnelle renie à nouveau un célèbre précédent jurisprudentiel dégagé en 2010. En effet, par une importante décision rendue le 05 avril 2010 (décision DCC 10-049), la Cour constitutionnelle appelait l’attention du parlement sur le fait qu’il ne peut légiférer qu’en consolidant la démocratie et en renforçant l’Etat de droit mais jamais en reculant ou en durcissant le régime juridique de garantie des droits acquis.
En clair, la Cour faisant entrer dans sa propre jurisprudence, la théorie de l’’’effet cliquet’’ apparue sous la plume du Conseil constitutionnel français dans la décision no 84-181 DC du 11 octobre 1984 à propos des entreprises de presse dans laquelle ce juge rappelait que : « s’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ».
A l’analyse, la décision du 14 mars 2024 marque un tournant puisqu’en plus de s’inscrire dans la droite ligne de la déconsolidation jurisprudentielle est un nouvel acte de ‘’capitulation’’ devant un abus de pouvoir législatif.