La junte au pouvoir à Niamey a ostanciblement pris pour cible le Bénin (qui l’a bien cherché du reste) comme le souffre-douleur de la CEDEAO dont ils contestent l’autorité, mais qui six mois durant, les a menacés et harcelés.
Mohamed Bio Korogui (contributeur)
La tension entre le Bénin et le Niger ne redescend plus depuis le coup d’État qui a renversé le 26 juillet 2023 le président Mohamed Bazoum. Le président béninois avait alors défendu avec une rare énergie, le retour à l’ordre constitutionnel, par tous les moyens, “y compris par la force, si c’est nécessaire”. Patrice Talon avait aussi défendu avec conviction les sanctions économiques prises contre le voisin nigérien et fermé hermétiquement sa frontière.
Au bout de six mois, les sanctions ont été levées. Mais les nouvelles autorités du Niger ont la rancune tenace. Le fait que Patrice Talon ait joué un rôle ostensiblement important dans la reculade de la CEDEAO, n’a rien changé au besoin de vangeance du CNSP qui garde sa frontière hermétiquement fermée. Ils craignent d’être envahis par des militaires français qui seraient basés à quelques kilomètres de leur frontière dans la partie nord du Bénin.
Dans cette analyse, nous vous proposons de revisiter les principaux arguments soulevés par le camp du CNSP ainsi que les faits et les usages géopolitiques qui les démontent
“Le blocus de la CEDEAO contre le Niger était illégal. Le Bénin n’avait pas à l’appliquer.”
Il est vident que les sanctions prononcées contre ce pays sans littoral étaient excessives et sans doute même illégale. Mais il convient de faire trois petits rappels factuels. Premièrement, c’est le CNSP qui le premier a fermé toutes les frontières terrestres et aériens de son territoire à tous ses voisins, aux personnes, aux biens, aux services et aux capitaux au départ et à destination de son territoire dès que le coup d’État a été fait. Ensuite, tous les chefs d’État présents à ce sommet extraordinaire (y compris le président du Togo) ont adopté la résolution, et enfin tous les pays frontaliers du Niger et qui n’étaient pas suspendus de organes politiques de la CEDEAO au moment du sommet les, ont appliquées de manière stricte. Sur la base de la supposée illégalité du blocus, le CNSP aurait dû garder sa frontière avec le Nigeria aussi fermée, surtout que c’est le président Bola Ahmed Tinubu qui a présidé la réunion ayant conduit aux sanctions. Il n’y a donc aucune raison logique qui justifierait le fait que le Bénin doive payer pour toute la CEDEAO.
“Le Niger a le droit d’en vouloir particulièrement au Bénin parce que c’est par le port de Cotonou qu’il s’approvisionnait en biens de première nécessité. Le Bénin espérait qu’en plaçant le pays sous blocus, la population du Niger se soulèverait. Heureusement ça ne s’est pas passé comme ça. Aujourd’hui, ils sont dans la même démarche contre le Bénin.”
Heureusement, les sanctions n’ont pas destabilisé le pays. Parce que ça aurait agravé la crise politique et sécuritaire en cours dans le pays. Mais une fois encore, le Bénin n’a pas agi seul. Tous les Chefs d’État présents à ce sommet ont voté les sanctions en connaissance de cause. Aucun d’entre eux ne peut prétendre qu’il ignorait quels en étaient les objectifs : susciter la colère de la population et la soulever contre la junte militaire. Si le Bénin leur a coupé leurs lignes d’approvisionnement habituelles, le Nigeria en a fait presqu’autant, en leur coupant l’électricité, occasionnant des morts dans les hôpitaux et ruinant le business de plusieurs commerçants. Tout comme Patrice Palon, le ministre nigérian des affaires étrangères, Yusuf Maitama Tuggar, a mené une violente campagne médiatique contre le CNSP dans la presse anglo-saxonne. Tinubu s’est même rendu spécialement à Paris alors que la conférence des Chefs d’État Major de la CEDEAO préparait le plan d’invasion du Niger, et que Paris ne cachait pas qu’il était prêt à appuyer en logistique, en armements et si possible en hommes, la force en attente de la CEDEAO. Pourquoi donc cette fixation sur le Bénin? En toute vraissemblance, Tiani a tout pardonné à Tinubu et à Tuggar, mais rien à Talon.
“Talon a beau jeu aujourd’hui de se prévaloir des décisions de la CEDEAO dans le but de destabiliser le Niger, lui qui par le passé, n’a jamais respecté une seule décision ni de cette CEDEAO ni d’aucune autre institution régionale ou internationale condamnant son régime.”
Il y a de l’opportunisme dans le comportement du président béninois vis-à-vis du Niger. Il n’a jamais caché sa complicité politique et diplomatique (sans doute aussi économique) avec le président Bazoum dont la chute a probablement boulversé bien des intrêts… Mais les décisions antérieures condamnant son rgime et qu’il n’a pas appliquées concernaient le Bénin et pas le Niger. Du reste, le CNSP qui considère que les sanctions prises suite au coup d’État constituent une ingérance dans les affaires intérieures du Niger, devrait logiquement s’abstenir de faire des leçons de respect des décisions communautaires au président Talon.
“Après tout, le Niger est un pays souverain, il a le droit d’ouvrir sa frontière à qui il veut et de la fermer à qui il veut. Toutes les fois que le Nigeria a fermé unilatéralement, le Bénin a attendu tranquillement la réouverture. Il devrait faire pareil dans le cas nigérien”
Si le Niger agit en toute souveraineté, personne ne devrait s’offusquer du fait qu’en tant qu’État souverain, le Bénin aussi décide de fermer son port aux produits qu’il veut et de l’ouvrir aux produits de son choix. Les principes de souveraineté devraient s’appliquer dans les deux sens.
Quant aux fermetures unilatérales de la frontière par le Nigeria, le Bénin ne ragit pas par pacifisme. S’il avait des leviers de pression contre le Nigeria, il n’hésiterait pas à les utiliser pour établir le rapport de forces.
“En décidant de bloquer l’exportation du pétrole nigérien, non seulement le Bénin viole sa propre signature, mais il se met également à dos les chinois qui ont investi des milliards de dollars dans ce projet. Le Bénin pourrait être condamné dans un arbitrage international.”
C’est effectivement le seul aspect de la crise où le Bénin pourrait se retrouver vraiment en difficulté. Mais en ciblant le Bénin dans sa stratégie de représailles, Niamey oblige Cotonou à se défendre. Et il est normal que les autorités du Bénin utilisent tous les instruments en leur possession pour tenter de se faire respecter. Une condamnation internationale ne sera jamais un prix trop élevé pour un pays de faire comprendre à un voisin un peu trop méprisant qu’il ne reculera devant aucune règle pour défendre ses intérêts géopolitiques. C’est comme ça que font tous les États du monde, c’est ce que fait actuellement le CNSP.
“L’armée française a positionné des troupes dans des bases près de la frontière du Niger, prêtes à attaquer. Le CNSP ne peut pas se permettre de rouvrir les frontières dans ces conditions.”
En fait, toute la posture du CNSP trouve sa source dans la phobie d’une invasion promise par le président Talon – il était sérieux – et le président Macron qui n’était pas moins sérieux. Malheureusement, à la date d’aujourd’hui, Niamey n’a pas apporté la moindre preuve de la présence de bases militaires françaises sur le territoire béninois. Ils en ont pourtant les moyens, avec tout le soutien que leur apporte le groupe Wagner. Ce genre d’accusation ne devrait pas se faire à la légère lorsqu’elle implique deux voisins.