Fatigué et affaibli par 5 années de traque judiciaire, l’ancienne personnalité politique la plus puissante de Côte-d’Ivoire, après Alassane Ouattara, veut repartir à la conquête de son influence perdue.
Par Damien K. Konan
« Je n’irai pas plus loin dans mon exil, je refuse d’être un fugitif ». Dans une vidéo publiée le week-end dernier sur ses réseaux sociaux, Kigbofori Guillaume Soro s’est voulu très combatif. L’ancien premier ministre de Côte-d’Ivoire (mars 2007 – mars 2012) a décidé de « mettre fin » à son exil. Une annonce faite une semaine après une énième tentative d’arrestation, cette fois-ci à Ankara. L’homme politique ivoirien, acteur-clé de la crise politique qui a secoué son pays entre 2002 et 2011, est en exil depuis sa démission de la présidence de l’assemblée nationale (2012 – 2019). Mais rentrera-t-il dans son pays où l’attendent deux lourdes condamnations pour complicité détournement de deniers publics (20 ans) et tentative d’atteinte à la sureté de l’État (perpétuité) ? L’ex-chef de la rébellion qui a porté Alassane Dramane Ouattara au pouvoir en 2011 a annoncé vouloir « contribuer à la réconciliation des filles et fils de Côte-d’Ivoire ». Mais il le fera manifestement loin de sa « terre ancestrale et natale ».
D’aucun pronostiquent que c’est à Bamako qu’il s’installera, à un jet de pierre d’Abidjan. Une hypothèse déjà évoquée il y a un peu plus d’un an en pleine crise des “mercenaires ivoiriens”, avant d’être écartée. Pour l’instant, c’est à Niamey qu’il est apparu, aux côtés du Abderrahmane Tiani, et de deux de ses collaborateurs les plus proches à savoir le ministre de la défense et celui de la sécurité. La junte militaire qui a renversé en juillet 2023 le président Mohamed Bazoum n’est franchement pas l’amie du président ivoirien qu’elle présente comme l’ennemi du peuple nigérien. Alassane Dramane Ouattara fait en effet partie, avec le béninois Patrice Talon et le sénégalais Macky Sall, des chefs d’État ouest-africains les plus hostiles à la junte. Il est l’un des artisans des sanctions historiquement drastiques prises contre le Niger, et l’un des plus va-t-en-guerre sur le projet d’intervention militaire visant à réinstaller le président Bazoum dans ses fonctions.
Mettre la pression sur Ouattara
Le choix de Niamey comme première destination de ce ‘’retour en Afrique’’, et celui, probable de Bamako comme base arrière de sa nouvelle stratégie, ne doivent donc rien au hasard. Non seulement ce sont (avec le Burkina-Faso) les seuls endroits où il est sûr de ne pas être arrêté, empaqueté et livré aux autorités d’Abidjan, mais ce sont également deux des rares endroits d’où il pourra espérer réorganiser ses militants pour aller à l’assaut du palais présidentiel. Une ambition qui a toujours été présente dans son esprit depuis son entrée dans l’espace politique ivoirienne avec la crise de décembre 1999. L’ancien président de la fédération des scolaires et étudiants de Côte-d’Ivoire (FESCI) avait alors discrètement mis son mouvement, le Forum international des étudiants francophones (FIEF), au service du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Il prendra quelques années plus tard, la tête de la rébellion des Forces Nouvelles, soutenue par Alassane Ouattara et qui finira par renverser en 2011 le président Laurent Gbagbo, dans un bain de sang.
« Ce n’est pas simple d’être traqué par tout un état »
Après ce coup de force, Guillaume Soro exercera successivement les fonctions de Premier Ministre, puis celles de président de l’Assemblée Nationale, avant d’être poussé à la démission en février 2019. Plusieurs responsables de son parti ainsi que des officiers, vétérans des Forces Nouvelles avaient alors été arrêtés et mis en prison dans le cadre de deux mutineries que le président Ouattara l’a soupçonné d’avoir fomentées. Peu de temps après cette démission, il quittera la Côte-d’Ivoire et sera vite rattrapé par un mandat d’arrêt international pour tentative d’atteinte à la sûreté de l’État. Il n’a plus jamais pu retourner au pays. Alors même que toutes les personnes contre lesquelles il avait retourné l’appareil judiciaire ivoirien lorsqu’il était ‘’au pouvoir’’, notamment le président Laurent Gbagbo et l’ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé sont tous retournés en Côte d’Ivoire et ont pu reprendre leurs activités politiques.
« Ce n’est jamais simple d’être traqué par tout un état, avec les moyens de renseignements, de police, avec les moyens diplomatiques et financiers qu’il à sa portée », commente un homme politique béninois. L’ancien numéro 2 du régime Ouattara était en effet apparu très amaigri, parfois méconnaissable lors de sa rencontre avec les autorités nigériennes de la transition. De fait, l’exil de Guillaume Soro n’a pas été de tout repos. Dès Octobre 2019, peu de temps après avoir quitté la Côte-d’Ivoire, l’ex-président de l’Assemblée Nationale a été interpelé à l’aéroport de Madrid, puis relâché. Mais il ne se sentira plus en sécurité nulle part en Europe. Prié de quitter le territoire français, puis la Belgique, Guillaume Soro était devenu un politicien errant. Une situation qu’il supporte d’autant moins que toutes les personnes qui ont dû fuir à l’étranger, ou ont été arrêtés pendant qu’il était au pouvoir, sont désormais réhabilitées, et poursuivent tranquillement leurs activités
Une histoire de trahison
Guillaume Soro est un homme profondément amer. Il se sent trahi par un homme pour qui il a pris tous les risques, mais qu’il soupçonne aujourd’hui d’être prêt à l’éliminer. « Le seul endroit qu’il (Ouattara) me réserve pour trouver le repos, c’est le cimetière », a-t-il affirmé dans sa vidéo. « C’est le sort des faiseurs de roi », analyse un journaliste politique. Mais Ouattara aussi se sent trahi par celui qu’il appelait affectueusement son « fils » mais qui aurait eu le toupet de ne pas vouloir entrer dans le Rassemblement des Houphouétistes pour le Développement et le Progrès (RHDP), le nouveau parti présidentiel et qui en plus aurait tenté de le renverser par les armes.
Entre les deux, le peuple ivoirien dont une large partie ne plaint pas Guillaume Soro. Pour eux, la courte et mouvementée carrière du natif de Kofikplé (nord de la Côte-d’Ivoire) au plus haut niveau de l’État n’a pas réussi à blanchir une image de rebelle fauteur d’embrouille. Personne en Côte-d’Ivoire, n’a oublié en effet qu’il était à la tête de la rébellion qui avait partitionné le pays pendant une dizaine d’années et installé à Bouaké un gouvernement parallèle et qu’il avait supervisé politiquement une guerre civile qui avait fait officiellement plus de 3000 morts dont principalement des civils.
Guillaume Soro joue à présent son va-tout et la confrontation entre les deux hommes promet d’être politiquement violente. En s’installant près de la Côte-d’Ivoire, l’ancien chef rebelle espère se rapprocher de ses ‘’troupes au sol’’, ses militants du mouvement Génération et Peuples Solidaires, et ainsi mieux les organiser. Il peut, pour cela, compter sur l’inimitié des régimes militaires de la région pour l’homme fort d’Abidjan.