Correction du code électoral : le nouveau plan de Talon

Correction du code électoral : le nouveau plan de Talon

(Les prémices d’une nouvelle crise politique)

Si, comme l’ont annoncé ses lieutenants, le président Patrice Talon met ses menaces à exécution en faisant corser les conditions d’éligibilité des députés et des conseillers communaux, le Bénin avancerait inexorablement vers un parlement monocolore en 2026 et vers des élections présidentielles exclusives sous haute tension.

Quatre jours après l’échec de la tentative de révision de la constitution, les députés béninois sont convoqués en plénière ce mardi 05 mars 2024 pour modifier le code électoral. Mais à en croire le député UPR Augustin Ahouanvoébla, l’opération de ce jour n’a rien à voir avec la décision rendue par la cour constitutionnelle le 4 janvier dernier. Selon lui, la majorité va profiter de la modification du code électoral pour sécuriser ses positions et fragiliser davantage ses adversaires. « Je travaillerai avec mon groupe parlementaire pour que lors des élections (législatives et communales) mon groupe parlementaire ait 80% des élus, en ce moment je verrai comment le BR et Les Démocrates auront des candidats à parrainer », avait-il annoncé vendredi nuit à l’hémicycle, juste après l’échec de la tentative de révision de la constitution.

Trois cibles

Il faut prendre Augustin Ahouanvoébla au sérieux quand il annonce ce genre de chose. Ce député, transfuge du PRD, ne sait pas tenir sa langue. Il ne sait par retenir les secrets de réunion. Il a toujours fait fuiter, de bonne foi, les délibérations des réunions stratégiques auxquelles il est associé. Souvevez-vous, c’était déjà lui qui, fin 2018 dans un bar de Porto-Novo, avait annoncé que tous les partis d’opposition seront éliminés des législatives de 2019.

Des fuites chez nos confrères du Béninois Libéré font état de ce que le seuil d’éligibilité pourrait passer de 10% des suffrages sur le plan national à 20% par circonscription. La finalité de cette manœuvre étant de rendre l’accès à l’assemblée quasiment impossible pour quiconque n’ayant pas la bénédiction du pouvoir. “Ce n’est plus une réforme, c’est la muraille de Chine”, commente un analyste qui poursuit : “Si les députés valident cette mesure, ils se tireraient eux-mêmes une balle dans le pied et certains signeraient leur mort politique”.

Mais, plus généralement, “la vengeance” de Patrice Talon vise quatre cibles. La première cible, c’est le parti Les Démocrates. Lors des législatives de janvier 2023, le parti de Boni Yayi n’a eu que 28 députés. Du moins “officiellement”. Et l’on sait que dans plusieurs des 24  circonscriptions, LD a eu zéro député. Il s’agit des deux circonscriptions de l’Alibori, des deux circonscriptions du Plateau, des deux circonscriptions du Couffo, des deux circonscriptions du Zou, de la 3eme circonscription dans l’Atacora et la 18ème circonscription du Mono. Si la mesure des 20% par circonscription est adoptée, cela voudra dire que Patrice Talon a choisi d’exclure LD du prochain Parlement, de les priver des mairies de toutes les grandes villes et de les exclure des présidentielles de 2026.

La deuxième cible, c’est le BR. Plusieurs observateurs ont analysé depuis sa création que ce parti a été imaginé par Patrice Talon pour maîtriser les cadres du nord et contenir leurs ambitions pour le pouvoir. Mais, ce parti n’a jamais réussi à rassurer le Chef de l’État. Il se dit dans l’entourage du pouvoir que le BR n’a pas obtenu les 10% lors de dernières législatives de janvier 2023 et ne doit sa présence au parlement qu’à la volonté du Prince. Avec la mesure des 20% par circonscription, le BR ne pourra probablement pas retrouver des sièges. D’ici 2025, il pourrait disparaîtra et fusionner avec l’UP-R. Car pour les fidèles de Patrice Talon, la récréation a assez duré avec le BR.

La troisième cible de la réforme, ce sont les frondeurs. Il s’agit de tous les élus de la mouvance qui s’agitent autour de la personne d’Olivier Boko et qui menacent dangereusement l’appareil mis en place par le président Talon pour être l’unique distributeur des cartes. Si malgré les alertes, ils votent la proposition Aké Natondé, alors, en 2026, certains parmi eux prendront leur retraite politique et d’autres pourraient faire face aux juges de Talon.

La quatrième cible? Elle se connaît très bien. Il y a en effet de fortes chances que Patrice Talon se réserve le meilleur pour la fin. Si toutes les manoeuvres actuelles passent au parlement, on peut raisonnablement s’inquiéter pour l’avenir du pays.

Le feu aux poudres ?

Avec au moins 70 députés qui lui sont restés fidèles, le president Talon est quasiment assuré de faire passer cette réforme. Mais il faut craindre qu’elle mette à nouveau le feu aux poudres comme à toutes les élections d’où a été exclue l’opposition ces dernières années, que ce soit par la force ou par la loi. On peut se demander en effet ce qui n’a pas marché dans l’application des 10% pour que l’on pense à passer à 20% par circonscription. La première version de la réforme avait pourtant permis à Talon de ne sélectionner que trois partis politiques (quatre si l’on compte les FCBE) pour le partage des sièges électifs.

Quoi qu’il en soit, le Bénin se dirigerait vers une nouvelle crise électorale, dans un contexte sous-régional marqué par le retour au pouvoir de juntes militaires aux agendas flous.

Article précédent

[EXCLUSIVITÉ] Boni Yayi réunit ses députés pour les préparer aux prochaines batailles législatives

Article suivant

Bénin : vers la réouverture de la frontière nigérienne ?

You might be interested in …

Laisser un commentaire