Acculé et malmené par l’opinion publique nationale et internationale depuis quelques temps, le chef de l’état béninois a décidé de faire revenir son ancien responsable chargé de la communication digitale. Stevy Wallace va relancer l’armée des “Klébés”.
Yasmine Affi Lawson
Jusqu’au 19e siècle, il y avait des esclaves dont les maîtres n’arrivaient pas à se passer. Ils étaient rebelles, frondeurs et indomptables. Ils ne rataient aucune occasion de s’enfuir de la plantation. Mais quels travailleurs ils étaient, lorsqu’ils se retrouvaient dans les champs de canne-à-sucre ou de coton ! Le maître avait beau les faire fouetter de temps en temps pour leur rappeler qui était le patron, il était hors de question qu’il s’en débarrasse. Stevy Wallace est sans aucun doute de l’étoffe de ces « esclaves » dont le maître n’arrive pas à se passer. Patrice Talon a beau se fâcher contre lui, sa compétence et – peu importent les méthodes employées – les résultats qu’il a obtenus entre juillet 2016 et janvier 2022 aux commandes de la communication digitale du palais de la marina l’ont presque immunisé contre les foudres d’un patron décrit comme impulsif et narcissique. Par exemple les « klébés », cette nuée d’utilisateurs de Facebook, prêts à défendre tout et n’importe quoi, contre une modique rémunération, c’était son idée. Mais pas que !
Stevy Wallace est tombé en disgrâce en janvier 2022 quand il a été convaincu de trafic d’influence, voire de tentative de rackett. Le petit génie de la stratégie digitale n’était peut-être pas payé autant qu’il pensait le mériter. Il faisait discrètement pression sur des directeurs d’agences et de sociétés d’état pour « gérer leurs campagnes digitales » contre une commission. Une de ces cibles nous confia qu’il leur faisait croire que l’ordre venait du chef de l’état en personne, qui ne serait pas très satisfait de leur réputation et de leur notoriété sur le web. Il sera d’abord mis en quarantaine de toutes les activités de communication gouvernementale, avant d’être purement et simplement remercié aux premiers jours de l’année dernière.
Les « klébés » sont de retour
Après son départ, Wilfried Léandre Houngbédji, son supérieur hiérarchique direct, héritera de ses tâches. Mais sans formation et sans compétence, l’ancien journaliste du quotidien de service public « La Nation » tirait la langue depuis plus d’un an. Depuis le départ de monsieur Wallace, le chef de l’état et son gouvernement ne savent plus donner le change sur les réseaux sociaux qui restent l’ultime espace de liberté d’expression, après que tous les médias eurent été « disciplinés » et les manifestations interdites de fait. L’action gouvernementale se fait en effet laminer semaine après semaine. Le cas le plus récent a été la gestion de la crise au Niger. Les prises de position jugées hasardeuses du chef de l’Etat béninois ont provoqué une véritable campagne de lynchage non seulement de la part des internautes béninois, mais également de la part des grosses pointures du néo panafricanisme.
Selon toute vraisemblance, c’est cette déferlante de critiques et de haines qui auraient contraint le président béninois à rappeler son ex-collaborateur. Une offre que l’intéressé a acceptée presque automatiquement, mais en fixant ses conditions : cette fois-ci il sera consultant et pourra facturer le service selon ses propres critères. Sa première décision a été de rappeler et de remobiliser les « klébés ».
Mission impossible ?
L’une des premières missions du nouveau consultant a été la gestion de la couverture digitale de la dernière visite du président Talon en Chine. Il était de la délégation et a supervisé la création et la diffusion des contenus sur le web béninois. Mais c’est sur la réhabilitation de l’image du président Talon auprès des internautes francophones d’Afrique que Stevy Wallace est le plus attendu. L’hystérie et les maladresses de Patrice Talon dans la gestion du coup d’état au Niger lui ont valu de devenir l’une des cibles prioritaires des principaux leaders d’opinion de la sous-région. Ils l’avaient relativement bien épargné quand Patrice Talon se faisait encore discret sur les questions de la politique régionale. Malgré les dérives autocratiques de son régime, cette discrétion sur la scène internationale avait permis au numéro 1 béninois d’entretenir le mythe d’un président réformateur et décomplexé par rapport aux influences occidentales. Mais au vu des clients qu’il a en face, Stevy Wallace semble désormais au pied d’une montagne quasi infranchissable. Que pourront en effet un jeune consultant local et ses « Klébés », si fanatisés soient-ils, face à l’offensive coordonnée des pointures comme Kémi Séba, Nathalie Yamb, Zack Mwenkasa, Franklin Nyamsi ou Trait d’Olympe, qui ont une audience internationale et dont les contenus sont vus des millions de fois chaque semaine ? Va-t-il circonscrire sa « contre-offensive » au seul espace béninois, ou s’attaquera-t-il courageusement à l’opinion publique ouest-africaine ? On ne tardera pas à le savoir.