Dans le cadre de la commémoration du 64ᵉ anniversaire de la fête nationale du Bénin, Omar Arouna se prononce sur la situation sociopolitique dans le pays. L’ex-ambassadeur béninois appelle le peuple et les anciens présidents de la république à la réflexion face à la gouvernance de Patrice Talon. En moins de 10 ans, à la tête du pays, la démocratie et les droits de l’homme ont considérablement reculé. Et Omar Arouna demande à ses compatriotes d’entrer en réflexion dès ce premier août, plutôt que de se jeter dans des manifestations festives.
Voici l’intégralité de son adresse au peuple béninois et aux anciens présidents :
« ÉDITORIAL DU PREMIER AOÛT DE L’AMBASSADEUR OMAR AROUNA
APPEL AU PEUPLE BÉNINOIS ET AUX PATRIARCHES SOGLO ET YAYI : POUR UNE COMMÉMORATION SOBRE ET RÉFLÉCHIE DES 64 ANS D’INDÉPENDANCE DU BÉNIN
En ce 1er août 2024, le Bénin s’apprête à célébrer son 64ème anniversaire d’indépendance. Cependant, la situation politique, économique et sociale actuelle du pays me pousse à une réflexion profonde sur la pertinence de telles festivités. En tant que citoyen béninois, j’appelle les patriarches Nicéphore Soglo et Boni Yayi, ainsi que tous mes compatriotes, à boycotter les célébrations officielles et à opter pour une commémoration sobre et pieuse. La présence des anciens présidents Soglo et Yayi aux côtés du Président Patrice Talon donnerait l’illusion d’un pays en paix, prospère et où les libertés publiques sont garanties, alors que la réalité est bien différente.
Gouvernance désastreuse de Patrice Talon : Depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon en 2016, le Bénin a connu une érosion significative de ses fondements démocratiques. Les pratiques d’emprunt obligataire nuisibles et la centralisation des avantages financiers au profit du président et de ses proches ont aggravé la situation économique du pays. La gouvernance actuelle est marquée par une mauvaise gestion financière, un détournement de ressources et une corruption endémique, avec des répercussions graves sur la viabilité économique et la transparence fiscale.
Prisonniers politiques et exilés : Le régime de Patrice Talon est également caractérisé par la répression systématique de l’opposition. Des figures de l’opposition comme Reckya Madougou et Joël Aivo sont emprisonnées sous des accusations contestables. La mort en détention de Latifou Radji et les conditions déplorables de détention des étudiants prisonniers politiques, souvent privés de soins médicaux, illustrent l’inhumanité du régime actuel. De nombreux opposants, tels que Valentin Djenontin-Agossou, Amissetou Affo Djobo, Komi Koutché, Sébastien Adjavon, Léonce Houngbadji, et Léhady Soglo, vivent en exil, fuyant la répression et les menaces constantes.
Violations des droits de l’homme et répression : Depuis 2016, l’état de droit ne caractérise plus le Bénin. Les violations des droits de l’homme sont monnaie courante au Bénin. Les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les conditions de détention inhumaines et l’utilisation disproportionnée de la force par la police politisée et l’armée contre les citoyens sont des pratiques répandues sous le régime de Talon. La liberté de presse est sévèrement restreinte, les journalistes sont harcelés et incarcérés ; la censure est omniprésente.
Le déni de démocratie se manifeste par des élections truquées, des modifications législatives pour marginaliser l’opposition et un nouveau code électoral controversé et incendiaire.
Insécurité et attaques terroristes : Le nord du pays est en proie à des attaques terroristes fréquentes, coûtant la vie à de nombreux soldats et civils innocents. Le silence du gouvernement face à ces tragédies est assourdissant. Les agriculteurs, notamment les sojaculteurs, et les cotonculteurs sont victimes de politiques oppressives et de mépris par le gouvernement, aggravant leur précarité et leur désespoir.
Corruption et accaparement des richesses : La corruption au sommet de l’État et l’accaparement des richesses nationales par le clan Talon sont des réalités quotidiennes au Bénin. Les projets d’infrastructure et les ressources publiques sont détournés au profit d’intérêts privés, exacerbant les inégalités et la pauvreté.
Appel à la sobriété et au recueillement : Face à cette situation désastreuse, j’appelle les présidents Nicéphore Soglo et Boni Yayi, les patriarches de notre nation, qui ont récemment démontré une synergie d’action en engageant une mission de médiation entre le Niger et le Bénin, à mettre cette même énergie commune au service du peuple béninois en boycottant les festivités officielles du 1er août 2024. Leur présence aux côtés de Patrice Talon serait perçue comme une approbation tacite de sa gouvernance autoritaire et une insulte à la mémoire de ceux qui souffrent sous son régime.
J’invite tous les Béninois à commémorer ce jour chez eux, dans le recueillement, en mémoire de ceux qui ont perdu la vie à cause des dérives du pouvoir actuel et en soutien aux souffrances de la population. Ensemble, organisons-nous pour exiger la libération sans condition des prisonniers politiques et le retour des exilés, et travaillons à restaurer la démocratie et la justice dans notre pays.
Le 1er août 2024 ne doit pas être une célébration de l’indépendance du Bénin sous un voile d’illusion, mais un moment de réflexion et de mobilisation pour un avenir meilleur. Nous devons unir nos voix pour dénoncer les injustices et œuvrer pour un Bénin où règnent la démocratie, la liberté et la justice. Le boycott des festivités officielles est un acte de résistance et de solidarité envers tous ceux qui se sacrifient et luttent pour un Bénin digne et prospère ».