La Cour de Justice de la CEDEAO a rejeté, ce jeudi 07 décembre 2023, une requête de la République du Niger visant à la suspension des sanctions imposées par l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement de l’organisation sous-régionale. Cette demande de mesures provisoires fait partie d’une requête plus large intentée par la junte militaire au pouvoir à Niamey et 07 autres demandeurs qui contestent la légalité des sanctions imposées par la CEDEAO à la suite du coup d’État militaire de juillet 2023 qui a renversé le gouvernement de Mohammed Bazoum.
Dans l’arrêt rendu par le juge Edward Asante, la Cour reconnaît qu’elle avait compétence pour connaître de la requête au fond. Cependant, elle a décidé qu’elle ne pouvait pas faire droit à la demande de mesures provisoires puisque les conditions pour que l’affaire soit recevable prima facie n’étaient pas remplies. La Cour a expliqué que la République du Niger, actuellement contrôlée par la junte militaire, n’avait pas capacité pour saisir la Cour, ce qui rendait la requête au fond irrecevable. La requête au fond a également été jugée irrecevable à l’égard du reste des demandeurs au sens des articles 9(2) et 10(c) du Protocole de l’instance juridique.
Au cours de l’audience tenue le 21 novembre 2023, les demandeurs représentés par Me. Moukaila Yaye et cinq autres avocats, ont soutenu que les sanctions imposées par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO ont eu des effets négatifs sur le peuple nigérien, notamment la pénurie de nourriture, médicaments et électricité, en raison de la fermeture des frontières et de la suspension de l’approvisionnement en électricité par le Nigeria. Ils ont demandé à la Cour des ordonnances provisoires obligeant l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement à suspendre immédiatement ces sanctions. Selon eux, la CEDEAO avait réagi de manière excessive en imposant les sanctions et le Niger était traité de manière inégale et injuste par rapport à trois autres États-membres de la CEDEAO (Mali, Burkina Faso et Guinée) qui ont connu des coups d’État ces dernières années.
Me François Kanga-Penond, qui représentait l’Autorité de la CEDEAO et d’autres défendeurs dans cette affaire, a déclaré à la Cour que la République du Niger est actuellement contrôlée par une junte militaire qui a pris le pouvoir de manière inconstitutionnelle en violation des instruments juridiques de la CEDEAO. Il a par la suite expliqué qu’un tel gouvernement, dénoncé par la CEDEAO et la communauté internationale, ne pouvait pas être légalement considéré comme représentant du pays, tant la requête au fond que la demande de mesures provisoires étaient irrecevables. L’avocat a donc appelé la Cour à rejeter la demande de mesures provisoires.
Dans la requête au fond, les requérants ont demandé à la Cour de déclarer illégales les mesures prises par l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO lors de ses sessions extraordinaires du 30 juillet et 10 août 2023, pour rétablir l’ordre constitutionnel en République du Niger. Ils ont demandé à la Cour d’annuler toutes les décisions de ces assises de la CEDEAO imposant des sanctions, y compris la décision de recourir à une intervention militaire en République du Niger.
Dans son verdict, la Cour a estimé qu’une entité résultant d’un changement de gouvernement anticonstitutionnel, et non reconnue par la CEDEAO comme gouvernement d’un État membre, n’avait pas intrinsèquement la capacité d’engager une procédure devant elle dans le but d’obtenir des avantages ou un sursis. De ce fait, l’action au fond et la demande de mesures provisoires présentées au nom du Niger, par une autorité gouvernementale inconstitutionnelle et non reconnue, étaient prima facie irrecevables.
Concernant les sept demandeurs non-étatiques, la Cour a jugé qu’ils n’avaient pas fourni de détails précis sur la nature et l’étendue du préjudice subi par chacun d’eux du fait des mesures imposées au Niger. Ce manque de spécificité a rendu difficile la distinction entre leurs intérêts juridiques dans cette affaire et ceux de la République du Niger. Compte tenu de ces circonstances, la Cour a conclu que la requête était prima facie irrecevable par rapport aux demandeurs non-étatiques, conformément aux dispositions des articles 9(2) et 10(c) du Protocole de la Cour.
Ayant conclu que la requête au fond portée devant la Cour était prima facie irrecevable, la Cour a jugé que la demande de mesures provisoires ne pouvait être acceptée. Elle l’a donc rejeté. Le collège de juges qui a rendu la décision comprenait le juge Edward Amoako Asante, Président de la Cour et juge rapporteur pour l’affaire, ainsi que les honorables juges Gbéri-bè Ouattara et Dupe Atoki.