Il y a un an jour pour jour, le jeudi 05 août 2021, après le renvoi de son dossier en instruction, le professeur Frédéric Joël AÏVO passait devant la chambre des libertés et de la détention de la CRIET où il avait presque confondu les juges. Voici ce qu’il avait dit aux magistrats :
« Madame la présidente, madame et messieurs les membres de la chambre des libertés et de la détention, j’ai le sentiment d’avoir été recruté contre mon gré comme l’acteur principal d’un scénario judiciaire écrit par un réalisateur que tout le monde connaît. Depuis le 15 avril, j’ai été précipité dans un tunnel judiciaire ; arrêté sans aucun acte légal, sans convocation préalable ni mandat d’arrêt, je suis détenu depuis bientôt 4 mois dont 60 jours dans une cellule insalubre et indigne, et depuis lors, je suis maltraité et malmené judiciairement par le procureur spécial qui, pour me maintenir en prison, a violé impunément les règles de procédure et brûlé tous les feux rouges de l’administration de la justice.
Très humblement, je souhaiterais vous apprendre que malgré tout, au fond de la cellule où le procureur spécial m’a illégalement envoyé, seule face à ma conscience, dans le secret de ma détention, je suis un homme apaisé. J’ai la conscience apaisée d’avoir fait mon devoir pour notre pays, ce qu’un citoyen devrait faire avec ses idées pour apaiser et rassembler ses enfants.
Depuis 2016, j’ai tenté de faire vivre le pluralisme malgré les menaces et surtout d’avoir, avec détermination, aidé notre pays à s’accrocher à la démocratie et à l’Etat de droit. Ça, je le reconnais. Je reconnais aussi que depuis 2019, j’ai renoncé au confort de ma vie, j’ai renoncé à mes engagements internationaux, j’ai renoncé à la tranquillité de ma vie familiale pour un engagement que j’ai voulu citoyen au service de mon pays et de mes compatriotes. Je ne suis donc pas un lâche qui se cacherait pour faire un complot. Je n’ai pas caché mes ambitions de proposer un projet présidentiel, de structurer une offre politique et d’engager une confrontation démocratique cordiale et courtoise avec le pouvoir et les autres candidats, dans le respect des lois de la république, y compris celles que j’ai critiquées.
Madame la présidente, madame et monsieur les membres de la chambre des libertés et de la détention, c’est au regard de ces faits que je suis conscient d’une chose : je suis devant vous ce soir parce que j’ai préparé au vu et au su de tous, une candidature à l’élection présidentielle d’avril 2021 ; si je n’avais pas été candidat, jamais je n’aurais été arrêté, détenu, poursuivi et présenté ce soir devant vous.
Depuis quatre mois, je suis détenu sans que personne, je dis bien personne, ni la brigade économique et financière, ni le parquet spécial, ne m’ait dit quels fonds j’aurais blanchi, le montant que j’ai blanchi, l’argent de qui et de quelle origine criminelle. Du 15 avril 2021 à cette date, l’accusation ne m’a pas présenté un seul début de commencement de preuve d’un acte que j’aurais posé, de faits, de propos ou d’écrits venant de moi et attestant de ma participation à un quelconque complot contre l’autorité de l’Etat, ou encore de blanchiment de capitaux. Depuis ce jour où je suis censé avoir été pris en flagrant délit, rien, pas une seule preuve. Le procureur spécial demande maintenant, quatre mois après m’avoir pris, selon lui en flagrant délit de commission de ces deux infractions, du temps pour vérifier et rassembler les preuves éventuelles. Pendant ce temps, je suis privé de ma liberté.
Pour finir, je voudrais vous demander de me laisser rejoindre mon épouse et mes deux enfants à qui j’ai été brutalement arraché le 15 avril. Je voudrais vous demander de me laisser poursuivre ce que je sais le mieux faire : enseigner, partager, conseiller, diffuser le droit, et surtout, tenir la main de celles et ceux de mes étudiants qui m’ont fait l’honneur de me confier l’encadrement de leurs mémoires de master et de leurs thèses de doctorat. Je vous remercie. »