Sauvés in extremis de l’élimination grâce à une victoire in-nécessaire du Maroc dans une autre poule, les footballeurs ivoiriens sont ensuite allés d’exploit en exploit, pour se hisser jusqu’à la victoire finale.
Les larmes du président Alassane Dramane Ouattara au moment de la remise du trophée au bout de la nuit de ce 11 février 2024 resteront dans l’histoire. Comme tous ses concitoyens, le vieux chef de l’État ivoirien est passé par toutes les émotions au cours des trois dernières semaines. On se souvient encore de lui, vautré d’impuissance dans son fauteuil de la tribune officielle du stade éponyme le jour de l’humiliation face à la Guinée Équatoriale, le 22 janvier 2024.
Le cauchemar équato-guinéen
Ce jour-là, la belle pelouse du stade Alassane Ouattara d’Ébimpé en banlieue abidjanaise ne paraissait pas assez solide pour soutenir les pas des joueurs de l’équipe nationale de Côte-d’Ivoire. Les hommes du technicien français Jean-Louis Gasset venaient de se faire sèchement rudoyer 4-0 par une équipe équato-guinéenne en balade ce soir-là. Après la défaite concédée quelques jours plus tôt face aux super eagles du Nigeria, Serge Aurier et ses copains ne pouvaient se permettre une autre défaite, surtout pas contre un concurrent direct pour la deuxième place du groupe A. D’autant plus que le Nigeria était quasiment assuré de prendre l’une des deux places qualificatives de cette pouls. Certes, même avec une défaite, ils auraient toujours la possibilité de passer, mais c’est « leur » CAN, ils jouent devant leur public, et se doivent de faire bonne figure. Ça, c’était le principe. La réalité était beaucoup plus compliquée. Tétanisés par la pression, Jean-Louis Gasset et sa troupe se laisseront maltraiter par leurs adversaires du soir, sous les huées d’un public en colère.
« On vaut rien, m’on s’en fout »
Avec seulement 3 points sur 9 possibles et une différence de buts de -3, ce qui se voulait « la plus belle CAN de tous les temps », était devenu pour les ivoiriens comme un interminable film d’horreur. Désormais, leur destin n’était plus dans leur main, ils étaient à la merci d’une multitude de probabilités face auxquelles le public ivoirien connu pour sa bonne humeur légendaire, s’en était remis à l’autodérision. Dès la nuit de l’humiliation face à la Guinée Équatoriale, les contenus d’autodérision se sont emparés de la toile, comme le « on vaut rien, mais on s’en fout ». La délivrance arrivera finalement au coup de sifflet final du dernier match de la dernière journée des phases de groupe. Alors qu’il était déjà qualifié depuis la deuxième journée du groupe F, le Maroc s’est imposé par 1 but à 0 face à la Zambie, et délivré tout un peuple. À partir de ce jour, c’est une tout autre histoire qui démarre pour les éléphants.
La résurrection
S’ils reviennent de loin, le sort ne leur aura pas fait pour autant du cadeau. Comme un rite de passage, c’est le champion en titre qui leur tombe dessus. S’ils veulent poursuivre l’aventure, ils devront se défaire du Sénégal qui venait d’honorer son statut de grand favori de la compétition en alignant un sans-faute (3 victoires sur 3) dans sa poule, dont un récital face au Cameroun.
Débarrassé entretemps de leur sélectionneur français et placés désormais sous les ordres de deux anciens internationaux ivoiriens, Emerse Faé et Guy Demel, les éléphants n’abordent pas ce huitième de finale dans les meilleures dispositions mentales, d’autant plus que la fédération ivoirienne de football ne faisait clairement pas confiance aux intérimaires. Elle a tenté, sans succès d’offrir une pige de quelques semaines à un ex-sélectionneur de Côte-d’Ivoire, le français Hervé Renard.
Moqués et raillés de toutes parts, le mot d’ordre était « l’humilité », un mot d’ordre lancé par Alassane Ouattara lui-même et relayé massivement par les influenceurs ivoiriens. Le 29 janvier, les choses commencent plutôt mal pour la troupe d’Emerse Faé qui est menée très vite (4’ Habib Diallo) et outrageusement dominée par ses adversaires décidés à tuer tout suspens. C’était sans compter avec la nouvelle résilience de cette équipe qui n’avait plus rien à perdre. Disciplinés tactiquement, solidaires dans les efforts, ils ploient mais ne rompent pas. De quoi faire douter les éléments d’Aliou Cissé qui finissent par concéder un penalty en toute fin de seconde mi-temps (85’). Franck Kessié transforme la sanction et offre un nouveau sursis à ses coéquipiers. Le score en restera là jusqu’aux fatidiques séances de tirs au but. La Côte-d’Ivoire renverse le Sénégal en transformant tous ses tirs, alors que Niakhaté ratait le sien.
Des éléphants renversants
En quart de finale, les éléphants tombent sur l’équipe Mali dans un contexte géopolitique tendu entre les deux pays. Dominés et en panique défensivement, les hommes d’Emerse Faé réussiront à se remettre d’un carton rouge, d’un pénalty raté par les Maliens et d’un but encaissé à la 71e minute. Au coup de sifflet final des prolongations, le score est de 2 buts à 1 pour les Orange. Ils sont définitivement insubmersibles. Les aigles maliens n’en reviennent pas.
La demi-finale face à la République Démocratique du Congo est beaucoup moins renversante. Elle est même totalement maîtrisée par les ivoiriens. Complètement métamorphosés, les Éléphants se sont rués à l’attaque dès l’entame de la rencontre, à l’image de Simon Adingra, tout proche d’ouvrir la marque de la tête (17’), avant que son camarade Kessié ne trouve le poteau sur une frappe croisée du gauche (42’). En face, les Congolais pliaient, se montraient peu dangereux, mais parvenaient tant bien que mal à tenir un score de parité. Jusqu’à la superbe inspiration de Sébastien Haller. Trouvé en déséquilibre dans la surface, l’attaquant du Borussia Dortmund a armé une frappe avec rebond que personne n’avait vu venir, et notamment le gardien Lionel Mpasi, impuissant sur ce coup (64’). Le score en restera là, la Côte-d’ivoire est en finale !
L’apothéose
En finale, les hommes d’Emerse Faé rencontrent une vieille connaissance. Ils avaient croisé en pouls les super eagles du Nigeria et s’étaient inclinés par la plus petite des marques. Cette fois-ci, ils sont prévenus, les nigérians aussi. Peut-être un peu trop, diront les supporters nigérians. La peur au ventre, c’est avec un bloc bas que les nigérians ont abordé cette finale, laissant totalement l’initiative aux Adingra, Fofana et autres Kessié qui se sont régalés. Même en étant menés 0-1 contre le cours du jeu, juste avant la fin de la première mi-temps, les éléphants n’ont jamais paru pouvoir perdre cette finale. L’égalisation interviendra peu après le retour des vestiaires avant que Sébastien Haller n’offre la troisième étoile à son pays d’un pointu de godasse vicieux, sur un éclair de génie du jeune Simon Adingra.
Comme le Portugal à l’Euro 2016, la Côte-d’Ivoire aura réussi à vaincre tous les vents défavorables pour se hisser sur la plus haute marche du football africain. Dans 50 ans, les témoins de l’épopée ivoirienne de cette CAN pourront raconter à leurs petits-enfants qu’ils ont vu des éléphants morts trucider un lion, scalper un léopard et déplumer deux aigles pour s’emparer du trône tant convoité de « Rois d’Afrique ».