BÉNIN : « Votre autosatisfaction induit chez certains de nos compatriotes une confusion compulsive », écrit Gildas AGBOTON à Patrice TALON dans une lettre ouverte

PATRICE TALON

Dans une lettre ouverte datant du jeudi 2 janvier 2025, Gildas AGBOTON, observateur et analyste politique béninois, s’adresse sans langue de bois au Président de la République. Avec une assurance extraordinaire, il décortique les années de règne de Patrice TALON à qui il reproche sans ambages le ton adopté dans le discours sur l’état de la nation du 20 décembre 2024. Hormis cela, il déplore le fanatisme de certains compatriotes visiblement incapables de « se départir de ‘‘l’ADN du nègre’’». Pour Gildas AGBOTON, ni l’érection d’une statue « faite en bronze dans un espace éclairé par les guirlandes et feux d’artifices », ni la réalisation de routes, ni les marchés dits modernes aux coûts exorbitants ne reflètent réellement le développement du Bénin. L’homme devrait être mis au centre du développement, pense-t-il. Alors, reconnaissant le rôle prépondérant d’une première dame dans la gestion d’une nation, il invite Madame Claudine TALON à une « implication personnelle » pour l’apaisement des tensions dans le pays. Ceci passera, à l’en croire, essentiellement, par la libération des prisonniers politiques dont Reckya MADOUGOU et Joël AÏVO.

Lire l’intégralité de la lettre ouverte de Gildas AGBOTON au Chef de l’État, Patrice TALON.

Lettre ouverte à Patrice TALON, Président de la République du Bénin pour l’impératif d’un nouveau pacte de responsabilité publique

Mû par l’exigence de la lucidité collective qui postule à ce que tout citoyen est responsable de la vie publique de la Nation, et animé par l’esprit républicain, je me permets de partager avec vous quelques réflexions relativement à votre perception de notre marche vers le progrès.

Votre adresse à la Nation le 20 décembre 2024 qui résume selon vos propres mots cette perception, est accueillie par nombre de béninois comme une rhétorique de l’humiliation de ceux qui ont eu la charge de présider à la destinée de notre pays avant vous d’une part et d’autre part, leur donne l’idée que seule votre gouvernance étale un tableau élogieux d’actions.

L’État n’est et ne sera jamais le résultat des efforts d’une génération spontanée.

Dans votre message devant les membres des partis réunis en assemblée, vous affirmiez que : « s’il est vrai qu’on ne mange pas la route, il est pourtant vrai que la route fait manger ». Aucune compensation entre les deux idées de la phrase. Du moins, on a l’impression que vous feignez de ne pas cerner la préoccupation des béninois toutes tendances confondues. En récriminant qu’on ne mange pas la route, il est clair pour tous que le bitume n’est pas un produit comestible. Autrement, ils essaient de dire que les routes construites n’apportent aucune valeur ajoutée au panier de la ménagère pas plus qu’elles ne vident le fond de la marmite. En proclamant que la route fait manger, j’ose croire que vous n’avez pas la prétention de faire admettre qu’avant l’avènement de ces infrastructures routières, les béninois ne mangeaient pas, puisque ce serait tout le contraire de la réalité.

L’importance de la route dans le développement de tout pays a été partagée par les occidentaux vers la fin du XIXe siècle à travers l’adage selon lequel le chemin du développement passe par le développement de la route. En ces temps, en plus de la nécessité de convoyer les matières premières africaines vers leurs terres, ils devraient aussi évacuer leurs produits manufacturiers. Seulement qu’en cette période, le monde n’avait pas encore connu les microprocesseurs suivis de tous les progrès technologiques dont l’intelligence artificielle par exemple.

Depuis lors, le nouveau système de création de richesse ne se repose plus sur la réalisation d’infrastructures à base de béton ou d’acier.

C’est vous dire que, la route est passée d’un besoin essentiellement important à un besoin basique qui ne doit pas être élevé au rang de performances. Et c’est à juste titre que vous aviez affirmé le 16 décembre 2016 au cours de la présentation du PAG que notre retard ne sera rattrapé que si nous travaillons à combler le fossé technologique existant entre les contrées du nord et nos pays.

De l’exposé du Bénin Révélé, il a fallu huit ans avant que les marchés que des gens autour de vous vantent d’ultra modernes ne soient mis à disposition des populations. Tout ce temps pour la construction de marché. À voir de près, ces infrastructures marchandes sont constituées de trois choses : des briques en terre cuite, de l’acier pour la structure de la charpente et des objets décoratifs pour rendre agréable l’espace. Rien d’extraordinaire de plus !

Il semblerait donc évident que le coût humain de vos projets ne contribue pas véritablement à un niveau élevé de vie des populations. Je n’en veux pour un aperçu global que l’évolution de la dette de septembre 2021 à septembre 2024, passant de 4850 milliards FCFA à 6844 milliards FCFA pour une évolution du PIB/habitant oscillant autour de 20 dollars soit environ 12.500 FCFA alors que le taux de croissance grimpe à 7,2%. Paradoxalement, la pauvreté s’accroît.

Au nom de la responsabilité publique, nous ne devrions pas accepter le sort d’être qualifiés de « tel président, tel peuple ». Loin de là, votre perception que je n’en doute point.

À moins que les mots ne trahissent vos pensées réelles, il serait bénéfique d’éviter le langage excessif qui n’induit que le mal dans l’âme, bien que dans l’univers politique, les intérêts sont à défendre. Le futur du pays ne doit pas être terrifiant pour les populations car la recherche faustienne du pouvoir pour le pouvoir résulte des limites de la nature humaine.

Et pourtant, Monsieur le Président, à votre compteur se trouvent des actions salutaires.

J’évoquerai volontiers le vaste chantier de salubrité du Grand Nokoué et grandes villes du nord du Bénin. Cela témoigne de votre amour pour la nature. Grâce à ce projet, il y a une amélioration qualitative du cadre de vie des béninois même s’il est à déplorer que toutes les localités dans une ville comme Porto-Novo la capitale n’en bénéficient pas encore, non pas parce qu’il y manque de route mais à cause de voies de desserte non entretenues par la Mairie.

Excellence Monsieur le Président, vous avez souvent projeté consciemment ou non dans l’opinion publique nationale que vous êtes un homme fort et intelligent. Ce qui me semble vrai dans une certaine relativité.

Malheureusement, votre autosatisfaction induit chez certains de nos compatriotes une confusion compulsive. Je fais appel donc à votre génie à les inviter à se départir de ‘‘l’ADN du nègre’’. Il y a deux cent ans, nos aïeux perdaient leur lucidité devant des objets dérisoires du colon. Ce n’est plus acceptable que des béninois soient ébahis en contemplant une statue faite en bronze dans un espace éclairé par les guirlandes et feux d’artifices au point de comparer cela au développement. Vos actions interpellent mieux que ça.

L’arène du vodun construite à Ouidah est un mérite pour votre gouvernement. Mais de là, à le confondre à un symbole de développement paraît simplement de la surenchère. Ce n’est pas la basilique Saint Pierre et Saint Paul à Rome qui a fait la puissance de l’empire romain dans le monde ; c’est qu’à un moment de l’histoire de l’humanité, cet empire a pu imposer sa civilisation dans plusieurs parties du globe. Et la civilisation a son ancrage dans le passé. Or, il se trouve que le Bénin, terre de vodun, a eu un passé honteux. Lequel passé qui n’a même pas été situé dans le temporel est déclaré urbi orbi honteux.

Vous convenez avec moi à quel point, il importe que le politique fasse usage d’une sémantique appropriée.

Sur un autre plan, mon observation des huit années de votre gouvernance a fait naître en moi une curiosité que je voudrais bien rendre publique sous la forme interrogative.

Quelle est l’influence de la première dame dans votre gestion du pays ?

Trois raisons sous-tendent cette curiosité.

D’abord, je me rends compte que c’est une première dame qui mène ses actions avec efficacité et dans la discrétion et ce, à travers la fondation qui porte son nom et pas que ;

Ensuite, je suis persuadé que c’est la première dame africaine la plus belle et dont l’élégance s’allie avec son intelligence ; 

Enfin, en me référant à un de vos propos dans une interview où vous déclariez que vous aviez dû partir en exil sur insistance de votre femme lorsque fut éclatée la rocambolesque affaire de PVI entre l’État béninois et la Société Bénin Control dont vous étiez le patron, et qu’on sait par la suite qu’elle a été une cheville ouvrière de votre élection en 2016.

Serait-elle cette première dame influente dans l’ombre, ou son avis pèse de moins en moins dans votre vision politique du pays ?

La seconde hypothèse me semble moins plausible puisque vous avez toujours fait montre d’admiration à son égard à chaque apparition en public avec elle.

À 18 mois de la fin de votre deuxième et dernier mandat voulu, l’implication personnelle de la première dame dans la décrispation politique et l’apaisement social de notre pays est souhaitée. Une personnalité de son rang ne peut et ne doit rester insensible et indifférente aux échos sociaux et politiques alarmants qui interpellent chacun et tous.

Son cœur de mère doit s’ouvrir aux jeunes qui croupissent dans les geôles depuis 2021 et leur donner espoir de retrouver leur liberté en 2025. C’est peut-être son cœur de mère qui permettrait à Réckya MADOUGOU de retrouver ses enfants très bientôt. Grâce à son cœur de femme, Joël AIVO rejoindra son épouse et ses enfants dans un futur très proche, sait-on jamais.

En attendant d’avoir des réponses à ces questions et vous rappelant que le consensus est un préalable indispensable à tout développement alors que s’ouvre une nouvelle année qui invite à plus d’humanisme pour nous éloigner des moments de troubles et éviter le chaos afin d’embrasser un futur enchanté sous votre gouvernance.

Je vous souhaite une bonne et heureuse année 2025 !

Gildas AGBOTON

Observateur aux échos sociaux et politiques

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