Bénin /Robert Dossou : « Tôt ou tard, plusieurs textes devront être abrogés » – L’ancien président de la cour constitutionnelle psychanalyse les réformes politiques de Talon

Sur la chaîne de télévision privée béninoise Canal 3, l’ancien président de la cour constitutionnelle (2008 – 2013) s’est montré particulièrement sévère contre les réformes politiques initiées depuis 2018 et contre leurs auteurs qu’il accuse d’avoir mis leur science au service d’objectifs politiques non avoués.

Canal 3 Bénin : Bonjour, Me DOSSOU. Quelles sont les observations que vous faites par rapport à cette décision du juge constitutionnel béninois ?

Robert Dossou : J’ai toujours été très discret vis-à-vis des décisions de la Cour Constitutionnelle, mais cette décision-ci, intervenue le 04 janvier dernier, m’amène à intervenir pour deux raisons. Disons même trois. La première raison est qu’il y a un aspect négatif dans cette décision-là. Deuxième raison, il y a un aspect positif à cette décision-là. Et en guise de conclusion, c’est la troisième raison, il y a nécessité d’alerte dans toute société. L’aspect négatif de cette décision qui, à la réflexion, m’interpelle très fortement, (et ça pourrait être inquiétant) c’est que cette décision tend à faire croire au citoyen que pour modifier les actes, la série d’actes pris à titre législatif dans le cadre des réformes intervenues en 2019, il faut passer par la Cour Constitutionnelle. Il y a un citoyen, monsieur GBEHO, je crois, qui est un citoyen béninois et je n’arrive pas à comprendre ce qui l’a poussé à saisir la Cour Constitutionnelle. Ce n’était pas nécessaire. Il y a des contacts que l’on peut prendre avec des députés et les députés peuvent déposer des propositions de lois pour réajuster ce qu’ils découvrent eux-mêmes comme n’allant pas à l’intérieur d’un texte législatif. La constitution donne l’initiative des lois aux parlementaires et au pouvoir exécutif… A partir de ce moment, je ne peux pas croire que de 2019 à ce jour, les partis politiques autorisés affichés, officiels, qui tiennent des meetings, des commissions d’étude de ceci, de celà et qui comportent en leurs seins de brillantes personnalités au plan intellectuel et sur le plan de la science, n’aient pas découvert ça pour pouvoir initier, soit par projet de loi, c’est-à-dire initiative du gouvernement, soit par proposition de loi, c’est-à-dire initiative d’un ou de plusieurs députés, et qu’il faille passer par ce cheminement laborieux que je reçois mal. Je reçois mal et je voudrais qu’à cette occasion, tous les citoyens de ce pays comprennent qu’on n’a pas besoin de passer par la Cour Constitutionnelle pour réviser, abroger une loi.

Canal 3 Bénin : Est-ce que tous les Béninois convenaient de ce que ces dispositions de l’article 142 du Code Electoral n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 49 de la Constitution ?

Robert Dossou : Je viendrai à ce point. C’est mon deuxième point. Mon deuxième point c’est le point positif. L’aspect négatif qui constitue une alerte que je donne est que personne ne croit qu’il faille nécessairement passer par la Cour Constitutionnelle pour donner l’injonction ou une invite au Parlement pour pouvoir modifier ou abroger, parce qu’il y a des textes qui doivent être abrogés dans ce pays et qui tôt ou tard le seront. Je dis bien et je pèse mes mots. Il y a des textes qui tôt ou tard seront abrogés. J’ai traversé tous les régimes politiques depuis 1946 à ce jour. D’abord, de manière informelle, inconsciente et de manière très consciente où j’ai même été acteur. Je dis, il y a un côté positif. Le côté positif est le suivant. Cette décision de la Cour Constitutionnelle révèle que tout le train de réformes prises en 2019 comporte d’énormes lacunes, soit de forme, soit de logique, soit de régularité de fonctionnement des institutions, mais surtout ces textes ont créé des crispations dans le pays du point de vue de leurs contenus. Maintenant, pour ce qui est des erreurs que ça comporte, ces textes-là, ceux qui les ont édités, à l’épreuve des faits, doivent pouvoir s’assoir pour détecter. Et ce côté positif, c’est que tout le monde doit voir, et ceux qui sont au gouvernement, et ceux qui ne sont pas au gouvernement, et ceux qui s’opposent, parce qu’il y a trois clans. Il y en a qui sont indifférents : “rester au pouvoir mais ne me cassez pas les pieds !” Moi, on me l’a écrit quand j’étais au gouvernement et que je préparais la conférence nationale. Quelqu’un nous a écrit au comité préparatoire de la conférence nationale : “Messieurs, vous pouvez rester au pouvoir tout le temps que vous voulez, mais ne nous cassez pas les pieds. Nous, on veut manger, on veut être tranquilles dans le pays et on veut être libres. C’est tout ce que nous voulons. Si vous nous donnez ça, vous restez au pouvoir une éternité”.

Canal 3 Bénin : Maître DOSSOU, est-ce que ce n’est pas parce qu’on a sauté le verrou du contrôle de constitutionnalité systématique de certains articles ?

Robert Dossou : Non ! Non ! On n’a sauté aucun verrou de ce côté. C’est les Cours Constitutionnelles successives qui ont joué le jeu objectif visé par le train de réformes de 2019. Je ne veux pas qu’on aborde ça là aujourd’hui. Mais ce qui est important, c’est que cette décision révèle qu’il y a des dysfonctionnements provoqués par le train de réformes de 2019. C’est la preuve vous avez bien vu. La décision DCC24-001 du 04 janvier 2024 a très bien décortiqué, preuves à l’appui… Donc, il y a une invite à tous ceux qui ont créé ce train de réformes de s’asseoir et de revoir. Maintenant le troisième volet de ce que je voudrais dire, c’est l’alerte. Cette décision est une alerte. C’est une alerte aux attentions qu’il faut porter à ce que j’appelle la légistique. La légistique, c’est l’ensemble institutionnel qui, dans son fonctionnement, aboutit à la création de la loi.

Canal 3 Bénin : Dans les facultés de droit, on a des spécialistes de légistique au Bénin. Il n’y en manquait pas pour qu’on ait ces erreurs dans le Code Electoral.

Robert Dossou : Mais lorsque l’engagement politique obstrue la connaissance exacte et le désir de la part du technicien, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse ? Ils ont engagé leurs compétences au service d’une cause et dans un objectif donné. […] Ces derniers jours, il y a des journalistes qui nous ont remis en mémoire des déclarations de Joël Aïvo et de Reckya Madougou. C’étaient des alertes que ces deux personnalités avaient déjà lancées dès 2021. Si vous écoutez leurs déclarations de l’époque les deux, et Reckya Madougou, et Joël Aïvo, ont fait des déclarations d’ordre général qui devaient attirer l’attention, servir d’alerte. Et deuxièmement, Joël Aïvo lui, en bon technicien, a fait des interviews très pointues.

Canal 3 Bénin : Président DOSSOU, est-ce que vous êtes en train de recommander par là que les réaménagements à refaire aujourd’hui soient inclusifs et de l’ordre d’un consensus national ?

Robert Dossou : Il y a beaucoup de choses à revoir aujourd’hui de manière non exclusive mais de manière inclusive. C’est-à-dire, ceux qui sont au pouvoir doivent avoir l’écoute. C’est très important. Je vais vous donner un exemple. Je vous ai dit tout à l’heure que j’ai traversé tous les régimes politiques de ce pays. J’étais là quand la révolution de 1972 est arrivée. Ils ont proclamé le marxisme, je me suis opposé, j’ai même écrit. Ils ne m’ont pas écouté. Par la suite, qu’est qui est arrivé ? Ils ont échoué. Quand ils ont décidé sous la révolution de changer le cycle scolaire et universitaire, ils ont réuni une commission, j’y étais, je m’y suis opposé. Ils sont passés où ? Après, ils m’ont donné raison sur toute la ligne. Leur proclamation de marxisme léninisme, je m’y suis opposé, j’ai critiqué ; par la suite ils m’ont donné raison. Mais alors pourquoi à chaque fois ? Alors que dans le pays il y a des gens qui donnent l’alerte. Quand on ne les contraint pas à l’exil sous des prétextes bien ficelés logiquement (On connait ça), on met en prison également sous des prétextes bien montés. Ce qu’ils disent, il faut l’écouter, réfléchir et voir quelle est la portée de ce que celui-là que je n’aime pas a dit de ce que je fais, et corriger pendant qu’il est temps. Je suis heureux que pour 2026, sur ce point-là, on soit en train de corriger. Les dysfonctionnements relevés dans sa décision par la cour et sur requête de Monsieur GBEHO, il y a deux au moins de ces dysfonctionnements qui en 2021 avaient été relevés. Premièrement les réformes de 2019 ont dit que tout candidat désormais à l’élection présidentielle ou autre élection sera présenté par son parti. 2021, ce n’était pas le cas.

Deuxièmement, Joël Aïvo avait relevé en 2021 que le prolongement du premier mandat du Chef de l’Etat ne devait pas s’appliquer au premier mandat, mais au deuxième mandat. Parce qu’il aura été élu sur le deuxième mandat dont la durée avant l’élection aura été modifié. On l’a modifié en cours de mandat, Joël Aïvo l’avait très bien souligné et je suis de son avis au plan technique. Alors, la grande conclusion que je tire, les techniciens de nos sociétés doivent donner priorité à leur service à la nation au niveau de leurs compétences techniques. Parce que je suis parfois désolé. Je vois des gens faire des contorsions intellectuelles à la radio ou à la télé, et ça me contraint au silence parce que si je dois parler, je vais énerver. La presse est un organe d’information et en même temps de formation. C’est pour cela que les techniciens qui sont dans nos sociétés ne doivent pas se soumettre à la peur pour ne pas sortir la réalité, la vérité exigée par les faits qui se présentent et les objectifs de développement, et surtout de création d’Etat-Institution. Je m’arrête là parce que si je m’engage encore sur ce concept d’Etat-Institution, ça va ouvrir un autre volet qui va déborder le temps consacré à cet entretien.

Canal 3 Bénin : Merci à vous, Maitre Robert DOSSOU !

Robert Dossou : Je vous remercie !

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