Bénin/Réforme du système partisan : le constat d’échec

Bénin/Réforme du système partisan : le constat d’échec (Olivier Boko et Oswald Homeky)

Contestée et conspuée depuis son adoption, la réforme du système partisan de Patrice Talon n’avait aucune chance de survivre à son initiateur. Avec le surgissement de la vague Olivier Boko qui déferle contre l’UP-R et le BR, il semble que le démantèlement de la réforme phare de Patrice Talon interviendra beaucoup plus vite qu’on ne le prédisait.

Le 06 octobre dernier, par un communiqué signé du Secrétariat général du gouvernement, l’opinion apprend la « démission » du ministre des sports. Oswald Homéky n’était pas n’importe quel ministre du régime Talon. Il est l’un des pionniers du Talonisme. Il a annoncé avant tout le monde la candidature de l’homme d’affaires quand il était risqué de parler de lui. Il a sillonné le pays, bravé Yayi Boni et mobilisé la jeunesse pour la cause de Patrice Talon. Oswald Homéky a fait la guerre avec Patrice Talon et pour Patrice Talon. Et depuis la victoire de l’homme d’affaires à la présidentielle de 2016, Homéky était resté à ses côtés. « Petit Talon » comme s’amusaient à l’appeler les milieux populaires de Cotonou, connaissait Talon, ses méthodes et ses visées. L’ancien ministre des sports connaît mieux que quiconque les dessous politiques et les calculs de chacune des réformes de Talon. Il en connaissait l’esprit et savait à quelles fins, pourquoi et contre qui chacune des « lois-drones » du régime a été imaginée, conçue et votée.

Revenons d’abord aux déclarations de Wilfried Houngbédji au sujet de la démission de son collègue Homéky. Le porte-parole du gouvernement a expliqué que c’est la réforme du système partisan qui rendait inéluctable le départ du ministre de la jeunesse, grand défenseur de la candidature d’Olivier Boko. En effet, poursuit Wilfried Houngbédji, sous son mandat Patrice Talon a voulu remettre les partis politiques au cœur de la gestion du pays et en conséquence, les réformes qui ont été adoptées par les gouvernements Talon entendent exclure les « oiseaux rares » de la gestion du pays, et confier l’animation de la vie politique aux seuls partis politiques. Maintenant, ce sont les partis politiques qui décideraient des candidats à la présidence de la République, au poste de députés, de maire, de chef d’Arrondissement etc. Mais qu’a dit au juste le ministre Oswald Homéky pour mériter à ce point d’être poussé à la porte, malgré son statut de combattant de première heure ?

Homéky a-t-il choisi Olivier Boko contre le candidat caché de Talon ?

En août 2023, Oswald Homéky s’est permis de donner son avis sur la succession de Patrice Talon. Le ministre de la jeunesse a dit tout haut ce qui se dit à voix basse dans les partis de la mouvance présidentielle, dans le rang des députés et de maires UP et BR. En effet, en réponse aux préoccupations des journalistes sur les suscitations de candidature de l’homme d’affaires Olivier Boko pour l’élection présidentielle de 2026, le ministre Homéky aurait déclaré : « Olivier Boko est le mieux préparé de nous tous. S’il se présente, toutes les autres ambitions devront s’éclipser ». Pour succéder à Patrice Talon, continuer la dynamique en cours et préserver les acquis du talonisme, Oswald Homéky fidèle parmi les fidèles de Talon, a donc fait son choix. Ce sera Olivier Boko. En faisant de telles déclarations, certains ont pensé que Homéky trahissait un secret politique, qu’il portait la voix de son mentor et révélait au grand jour le choix de Talon pour sa succession. Il faut bien croire que non, au contraire ! La foudre qui s’est abattue sur Homéky montre bien les désaccords profonds entre d’un côté, Oswald Homéky et Olivier Boko, et de l’autre, Patrice Talon et sa garde rapprochée, sur l’homme idéal pour prendre le relai de Patrice Talon. Et la réforme du système partisan sera l’alibi parfait pour réduire au silence tous les « Bokophyles » de la mouvance présidentielle. L’UP le Renouveau et le BR serviront d’épée pour mettre à mort l’ambition d’olivier Boko de succéder à Talon s’il le faut, contre la valonté du chef de l’état. Mais la question qu’on est en droit de se poser est de savoir en quoi l’opinion exprimée par Oswald Homéky porte atteinte à la réforme du système partisan ?

‘’ Tant que l’UP-R n’a pas encore investi un candidat, les ambitions au sein du parti doivent pouvoir s’exprimer. C’est comme ça en démocratie ’’

Quand on écoute, les fidèles de Patrice Talon, Wilfried Léandre Houngbédji et Orden Alladatin, les déclarations d’Oswald Homéky viole l’esprit de la réforme du système partisan. Les plus fidèles du Président Talon chantent tous en chœur : « c’est aux partis politiques qu’il revient de choisir les candidats aux élections présidentielles ». Mais ils peinent à convaincre dans les rangs même de la mouvance présidentielle. Des ministres, députés, maires, et cadres de l’UP-R et du BR acquis à la cause de Boko ne croient ni à l’idée que le système partisan aurait remis les partis au cœur du jeu politique, ni qu’il empêche les hommes politiques d’exprimer librement leur choix. Les Béninois non plus, n’ont jamais cru au bien-fondé de cette réforme utilisée jusque-là par le pouvoir pour servir la seule volonté de Patrice Talon.

Par ailleurs, tant que l’UP-R n’a pas encore investi officiellement un candidat pour le compte de l’élection présidentielle de 2026, l’on ne peut soutenir objectivement qu’Oswald Homéky a manqué à la discipline interne du parti, au point même de vouloir l’en exclure. Avant une telle décision qui devrait canaliser toutes les ardeurs vers le choix du parti, les ambitions devraient légitimement s’exprimer. C’est ainsi en démocratie. Au regard des propos qui lui sont attribués et qu’il n’a pas démentis, Oswald Homéky n’a fait qu’afficher sa préférence parmi les potentiels candidats qui se bousculent dans le camp présidentiel. Sur le principe, sa position n’entrave en rien l’esprit du système partisan tel que glorifié depuis des années par le gouvernement. Bien au contraire, comme c’est le cas dans les partis démocratiques et modernes, on devrait espérer que d’autres ambitions s’extériorisent à l’intérieur de tous ces partis pour qu’à la fin, le choix de ces partis s’impose à tous. Sauf à vouloir sortir un candidat du chapeau du Président Talon comme Boni Yayi a sorti Lionel Zinsou du sien en 2016, cette interprétation de la réforme du système partisan constitue une vraie entorse à la compétition démocratique que la réforme est supposée promouvoir. En attendant peut-être les primaires qui permettraient aux partis de la mouvance de désigner leur candidat, les énergies devraient se libérer. Mais visiblement, il n’en sera rien. Il ne reste alors qu’une seule option aux militants de ces partis de la mouvance présidentielle qui souhaitent briguer la magistrature suprême en 2026 : c’est de tordre le bras à Patrice Talon et de lui arracher un pouvoir dont il a bien l’intention de contrôler la destination. C’est apparemment ce qu’ont décidé de faire Olivier Boko et ses soutiens. De fait, après avoir utilisé la réforme du système partisan pour réduire l’opposition à sa plus simple expression, Patrice Talon devra affronter une opposition à laquelle il ne s’attendait pas, à tout le moins, qu’il n’imaginait pas aussi rude : celle des hommes qu’il a faits.

‘’Les partis n’ont jamais été aussi loin du jeu politique que depuis l’entrée en vigueur de cette réforme en 2019.’’

Les Béninois n’ont jamais cru à la réforme du système partisan. D’ailleurs, Patrice Talon lui-même n’a jamais senti le besoin de se l’appliquer, ne serait-ce que pour faire semblant et prendre à défaut toutes les voix qui l’accusent de ne l’avoir initiée que pour bâillonner la classe politique, tenir en laisse ses soutiens et leur imposer ses choix. En réalité, les partis politiques n’ont jamais été aussi loin du jeu politique que depuis l’entrée en vigueur de cette réforme en 2019. Trois faits importants illustrent le mépris de Patrice Talon pour sa propre réforme.

Fait n°1 : la présidentielle de 2021

Selon l’esprit de la réforme du système partisan de Patrice Talon, désormais les candidats aux élections présidentielles au Bénin doivent être issus des partis politiques. Fini désormais les candidats indépendants, ceux qu’Orden Alladatin ou Wilfried Houngbédji appelle « les oiseaux rares ». Pourtant, dès la première élection présidentielle d’avril 2021, la réforme a été vidée de son contenu et discréditée par l’application que les initiateurs de la réforme en ont faite. Aucun des partis que le Chef de l’État voulait réhabiliter n’a eu le droit de présenter son propre candidat. Tous ont dû s’aligner derrière Patrice Talon qui n’appartient à aucun de ces partis. Le président Talon a même poussé l’humiliation jusqu’à préférer son logo de candidat indépendant (celui qu’il avait déjà utilisé en 2016) à ceux des partis de son camp. Les logos de l’UP, du BR, du PRD, de l’UDBN et de Moele-Bénin n’apparaissent en 2021 sur les affiches du candidat Talon qu’en médaillon comme les sponsors d’un évènement culturel.

Mais Patrice Talon n’était pas le seul candidat indépendant dans cette élection. C’est lui qui a soutenu et promu le duo Corenthin Kohoué – Irénée Agossa qui n’avait été investi par aucun parti politique. Un duo de transhumants à qui l’UP et le BR avaient fourni sans aucune gêne, les formulaires de parrainage qu’ils ont, dans le même temps, refusés au professeur Joël Aïvo et à Réckya Madougou qui étaient pourtant formellement investis par des partis politiques en règle vis-à-vis de la réforme.

Finalement en 2021, seules les FCBE auront présenté des candidats issus de leur rang. D’une façon ou d’une autre, l’UP, le PRD, LD, la DUD, le BR, GSR, PER, Moel-Bénin, l’UDBN, ont été tous écartés d’une élection prétendument taillée pour eux. Les chefs de tous les partis de la mouvance présidentielle, ont beau faire semblant de croire que la réforme était vraiment pour leur bien et qu’elle les a effectivement renforcés, le constat est cinglant : Sous Patrice Talon, la réforme du système a affaibli les partis, castré les hommes politiques et éloigné les élites politiques du pouvoir d’état. Depuis 2016, ils ne comptent que pour le décor.

Fait n°2 : l’imposition de Joseph Djogbénou à la tête de l’UP

Les Béninois ont été surpris d’apprendre, courant juillet 2022, la démission de Joseph Djogbenou de la cour constitutionnelle à moins d’un an de la fin de son mandat. Ils l’ont été davantage en apprenant qu’il prenait désormais la présidence de l’UP que le vétéran Bruno Amoussou a été prié de libérer.

La désignation de Joseph Djogbénou comme successeur de Bruno Amoussou à la tête de l’Union Progressiste n’avait fait l’objet d’aucune délibération au sein du parti. Une situation dont s’accommode bien l’ancien président de la cour constitutionnelle. Il sait que si les militants et cadres de l’UP avaient eu leur mot à dire, il ne l’aurait pas désigné pour diriger le principal parti de la mouvance. Si ce parti politique valait quelque chose aux yeux du chef de l’état, il n’irait pas chercher hors du parti quelqu’un qui est déjà en fonction à la Cour constitutionnelle pour le diriger.

Fait n°3 : les nominations de ministres

Orden Alladatin ne croyait pas si bien dire, quand il confessait « la frustration » des vrais militants du parti qui ne seraient pas promus. Car c’est dans le choix de ses « hommes de main » que Patrice Talon a progressivement enterré sa réforme aux yeux de ses propres soutiens. Que ce soit au Parlement ou auprès des maires, le Président de la République, par ses choix, a convaincu qu’il n’a confiance qu’à ses « hommes », pas à ses partis politiques. Depuis les législatives de janvier 2023, Patrice Talon a déjà remplacé trois de ses ministres. Tous les nouveaux ministres ont été choisis hors des partis politiques qui soutiennent sa politique. Qu’il s’agisse d’Yvon Détchénou au ministère de la Justice, d’Olushegoun Bakary aux Affaires Étrangères ou de Benoît Dato récemment aux sports, ils étaient tous inconnus dans les rangs des partis. Yvon Détchénou n’est que le fils d’Antoine Détchénou un ancien député RND de Justin Tométin Ahomadégbé. Sous Yayi Boni et contre lui, Antoine Détchénou avait créé et présidé le Front citoyen pour la défense des acquis démocratiques, pour soutenir la candidature de Patrice Talon. Shègoun Bakary est lui, un ancien soutien d’Abdoulaye Bio Tchané en 2016. Après son escapade en « Tabatitaba » Shègoun Bakary était allé servir Réckya Madougou et Faure Gnassingbé au Togo, d’où il est revenu à Cotonou en tant que vendeur de motos, avant d’être bombardé Ministre des Affaires Étrangères. Quant à Benoît Dato, il était employé dans l’une des entreprises du Chef de l’État jusqu’à sa nomination. 

Entre les cadres de ses partis et ses hommes, le Président Talon a toujours préféré ses « hommes » La réforme du système partisan attendra, son esprit que Homéky aurait violé, aussi. Pendant ce temps, Patrice Talon et Wilfried Léandre Houngbédji peuvent continuer à chanter les cantiques d’une réforme qui est à vrai dire un miroir aux alouettes.

Contestée et conspuée depuis son adoption, la réforme du système partisan n’avait déjà aucune chance de survivre au pouvoir de Patrice Talon. Avec le surgissement des « Objectif Bénin » et autres « Témoins d’Olivier », l’on est en mesure de prédire, sans risque de se tromper, que son démantèlement interviendra beaucoup plus vite qu’on ne l’espérait. Ni dans son camp, ni dans l’opposition, personne ne laissera survivre une réforme qui engraisse avec les deniers publics, des partis notoirement impopulaires et jugés illégitimes par nombre de Béninois.

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