Bénin, quand l’administration devient une arme électorale : l’analyse des nominations du 11 décembre 2024

Omar Arouna

Le Conseil des Ministres du 11 décembre 2024 au Benin restera dans les annales comme une manœuvre politique d’une subtilité exemplaire. Ce jour-là, 110 nominations ont été annoncées, une ampleur qui, à elle seule, suscite interrogations et commentaires. Si le collège des ministres conseillers a attiré l’attention et fait couler beaucoup d’encre, ce qui est le plus pernicieux dans ces nominations réside au-delà de cette frange visible. La liste des membres du Conseil Économique et Social (CES) et son déploiement dans les départements et localités constituent la partie immergée de l’iceberg, une stratégie discrète mais redoutablement efficace.

Par l’Ambassadeur Omar Arouna, MBA

Sous le prétexte d’une gestion administrative et organisationnelle, le président Patrice Talon a réussi à mettre en place une infrastructure de campagne nationale financée par les fonds publics et articulée autour de nominations stratégiques dans chaque département. À la fois méticuleusement planifiée et habilement déployée, cette organisation confère au président une longueur d’avance électorale sans précédent, tout en évitant de soulever les soupçons d’une campagne prématurée.

Une stratégie de répartition géographique millimétrée

Chaque département du Bénin a reçu des nominations adaptées à ses spécificités économiques et sociales, mettant en place une présence locale solide et diversifiée. La couverture est totale : 12 départements, chacun doté de personnalités influentes dans les secteurs stratégiques de l’agriculture, de l’artisanat et du commerce. Cette répartition garantit une représentation efficace.

Cette stratégie va au-delà d’une simple gestion administrative : elle crée un maillage politique et électoral capable de mobiliser chaque région au moment opportun.

Une mobilisation sectorielle subtilement orchestrée

Les secteurs prioritaires — l’agriculture, l’artisanat, et le commerce — sont au cœur de cette stratégie. Ces domaines clés touchent directement les populations locales, notamment les électeurs des zones rurales et les petites entreprises dans les zones urbaines et périurbaines.

Le choix de figures locales pour diriger le secteur stratégique qu’est l’agriculture, vise à consolider les bases rurales. Avec des leaders agricoles respectés, idéalement placés pour mobiliser les agriculteurs à grande échelle.

Les secteurs de l’artisanat, qui regroupent une part significative de la population active, sont dominés par des petites et moyennes entreprises. Les nominés deviennent des relais pour influencer ces groupes socio-économiques stratégiques.

Cette mobilisation sectorielle ne laisse rien au hasard et garantit que chaque segment de la société contribue indirectement à la machine électorale.

Une utilisation astucieuse des figures stratégiques

Le Conseil des Ministres a permis l’émergence d’un réseau de personnalités influentes à divers niveaux de responsabilité. Ce réseau agit comme une interface entre le pouvoir central et les électeurs locaux. Les figures choisies sont souvent des personnalités déjà respectées dans leurs communautés et capables de rallier les populations autour d’elles.

Ces figures-clés incarnent une double fonction : servir les intérêts administratifs tout en construisant un appareil de mobilisation discrètement orienté vers les élections.

Le Conseil économique et social : la colonne vertébrale de la stratégie

Le Conseil Économique et Social, organe consultatif majeur, est ici utilisé comme une plateforme pour asseoir l’influence présidentielle dans chaque département. Les nominations sont distribuées de façon méthodique entre les 12 départements du Bénin. Chaque région bénéficie de représentants dans des secteurs stratégiques (agriculture, artisanat, commerce et industrie), garantissant une proximité avec les communautés locales et une mobilisation accrue sur le terrain.


Le choix du Conseil Économique et Social (CES) comme plateforme centrale illustre l’ingéniosité de la stratégie. Cet organe, par sa transversalité, est conçu pour être le noyau d’une mobilisation politique massive. Avec des représentants dans chaque département et des délégués dans des secteurs stratégiques, le CES assure une décentralisation opérationnelle tout en maintenant une coordination à l’échelle nationale.

Fait notable, même les membres issus de l’opposition, nommés pour le compte de leur mouvance, ne s’apercevront qu’au moment venu qu’ils ont été cooptés à leur insu dans l’appareil électoral de Patrice Talon, à leur corps défendant. En profitant des émoluments et privilèges attachés à leurs nouvelles fonctions, ces membres se retrouvent enfermés dans un système où la logique pécuniaire prime. Cette dynamique les contraint implicitement à soutenir, directement ou indirectement, les stratégies politiques de Talon. Leur dissidence pourrait non seulement remettre en cause leur crédibilité, mais également les avantages substantiels de leurs postes.

Ce dispositif insidieux transforme chaque nomination en un levier stratégique. Pourtant, leur intégration dans cette machine politique les pousse progressivement à devenir des rouages essentiels dans la préparation électorale du président.

Une campagne sous couvert administratif

Les nominations du 11 décembre 2024 ne sont pas de simples décisions administratives : elles témoignent d’une stratégie électorale soigneusement orchestrée. Sous l’apparence d’un remaniement administratif, Patrice Talon a discrètement constitué une armature politique capable de couvrir l’ensemble du territoire national et de mobiliser toutes les couches de la société. 

Les acteurs économiques, les leaders locaux, et les figures clés sont déjà en place, prêts à répondre aux attentes du gouvernement. Ces leaders locaux jouent un rôle essentiel en mobilisant leur réseau communautaire et professionnel pour influencer les électeurs. Leur mission inclut l’organisation d’activités de terrain, la diffusion des réalisations du gouvernement et la création d’un consensus autour des objectifs stratégiques présidentiels. En particulier, les figures agricoles agissent en sensibilisant les agriculteurs aux bénéfices des politiques publiques, renforçant ainsi le lien entre les populations rurales et le pouvoir central.

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