Bénin : nouvelle révision de la constitution : la boîte de pandore

Bénin : Patrice Talon saisit la Cour Constitutionnelle pour un contrôle de constitutionnalité du nouveau code électoral

Selon plusieurs experts, la proposition de révision de la constitution initiée par le pouvoir n’est ni pertinente, ni opportune. Elle serait même dangereuse parce que porteuse de germes de crise et d’incertitude. Décryptage

Par Julien Coovi.

En 2019, le président béninois Patrice Talon a eu le rare privilège de modifier la constitution du Bénin sans aucune pression. Après l’exclusion de l’opposition du parlement, il avait à sa solde 100% des députés et pouvait donc faire ce qu’il voulait. Il s’est plutôt fait plaisir. Personne n’a vu le texte portant modification de la constitution avant son adoption le er octobre 2019. Pas même les députés, selon les confidences de quelques-uns parmi eux. Seuls le président Talon et quelques-uns de ses collaborateurs auraient ainsi décidé des modifications à apporter à la constitution du Bénin. Le décalage en avril de l’élection du président de la république et son investiture en mai, quitte à rallonger le mandat en cours de 45 jours, l’élection des députés en janvier, quitte à raccourcir de trois mois les mandats législatifs en cours, l’instauration du parrainage ou encore l’ordonnancement des élections, à part Joseph Djogbénou et Orden Alladatin, personne d’autre que le chef de l’État n’a eu son mot à dire. Comme l’ont craint beaucoup d’observateurs, l’application de cette réforme a engendré une grave crise, tant la loi était remplie d’incohérences. Les protestations engendrées par ces lois ont été réprimées dans le sang.

Beaucoup ont donc été surpris qu’en janvier 2024, le président Talon et ses mêmes collaborateurs reviennent à la charge, sans avoir fait acte de contrition. « Est-il prudent de suivre de nouveau des dirigeants qui ont par leurs décisions, plongé leur pays dans la violence électorale et fait des victimes innocentes ? », s’interroge un acteur de l’opposition.

Une réforme non pertinente

Si le président du groupe parlementaire BR défend avec force et conviction ‘’sa’’ proposition de modification de la constitution, la plupart des ‘’corrections’’ proposées laissent plus d’un observateur sceptique.

La proposition veut inverser l’ordre des “élections générales”, faisant passer l’élection du président de la République et du vice-président en février pour une prestation de serment en mars ; elle veut envoyer les législatives et communales couplées en mai. Car, se rappellent-ils, « dans un régime présidentiel, l’élection du duo président de la République et vice-président de la République devrait être le fer de lance des séquences politiques déterminées par l’alignement des mandats électifs ». Les auteurs du texte estiment ainsi que l’organisation des élections législatives et communales avant celle du duo président de la République et vice-président de la République « n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale ». Par ailleurs, le « en aucun cas » de l’alinéa 2 de l’article 42 nouveau a laissé sa place à un « dans tous les cas » pour, assurent-ils, prévenir toute interprétation tendancieuse de ce qu’ils considèrent comme une double négation. Enfin, si la réforme passe et entre en vigueur dès les prochaines élections, le mandat présidentiel en cours sera écourté de 70 jours, vu que le prochain président devrait prêter serment en mars.

Rattrapé par la conférence nationale

Beaucoup considèrent que la nouvelle tentative de révision constitutionnelle et ses motifs avoués est un aveu d’échec, puisqu’elle annule toutes les options politiques faites en 2019 et imposées par la force des armes. En effet, la fixation à février, du premier tour de l’élection présidentielle n’est qu’un retour à une tradition républicaine qui est en vigueur depuis le lendemain de la conférence nationale. De même que l’organisation des législatives entre mars et mai. « Le Chef de l’État aura mis 8 ans pour revenir au calendrier que nous suivons depuis la conférence nationale. Sa révolution politique n’aura duré que 3 ans. », commente un cadre du parti Les Démocrates.  

Une opération dangereuse

Mais pour autant que ces corrections seraient nécessaires, a-t-on besoin de toucher à la constitution pour les faire ? « Non » répondent en chœur les adversaires du président Talon, et même certains de ses soutiens dont le professeur Victor Topanou, député du camp présidentiel qui était reçu dimanche sur une web télévision. Ils se prévalent d’ailleurs de la décision de la cour constitutionnelle rendu le 4 janvier 2024 qui a maintenu le calendrier actuel des élections.

Si la modification du code électoral aurait suffi, pourquoi donc le camp présidentiel a-t-il décidé d’enclencher plutôt une nouvelle révision de la constitution ? Que se passerait-il de grave si on ne modifie pas ? Est-ce qu’il y aurait un problème politique, une entrave aux élections si on ne révise pas la constitution pour inverser le calendrier électoral ? Nous avons posé ces questions à plusieurs juristes et spécialistes des sciences politiques. Leur réponse est sans équivoque : « pas plus que la précédente, cette révision n’est ni nécessaire ni pertinente ». Autrement dit, si le parlement béninois ne modifie pas la constitution telle que demandé par le président Talon, aucun problème ne surviendra dans l’application des textes actuels. Le calendrier électoral en vigueur sera déroulé normalement et les élections auront lieu en 2026.

Révision opportuniste ?

De là à penser que c’est au président Patrice Talon et à lui seul que l’actuel calendrier pose problème, il n’y a qu’un pas que l’opposition franchit sans sourciller. Pour elle, mais également pour les dissidents du camp présidentiel, le président Talon voudrait dribler ses soutiens en faisant d’abord passer l’élection qui le préoccupe le plus avant les autres. Effectivement, si le président Talon souhaite imposer un dauphin comme on le lui prête, il serait plus avisé de le faire élire avant les prochains députés. Car rien ne lui garantit la loyauté de ces derniers s’ils sont élus avant l’élection présidentielle. « Son dauphin pourrait même n’avoir aucun parrainage », analyse un journaliste politique.  De ce point de vue, la révision de la constitution ne viserait qu’à rendre la tâche facile à Patrice Talon. « C’est une révision opportuniste à laquelle il faut avoir le courage de dire non », s’écrie un proche d’Olivier Boko, l’ami tombé en disgrâce.

De plus en plus d’observateurs l’assurent, dans le contexte actuel, il est plus dangereux de réviser la constitution que de ne pas le faire, d’autant plus que, fait remarquer un ancien journaliste de l’ORTB, « la mention ‘’la présente loi constitutionnelle portant révision de la Constitution n’établit pas une nouvelle République’’ a disparu de l’article 2 ». Un détail qui est loin d’être anodin.

S’opposer à cette révision serait donc parer à toute éventualité, ne prendre aucun risque sur le futur et mettre un terme à huit années de manipulation des texte et d’instabilité politique.

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