Bénin : les leçons du congrès des « Démocrates »

Bénin : les leçons du congrès des « Démocrates »

Il ne faut pas négliger cette lecture qui suggère que le président Yayi ne s’est emparé de la présidence du parti que pour protéger Éric Houndété de la vindicte populaire que lui avaient préparée certains de ses adversaires

Par Julien Coovi

Boni Yayi président exécutif du principal parti d’opposition du Bénin, et donc formellement acteur politique de premier plan ? Il y a encore quelques jours, beaucoup – sauf peut-être ceux qui ont le privilège de souffler à son oreille – se refusaient à le croire. D’autant plus qu’il était hors de ses habitudes de s’approprier des fonctions officielles dans les partis politiques qu’il a parrainés ou créés depuis son entrée sur l’échiquier politique national. Il ne l’a pas fait avec les FCBE qu’il confia successivement à Eugène Azatassou, Valentin Djènontin, puis à Paul Hounkpè ; il avait préféré confier Les Démocrates à Éric Houndété dès sa création. Même s’il était toujours le militant le plus actif de ses différents partis, Boni Yayi avait ainsi toujours préféré le statut d’arbitre et de référant moral que lui conférait le titre de président d’honneur. Peu de gens y croyaient, disais-je, d’autant plus que jusqu’à récemment, le renard de Tchaourou avait presque réussi à faire croire à tout son monde qu’il se consacrait désormais au seigneur. Une vieille promesse qu’il avait faite alors qu’il rentrait d’un long et pénible exil forcé suite à son combat contre les législatives exclusives de 2019. L’ancien président était alors traqué, persécuté et maltraité par le président Patrice Talon qui n’a jamais fait mystère de ce que l’activisme politique de son prédécesseur l’agaçait au plus haut point.

Boni Yayi continuera peut-être de pousser la chansonnette gospel sous l’objectif d’une caméra traînant dans les parages par le plus grand des hasards, mais il le fera en tant qu’acteur politique de premier plan, il le fera en tant que Chef de fil de l’opposition. C’est comme ça, il faudra l’accepter. Malgré son âge qui avance, malgré les ennuis de santé qu’il a dû affronter, Boni Yayi déborde d’énergie. Il est littéralement en transe devant les foules, il adore être au contact des petites gens, et ne peut pas se passer des vivas et des acclamations qui fusent sur son passage. Il est bien naïf celui qui a pu croire, ne serait-ce qu’un court instant, qu’il pouvait le guérir de cette douce « maladie » attrapée depuis les dernières années de son mandat à la tête de la BOAD.

« Nous avons demandé au Président Yayi un dernier sacrifice »

Le dimanche 16 octobre dernier, profitant sans doute, du choc latent des ambitions, comme il en existe dans toutes les organisations humaines, Boni Yayi s’emparera des rennes du parti, de « son » parti, au grand dam de tous ceux qui espéraient qu’il se sentirait trop vieux ou trop fatigué pour redescendre dans l’arène. De fait, l’a-t-il jamais quittée ? Guy Mitopkè, ex-bras droit de Candide Azanaï et nouveau secrétaire à la communication des Démocrates, l’assure, ce n’est pas ce que Boni Yayi lui-même aurait souhaité, « ce sont les populations, les militants et même les responsables du parti qui lui ont demandé de consentir à nouveau ce sacrifice ». Trêve de polémique. « Il ne faut pas faire une fixette » ni sur la personne de Boni Yayi, encore moins sur celle d’Éric Houndété, l’ancien président exécutif du parti.

Yayi, seul maître à bord ?

Pourtant, l’installation de Boni Yayi dans les fonctions qu’occupait Éric Houndété depuis la création du parti est loin d’être un événement banal. Pour beaucoup d’observateurs, le calme et la concorde dans lesquels se sont déroulés les travaux de Parakou, et le consensus apparent qui s’est dégagé autour de la personne de l’ancien président sont bien la preuve que Boni Yayi reste le seul maître à bord du vaisseau LD, l’unique personnage qui fait autorité, la figure tutélaire devant laquelle toutes les ambitions se prosternent. Il est le patriarche qui garantit la stabilité face au risque que pourrait représenter pour le parti, une certaine guerre des ambitions. Le choc des antagonismes annoncés autour de l’héritage du « yayisme » s’est finalement avéré comme une tempête dans un verre d’eau. C’est la première grande leçon à tirer du congrès de Parakou.

La question à présent est de savoir combien de temps cette tempête mettra pour sortir de son verre. Car, si les rivalités qui sont nées au sein du parti dans la perspective des présidentielles de 2026 se sont calmées sous l’autorité de Boni Yayi, elles réapparaîtront bien vite, c’est inéluctable, et Yayi Boni qui ne peut de toutes les façons plus accéder aux fonctions de président de la république, devra faire ce qu’il s’est refusé à faire à Parakou, c’est-à-dire trancher. Certaines mauvaises langues jurent qu’il n’a ajourné cette ‘’dispute’’ des présidentiables que pour lâcher entre leurs pattes son propre fils Chabi Yayi qu’il verrait mieux lui succéder que quiconque d’autre.

Éric Houndété « protégé » par Boni Yayi ?

Deuxième leçon à tirer du congrès de Parakou, le rôle et la place du président sortant au sein du parti. Le congrès de Parakou était une occasion pour prouver qu’Éric Houndété, tout comme avant lui, Eugène Azatassou, Valentin Djenontin, et Paul Hounkpè, n’était pas qu’un simple pion, un outil de marketing politique pour Boni Yayi. Parakou était l’occasion de prouver que le parti était enfin prêt à accepter et assumer le leadership d’un cadre dont la circonscription d’origine est loin de Tchaourou. Pour l’instant les partisans de l’enfant prodige de Kpomassè auront du mal à voir beaucoup de signes allant dans ce sens.

Ceci étant, il ne faut pas négliger cette lecture qui suggère qu’au contraire, le président Yayi ne s’est emparé de la présidence du parti que pour protéger Éric Houndété de la vindicte populaire que lui avaient préparée certains de ses adversaires, et pour mieux légitimer les actes qu’il posera désormais en tant que vice-président, sous sa couverture et sous ses ailes.

Nouveau face-à-face Yayi – Talon ?

De cette position, le désormais ancien président des Démocrates pourrait donc, selon cette lecture, continuer d’assumer en toute quiétude, la réalité du ‘’pouvoir’’ au sein du parti, et l’indispensable dialogue avec le pouvoir pour un retour progressif à la normalité démocratique. C’est cette stratégie qui, selon plusieurs analystes, a été la clé de voûte du retour de l’opposition au parlement, après quatre années d’exclusions systématiques de la part du pouvoir de Patrice Talon. C’est également cette atmosphère d’apaisement qui, craignent nombre d’éditorialistes, pourraient voler en éclat avec le retour au-devant de la scène de Boni Yayi. La vie politique béninoise de ces 12, 15 dernières années a été rythmée par la haine viscérale que se vouent l’actuel président Patrice Talon et son prédécesseur Boni Yayi. Après avoir conquis ensemble le pouvoir en 2006, les relations entre les deux hommes se sont brutalement dégradées sur fond d’intérêts économiques. Si Patrice Talon a été le pire cauchemar politique de Boni Yayi vers la fin de son dernier mandat, tout indique que pour ce dernier, l’heure de la revanche a sonné. Et même si aucun des deux n’est plus éligible aux fonctions de président de la république, leurs capacités de nuisance mutuelle restent intactes. Si comme le craignent beaucoup, Boni Yayi décide effectivement de prendre sa revanche, les deux se battront cette fois-ci par procuration. La fin de règne de Patrice Talon ne signifiera donc pas pour autant l’apaisement de la vie politique béninoise.

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