Bénin : L’enfer des prisons !

Bénin : L'enfer des prisons !

Tortures physiques et psychologiques, brimades, insalubrité, rackets et extorsions… Derrière les murs de ses prisons, l’état béninois procède à des violation massives des droits des détenus. La situation dure depuis des années et s’alimente de l’indifférence généralisée des béninois.

Alain Orounla ne croyait pas si bien dire quand sous la pression des journalistes, il lâchait avec une exaspération tintée de mépris que « la prison n’est pas un hôtel 5 étoiles ! » La phrase que l’avocat et éphémère porte-parole du gouvernement avait assnée dans un contexte de tension politique extrême (le gouvernement venait de faire arrêter plusieurs ténors de l’opposition qui avaient tenté de se porter candidats à l’élection présidentielle de 2021), restera dans l’anthologie des déclarations les plus hallucinantes d’un ministre sur les traitements que l’état béninois inflige à ses prisonniers. Mais que savait vraiment l’avocat transfuge de l’enfer que vivent les personnes qui ont le malheur d’entrer dans les liens de la détention au Bénin ?

Le parcours du combattant

« Pour le savoir, il faut y avoir séjourné », confie Josias Godonou, un ancien pensionnaire de la prison civile de Porto-Novo, avant d’ajouter : « parfois, il suffit d’une seule journée pour appréhender toute l’ampleur de ce qui vous attend ». Première étape de ce long chemin de croix, les commissariats de police. Tous ceux qui y sont passés pour des affaires pénales témoignent de la cruauté et de la désinvolture des fonctionnaires de police, surtout avec les justiciables sans assistance juridique. Les intimidations, la violence, les garde-à-vue abusives ou les procès-verbaux volontairement tronqués sont le lot quotidien des justiciables. La situation ne s’améliore pas forcément devant le procureur. Sauf dans de rares circonstances, et quel que soit le délit, le justiciable présenté au procureur sans un avocat finit presque toujours avec un mandat de dépôt, tandis que le passage devant le juge des libertés et de la détention s’avère une formalité.

Une justice pénale expéditive dont la conséquence immédiate est la surpopulation dans les prisons avec ses corollaires que sont, la pression croissante sur les installations, l’insalubrité dans les cellules, les maladies, mais également la corruption du personnel pénitentiaire, les actes de racket. La situation qui était déjà critique s’est nettement aggravée depuis que le gouvernement du Bénin a décidé de criminaliser son opposition et que le Bénin doit faire face au problème du terrorisme.

Violation des conventions relatives aux droits des prisonniers

En matière de surpopulation carcérale, les établissements pénitentiaires de Cotonou et Missérété ravissent la vedette aux autres. À la prison civile de Cotonou par exemple, ils est difficile pour les détenus de dormir la nuit en cas de coupure d’électricité, alors que les effectifs sont si pléthoriques dans les cellules que les détenus sont entassés les uns contre les autres comme dans une boîte de sardine. En mars 2023, plusieurs détenus se sont évanouis suite à une vaste opération de confiscation de ventilateurs.

À la maison d’arrêt de Missérété, la réalité est encore plus lugubre. Au mépris de la loi, mais également des engagements internationaux du Bénin en matière de protection des droits des personnes détenues, l’administration pénitentiaire ne se préoccupe guère de l’intégrité physique des prisonniers. Ils sont catégorisés et groupés par quartier ou par bâtiment. C’est le cas de plusieurs détenus peulhs raflés dans le nord du pays et poursuivis pour terrorisme. Ils sont des centaines isolés des autres prisonniers et enfermés dans des entrepôts transformés en cellules. Une situation qu’avait dénoncée la prisonnière Reckya Madougou en février 2023 et qui lui avait valu les restrictions dont elle fait l’objet depuis ce temps.
L’autre catégorie de prisonniers maltraités au sein de la prison de Misséreté est celle de personnes arrêtées pour cybercriminalité. Deux quartiers sont réservés, pour eux, à l’intérieur de la prison. Ils sont aussi des centaines à être enfermés dans des cellules conçues pour un maximum de 60 personnes. « Vous dormez comme des sardines, sur le côté, tête contre pieds. A l’entrée, vers la porte, il y a un pot qui nous permet de faire nos besoins naturels. Depuis le Covid-19, ils ont instauré les quarantaines, de nouvelles prisons dans la prison. Quand les nouveaux viennent, on les met dans les prisons réservées pour la quarantaine », témoigne un détenu politique qui est déjà sorti de prison. L’ancien ministre Houdou Ali, de son côté, ajoute ceci : « On nous enferme à 18 h 30 et on ouvre à 6 h 30. Donc nous sommes comptés comme du bétail en rentrant et en sortant. On vérifie pour savoir s’il n’y a pas des gens qui portent des choses sur eux. Normalement, dans les textes, on a droit aux communications avec nos familles, mais les gardes pénitentiaires qui font les zélés nous interdisent cela ».

Soins de santé

L’accès aux soins de santé est aussi un problème dans les prisons du pays. Ce droit humain fait partie des plus violés par les régisseurs de prisons. Négligés et ignorés, les prisonniers succombent régulièrement faute de prise charge. Ce déni de soin a déjà connu des victimes célèbres : Thomas Agbéva, ancien Directeur Général de l’ANaTT et Sébastien Kinsiklounon, ex-Secrétaire Général de la municipalité d’Abomey-Calavi. Le premier a rendu l’âme le 15 juillet 2022, juste 24 h après son évacuation au centre hospitalier départemental de Porto-Novo, suite à un malaise. Thomas Agbéva venait juste de passer un an en détention préventive dans une affaire de malversations financière. Des faits dont il sera blanchi plus tard par la justice, quelques mois seulement après son décès. Le second, Sébastien Kinsiklounou a rendu son dernier souffle le 18 mars 2022. Condamné pour bradage de domaines de l’État et incarcéré à la prison civile d’Abomey-Calavi, il avait régulièrement eu des problèmes de santé, mais, malheureusement, il ne lui a pas été permis de se soigner correctement pour éviter le pire. Les détenus souffrants demandent à aller aux soins, mais les régisseurs opposent leur refus catégorique. D’autres dont les cas sont plus critiques formulent des demandes d’évacuation sanitaire que les autorités judiciaires ignorent. Conséquence : beaucoup décèdent en prison, ou parfois, finissent avec des infirmités. Ceux qui peuvent s’évader, s’évadent.

Tortures

Ce fut le cas de l’ancien maire d’Abomey-Calavi, Georges Bada, ou de Wilfried Ayatodé. Après plusieurs mois de cavale, ce dernier a été rattrapé à Abidjan et ramené dans sa cellule à Cotonou. Ils considèrent tous le déni de soin dont ils sont victimes comme des actes de tortures physique et psychologique. En effet, nombreux parmi les prisonniers finissent par craquer sous le poids de la violence émotionnelle du personnel pénitentiaire. Dans la nuit du 25 au 26 avril 2023, à la prison civile de Cotonou, les codétenus du prisonnier politique Aziz Kankadana n’ont pu fermer l’œil. Ce dernier avait fait une sérieuse crise de folie face à laquelle les gardes pénitentiaires se sont montrés indifférents. Lui et plusieurs autres détenus ont finalement été conduits à l’hôpital psychiatrique Jacquot de Cotonou où ils seraient toujours en prise en charge.

Les prisonniers politiques

Pour beaucoup de prisonniers, le but de ces actes de torture est de briser psychologiquement le prisonnier. Une expérience particulièrement prisée pour les détenus politiques, ceux-là qui ont eu le culot de s’opposer à l’exclusion de l’opposition des processus électoraux organisés par le régime de Patrice Talon. Ce sont eux les plus martyrisés aujourd’hui. Ils seraient au nombre de 89 selon un rapport intitulé “Détenus politiques au Bénin 2018-2023”. Ils sont pour la plupart arrêtés et condamnés pour des faits liés aux élections de 2019, 2020 et 2021. A l’instar de Reckya Madougou, ils étaient pour la plupart interdits de visite et vivent l’humiliation au quotidien. « Je reçois mon épouse débout, accroché à une grille métallique », avait dénoncé en mars dernier, le professeur Joël Aïvo dans une lettre adressée au l’ex-garde des sceaux. Quant à madame Réckya MAdougou, ses avocats sont montés au créneau plusieurs fois pour dénoncer ses nombreuses privations forcées : poste radio, téléphone de la prison…. Mieux, on l’empêcherait d’aller se soigner dans un hôpital, alors que son médecin aurait recommandé un bilan de santé à plusieurs reprises.

Les femmes prisonnières

Si faire la prison au Bénin est déjà difficile, cela l’est davantage pour les détenues de sexe féminin. En plus des difficultés qu’elles partagent avec les détenus de l’autre sexe, s’ajoute celle liée à l’hygiène. Dans certaines prisons du pays, il n’y a pas de douches pour les femmes. « Et comme il n’y a pas de douches, quand elles sont en menstruations, elles sont obligées de mettre les serviettes dans des sachets. Celles qui en ont les moyens sont obligées de prendre des pilules pour arrêter les menstrues », a déclaré un ancien prisonnier dans le rapport “Détenus politiques au Bénin 2018-2023”.
Les associations de défense de droits humains dont le silence et l’inaction depuis quelques années sont interprétés comme une caution à ces violations flagrantes des droits de l’homme doivent maintenant et plus que jamais réagir sur la question.

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