De plus en plus de faits convergent vers la même réalité : la faculté de droit et de sciences politiques (FADESP) de l’Université d’Abomey-Calavi ne sait plus former les étudiants que les parents lui confient. D’année en année, les échecs sont massifs et les résultats catastrophiques. La faculté semble devenue un no man’s land académique où les enseignants gradés brillent par l’absentéisme et les trafics d’influence. Votre journal a décidé d’aller au-delà de l’argument de la faiblesse du niveau des étudiants brandi par les autorités du décanat. La faillite de la FADESP a d’autres causes que l’État béninois doit traiter sous peine de condamner la jeunesse à une formation au rabais.
Il y a une dizaine de jours, sur les réseaux sociaux, le public béninois a découvert avec un certain effarement les résultats catastrophiques des examens de la première session de l’année académique dans cette faculté. Seuls 320 étudiants sur les 1579 inscrits en 3e année de droit privé ont validé leur année. Ils avaient plus de chance que leurs camarades inscrits en droit public où seuls 37 étudiants sont admissibles sur 289 étudiants. Mais c’est encore pire en sciences politiques où moins de 7 étudiants sur 100 ont validé leur année. La même source indique que les résultats sont si catastrophiques dans en première et deuxième année de droit que les autorités de la faculté ont préféré passer sous silence les précisions sur les statistiques. Mais pourquoi depuis de nombreuses années, les résultats des examens sont calamiteux à la Faculté de droit et de sciences politiques ? Cette enquête vous livre les raisons de cette faillite académique. La pagaille à la FADESP trouve ses racines dans l’absentéisme chronique des enseignants, l’abandon de la formation et de l’évaluation des étudiants aux mains des doctorants, la défaillance fonctionnelle de la tutelle, etc.
Culture de l’échec
Le sujet de l’échec massif à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi, est loin d’être un sujet récent. Ces dernières années, la FADESP a souvent été au cour de la controverse pour le caractère particulier de son système d’évaluation et de ses résultats. En 2021, une violente polémique avait mis aux prises le Doyen de l’époque, Rock David Gnanhoui, et l’un de ses collègues, Philippe Noudjènoumè, lui-même ancien vice-doyen de la faculté. Ce dernier avait durement critiqué les résultats publiés cette année-là par le décanat. Même si le leader communiste imputait ces résultats aux réformes lancées cette année-là par le gouvernement dans les universités publiques, le fait est que les étudiants avaient massivement échoué. Sur 2.166 étudiants inscrits en 2e année, seulement 67 étaient déclarés admis en 3e année. C’est à peine 3% de l’effectif de la 2e année de la Faculté de droit et de sciences politiques. En 1ere année, seuls 2% avaient alors validé leurs billets pour la section supérieure. Des années plus tard, le mal persiste toujours car les résultats sont aussi catastrophiques.
Les causes d’une catastrophe
À la faculté de droit et de sciences politiques d’Abomey-Calavi, il ne suffit pas d’être brillant, encore moins d’être motivé. La réussite dépend d’une bonne dose d’aléas constituée d’un ensemble de logiques.
D’abord, il convient de souligner la responsabilité de l’État. En réduisant drastiquement les investissements dans les universités publiques, en abandonnant l’enseignement supérieur public à son sort, les différents gouvernements qui se sont succédés ont pris une grande responsabilité dans son délitement. Les déficits en salles, en équipements, en technologies et en personnel expliquent en partie le désastre auquel l’on assiste, en particulier à la FADESP. Mais ce n’est qu’une petite partie des causes de l’affaissement de cette entité qui a formé, par le passé, tant de juristes et cadres de notre pays.
La principale cause de la lente descente aux enfers de cette faculté réside dans la crise de vocation de ses enseignants. La FADESP est désertée par ses enseignants les plus gradés. Pour beaucoup, c’est essentiellement dans leurs rangs qu’il faut chercher les explications du désastre de l’enseignement des sciences juridiques et politiques à l’Université d’Abomey-Calavi. Alors que la FADESP est aujourd’hui nantie de plusieurs enseignants qualifiés du CAMES, notamment plusieurs agrégés et professeurs titulaires, comment peut-on expliquer la mauvaise qualité de la formation et les résultats de plus en plus désastreux des étudiants ? La seule réponse à ce paradoxe réside dans l’absentéisme avéré des professeurs de cette faculté. On les trouve partout sauf dans les amphithéâtres de l’université.
Rares sont en effet les enseignants, maîtres-assistants, maîtres de conférences, agrégés et professeurs titulaires qui s’occupent effectivement de la formation des étudiants. Combien sont-ils, les enseignants permanents de la faculté qui exécutent personnellement les enseignements qui leurs sont confiés ? Certains enseignants ne font aucun cours jusqu’à la fin de l’année. Au mieux, ils les confient à de jeunes docteurs ; au pire, aux étudiants en thèse. D’autres, présents dans le pays, désertent les amphis et font exécuter leurs cours par des assistants. Eux-mêmes se contentant juste de faire quelques apparitions sporadiques pendant les cours, répondent à quelques questions et disparaissent en abandonnant leurs étudiants dans les mains d’un étrange professeur qui n’en sait pas plus que les étudiants. Plus grave est le cas de certains enseignants qui trouvent même le moyen de partir en France pour aller suivre durant de longs mois des cours en vue de devenir avocat. En quittant ainsi la faculté, sans formalité ni autorisation, ces enseignants abandonnent leurs charges alors même qu’ils continuent de percevoir leurs salaires.
Combien sont-ils les enseignants permanents de la faculté qui exécutent personnellement les enseignements qui leurs sont confiés ?
La FADESP est paradoxalement la faculté dont les étudiants voient le moins d’enseignants qualifiés dans les salles de cours. « Dès qu’un enseignant de la FADESP arrive à décrocher un grade du CAMES ou une nomination politique, c’est fini. On ne le voit plus à la faculté. Il déserte les amphithéâtres », constate un doctorant qui a requis l’anonymat. L’abandon de la faculté par ses enseignants ne touche malheureusement pas que les cours. À la FADESP, l’immense majorité des gradés du CAMES ne s’impliquent pas dans l’organisation des examens et l’évaluation des étudiants. Ils ne font pas leurs cours personnellement, ne corrigent pas les copies d’examen de leurs étudiants, ne valident pas les notes finales de leurs étudiants et n’assistent pas aux délibérations des examens semestriels. Il faut regarder la réalité en face, les enseignants de la FADESP sont absents des activités essentielles de la chaine pédagogique de formation d’un étudiant. Leurs noms et leurs émargements ne figurent sur aucun procès-verbal de délibération des examens ni sur les listes de présence des conseils des enseignants ou des réunions pédagogiques de la faculté. Comment veut-on qu’un établissement de formation donne des résultats positifs lorsque ses enseignants, surtout les plus gradés ne s’impliquent dans rien ? Tout ce qui relève de la formation de ces milliers d’étudiants est abandonné aux mains des doctorants. Car c’est bien ces pauvres doctorants qui dispensent les cours à la place des enseignants, c’est encore eux qui corrigent les copies des étudiants, c’est toujours eux qui valident les notes ; enfin, ce sont ces doctorants qui siègent dans les délibérations des différents examens. C’est bien ça la réalité à la FADESP.
« Ici, les professeurs ne s’occupent plus de rien, pas de cours, pas de correction, pas de participation aux délibérations, le pire c’est qu’ils ne participent même pas aux conseils des enseignants encore moins aux réunions pédagogiques de la faculté ! »
Dans un article publié le 23 novembre 2023 sur le site internet du think tank Wathi, le professeur Philippe Noudjènoumè, aujourd’hui à la retraite, explique : « Des choses inacceptables ont désormais droit de cité dans ma faculté. Des enseignants titulaires d’enseignements donc compétents pour le faire, arrivent au cours les premiers jours, balancent à la tête des étudiants leurs supports de cours ou leurs ouvrages. Ils disparaissent tout le reste du temps du déroulement de leurs enseignements et à leur place, ils envoient des répétiteurs à compétence douteuse. On apprend d’autres choses autour des séances de corrections ».
Un agent administratif de la FADESP témoigne : « Ici, les professeurs ne s’occupent plus de rien, pas de cours, pas de correction, pas de participation aux délibérations, le pire c’est qu’ils ne participent même pas aux conseils des enseignants encore moins aux réunions pédagogiques de la faculté ! »
Quelques exceptions
Les enseignants de la FADESP seraient-ils devenus de véritables dignitaires qui feraient ce qu’ils veulent sans devoir en rendre compte à qui que ce soit ? On n’en est pas vraiment loin, vu l’impuissance du rectorat et du gouvernement face à la situation. Malgré les réformes dont se vantent le Conseil national de l’éducation, la FADESP agonise sous ses yeux et la détresse des étudiants ne suffit pas à attirer l’attention du gouvernement. Pourtant, c’est bien l’État qui recrute et paie ces enseignants qui désertent leur métier et bâclent les charges qui leurs sont confiées.
Dans cet océan de désertion, l’on ne ferait pas justice aux rares enseignants qui prennent à cœur leur rôle et leur mission, en ne mettant pas en relief l’exception qu’ils sont. C’est le cas, par exemple, du professeur Joseph Djogbénou qui déroule en personne ses cours, y compris quand il était ministre ou président de la Cour Constitutionnelle. « J’ai eu Joseph Djogbénou en première année. Il venait chaque jour jusqu’au dernier jour et déroulait le cours lui-même », confie un étudiant en année de Master aujourd’hui.
Sur cette petite liste, se retrouve le professeur Victor Topanou qui ne rechigne pas à faire tous ses cours lui-même, y compris les cours du soir. Les étudiants évoquent toujours le cas du professeur Joël Aïvo. Plusieurs témoignages attestent que même quand il était Doyen de la faculté, il assurait lui-même ses cours surtout en première année dans les grands amphis. Il en est de même de son frère, le professeur Gérard Aïvo, qui dirige ses cours, corrige les copies et participe aux délibérations. Il y a enfin le doyen Rock Gnahoui David et les professeurs Igor Guèdègbé et Guillaume Moumouni qui assumeraient eux-mêmes entièrement leurs enseignements. Quid des autres enseignants ?
La faculté de droit de l’Université d’Abomey-Calavi est livrée à la pagaille de certains de ses enseignants pour qui la faculté est devenue une activité secondaire. Combien de temps les autorités laisseraient-elles faire encore ?