Dans une décision rendue le 15 août dernier, le Groupe de Travail sur les Détentions Arbitraires pointe des violations graves des droits de l’opposant, demande sa libération immédiate et des réparations sous forme de compensation financière, conformément au droit international.
La nouvelle a l’effet d’un véritable coup de tonnerre. Après le refus d’interjeter appel de sa condamnation par la Criet, on croyait l’affaire définitivement close jusqu’à ce que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains n’intervienne. Réunis en session ordinaire (la 99e de rang) du 18 au 27 mars 2024, soit presque trois ans après la condamnation de l’opposant, les experts du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire ont examiné dans ses moindres détails le dossier du constitutionnaliste béninois qui s’est retrouvé en prison au lendemain de l’élection présidentielle du 11 avril 2021. À l’issue de ses travaux, l’organisme relevant de la tutelle du Haut Commissariat a rendu un avis sans concession. Le GTDA conclut que les violations des droits de l’opposant sont d’une gravité telle qu’aucun procès n’aurait dû avoir lieu.
Prisonnier d’opinion
Dans cet avis qu’il a notifié aux autorités béninoises, conformément à ses usages, le GTDA a remis en cause la légalité de chacun des actes posés par la justice béninoise dans le cadre de cette procédure. De l’arrestation à la condamnation en passant par la détention, il n’y a pas eu, selon l’organisme onusien, une seule décision de la CRIET. Les experts du GTDA estiment que la condamnation de M. Aïvo à une peine aussi lourde (10 ans de réclusion criminelle assortie d’une amende de 45 millions de francs CFA, NDLR) à l’issue d’un procès de courte durée (à peine 14 heures d’horloge, NDLR), renforce les conclusions selon lesquelles le droit de M. Aïvo à un procès équitable par un tribunal impartial et indépendant a été violé.
Et si lors de l’examen du recours de madame Réckya Madougou, l’État du Bénin a participé à toute la procédure et apporté des réponses aux questions du groupe de travail, cette fois-ci le gouvernement béninois n’a pas répondu aux sollicitations du GTDA pour apporter la contradiction aux avocats de l’opposant. Suffisant pour que l’organisme pointe les motivations politiciennes de l’arrestation et de la détention du professeur Joël Aïvo : « En l’absence de toute information de la part du gouvernement du Bénin, tendant à justifier l’arrestation et la détention de M. Aïvo, le GTDA estime que la privation de liberté de M. Aïvo s’inscrit dans le cadre d’une pratique visant à le cibler en raison de ses opinions politiques », peut-on lire à la page 15 de l’avis.
Libération, réparation et sanctions Un nouveau camouflet pour la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET) dont l’inféodation à l’agenda politique du régime de Cotonou a toujours été dénoncée par plusieurs acteurs. Le magistrat Essowé Batamoussi, un ancien membre de la chambre des libertés et de la détention de ladite cour, avait dénoncé depuis son lieu d’exil, les fortes pressions qu’il avait reçues de la part du Garde des Sceaux d’alors, Sévérin Quenum, pour maintenir Mme Madougou en détention.
Dans les notes n°91 et 92 de son avis, le GTDA recommande à l’État du Bénin de « libérer immédiatement M. Aïvo et de lui accorder le droit d’obtenir réparation notamment sous la forme d’une indemnisation conformément au droit international ». Mais les experts du GTDA vont plus loin, ils demandent instamment aux autorités béninoises de « mener une enquête approfondie et indépendante sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de M. Aïvo et de prendre les mesures qui s’imposent contre les responsables de la violation des droits de celui-ci ».
Enfin, le GTDA renvoie l’affaire devant la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des défenseuses et défendeurs des droits humains, afin qu’elle prenne les mesures qui s’imposent.
Après avoir vainement tenté de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2021, faute de parrainage, le professeur de droit constitutionnel a été enlevé le 15 avril 2021 sur un pont, de retour de l’université, et emmené à la brigade économique et financière. Il est accusé de complot contre la sûreté de l’État et de blanchiment d’argent, puis jugé et condamné à 10 ans de prison.