Au début du mois de décembre 2024, après plusieurs mois d’attente, les étudiants ont été informés que leurs dossiers ne seraient même pas étudiés au motif que leur master a été purement et simplement fermé. Voyage au cœur d’un labyrinthe fait d’abus de pouvoir et de manipulations des textes sur fond de conflits d’intérêts.
C’est par un courrier de détresse adressé au recteur de l’Université d’Abomey-Calavi par une vingtaine d’étudiants fin janvier dernier, que la rédaction d’Olofofo a été alertée sur cette situation bouleversante qui a cours depuis plusieurs mois dans la plus grande institution de formation supérieure au Bénin. Alors que le processus de recrutement dans les Masters avait démarré depuis plusieurs mois, les étudiants ont été informés que leurs dossiers ne seraient même pas étudiés. Raison évoquée ? Le master en psychopathologie et psychologie clinique a été fermé.
L’histoire commence le 7 mai 2024. Ce jour-là, comme tous les ans depuis 2020, l’Université d’Abomey-Calavi lance l’inscription des étudiants en master professionnel/Psychopathologie et Psychologie clinique. Le communiqué est signé du Doyen de la faculté des sciences humaines et sociales, madame Monique Ouassa Kouaro, et concerne trois autres filières. Et comme les années précédentes, la filière psychopathologie et psychologie clinique connaît un franc succès : plus de vingt étudiants ont déposé leurs dossiers, tout excités de pouvoir embrasser deux ou trois ans plus tard, une carrière professionnelle dans ce secteur de plus en plus sollicité au Bénin. Selon plusieurs sources différentes, les ONG, les institutions internationales et même l’État béninois demandent depuis quelques années beaucoup plus de cliniciens que d’habitude et n’arrivent pas encore à satisfaire leurs besoins.
Plusieurs mois après le dépôt de leurs dossiers, les étudiants reçoivent donc la nouvelle qu’ils n’attendaient pas : leurs dossiers ne seront pas étudiés et ils sont invités à aller les retirer. Mais pourquoi une décision aussi radicale, communiquée aux étudiants d’une façon aussi froide ? Contacté par nos soins, le vice-recteur en charge des affaires académiques n’a pas donné suite à notre sollicitation. Nous avons néanmoins pu mettre la main sur des documents où le rectorat justifiait sa décision. L’un d’entre eux précise : « il est clairement établi l’existence d’un doublon de la formation de master en psychopathologie et psychologie clinique dans le département de psychologie (de la faculté des sciences humaines et sociales) et à la formation doctorale de psychologie et sciences de l’éducation ». En d’autres termes, il existe déjà un master similaire à l’école doctorale.
Présenté comme ça, l’argument paraît imparable. Sauf que l’histoire est beaucoup plus subtile. Le master que le rectorat veut jeter à la poubelle est une formation purement professionnelle qui met sur le marché à chaque promotion des praticiens immédiatement opérationnels, tandis que celui de l’école doctorale pour lequel le parti-pris des autorités rectorales est désormais établi, forme des chercheurs en psychologie. En termes clairs, le premier master forme des thérapeutes tandis que le second forme pour la recherche.
Conflit d’intérêts
Les besoins d’enseignants et de chercheurs en psychologie sont certes importants, mais ceux du pays et de la région en thérapeutes compétents sont encore plus importants et garantissent des taux d’insertion frôlant les 100 %. Cela explique certainement la ruée vers le master professionnel. Alors, comment peut-on expliquer la détermination du rectorat à faire disparaître ce type de master ?
La réponse se trouve peut-être au rectorat lui-même, plus précisément dans le bureau du vice-recteur en charge des affaires académiques. Nommé en 2021 dans ses fonctions, le professeur Patrick Houessou est lui-même un chercheur en sciences de l’éducation et un influent intervenant de la formation doctorale en psychologie et sciences de l’éducation. Le master professionnel en psychopathologie et psychologie clinique que le rectorat veut voir disparaître a toujours été perçu comme une menace pour la formation doctorale depuis sa création en 2018. De là à penser que Patrick Houessou est dans cette affaire, juge et partie, il n’y a qu’un petit pas qu’il n’est pas difficile de franchir.
Violation des procédures
Outres ces situations intrigantes, notre enquête a révélé également de troublantes entorses aux textes en vigueur dans les établissements publics d’enseignement supérieur en République du Bénin. En effet, conformément aux textes, la décision de suppression d’une filière ou d’une formation doit être rendue publique au plus tard 2 ans avant son entrée en vigueur. Celle concernant le master professionnel en psychopathologie et psychologie clinique, n’a été communiquée aux étudiants qu’en décembre 2024, après le dépôt de leurs dossiers, et avec effet immédiat. Il semble aussi que même la faculté des sciences humaines n’a pas été mise au courant de cette suspension avant son entrée en vigueur. Une première dans l’histoire de cette faculté et qui bouleverse complètement le projet de vie d’une vingtaine de jeunes béninois. Certains parmi eux ont même demandé des mises en disponibilité ou suspendu leur carrière en vue de compléter cette formation. Ils se retrouvent aujourd’hui tous en l’air, sans aucune idée de la suite.
Nous avons appris qu’ils ont demandé à rencontrer la ministre en charge de l’enseignement supérieur, ainsi que le conseiller technique du président de la république pour les questions de l’enseignement supérieur. Quant au rectorat de l’université d’Abomey-Calavi, il est resté totalement sourd à nos multiples sollicitations.