A trop vouloir faire cavalier seul, les juntes militaires sahéliennes accentuent leur isolement et multiplient les échecs

Afrique de l’Ouest : l’AES s’éloigne, la CEDEAO joue son va-tout

Une contribution du politologue Burkinabe Charles-Luc ANGO

Créée le 16 septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, l’Alliance des États du Sahel (AES) est au centre des bouleversements géopolitiques sahéliens. Prônant un panafricanisme reposant sur un souverainisme radical, ces juntes opèrent le plus souvent sur un rejet du multilatéralisme qui a pour résultat leur isolement croissant sur la scène régionale et internationale, mais aussi leur échec manifeste à lutter efficacement contre la menace terroriste au Sahel.

La crise diplomatique en cours entre le Bénin et le Niger a par ailleurs été révélatrice de la stratégie mise en place par les juntes sahéliennes : désigner des ennemis de l’extérieur qui poseraient une menace existentielle au Niger et plus largement aux États de l’Alliance Sahel.

Une mentalité obsidionale et un souverainisme à double standard

Le Bénin, tout comme la France, a été au centre d’une stratégie visant à faire de ces deux pays des ennemis de l’extérieurs au sein de la population nigérienne. Une manière, pour les juntes de AES, de trouver une forme de légitimité et de se maintenir au pouvoir en dépit de leurs multiples échecs politiques, sécuritaire et social.

L’activisme diplomatique du Bénin, son opposition initiale au coup d’État au Niger et son respect des sanctions imposées par la CEDEAO au Niger en ont fait l’un des boucs-émissaires des juntes sahéliennes et en particulier du régime du général Tchiani. Récemment, l’AES a orchestré une large campagne de communication dénigrant le Bénin, relayée par des personnalités politiques comme le Premier ministre nigérien Ali Lamine Zeine ou encore l’activiste franco-béninois Kémi SEBA, affirmant la présence de de plusieurs bases militaires françaises dans le nord du Bénin dissimulées grâce à l’envoi de légionnaires français à peau noire qui seraient présents pour former des jeunes béninois (notamment les peulhs) dans le but de déstabiliser le Niger. Avec son outrance habituelle, la junte à Niamey était même allée à accusée la France de soutenir des terroristes pour déstabiliser le Niger, avec la complicité du Bénin, sans jamais apporter aucune preuve crédible. Ces fausses informations ont été maintes fois démenties par les autorités béninoises et françaises, par un journaliste habituellement très critique de la politique française en Afrique, mais aussi par des fact-checkeurs .

En multipliant les commentaires publics sur la coopération militaire que le Bénin entretient avec des États-tiers et sur laquelle le pays est rigoureusement souverain, la junte du général Tchiani se livre à une ingérence dans les affaires internes d’un État. Ce faisant, il contredit ce sur quoi repose la rhétorique de l’AES et une partie de sa légitimité : les principes de non-ingérence et de respect de la souveraineté d’un État africain. En outre, n’étant pas à une contradiction près, le CNSP s’est empressé d’aller solliciter une coopération militaire avec la Russie et l’Iran, sans aucune légitimité démocratique, après avoir mis fin à celle avec la France et les Etats-Unis.

Un isolement rétrograde sur la scène régionale et internationale

L’AES est le fruit d’une collusion entre des juntes militaires illégitimes arrivées au pouvoir à la suite de putschs. Outre ces changements inconstitutionnels de régime, les États de l’AES ont également pour point commun un rejet radical du multilatéralisme et de la coopération régionale. A titre d’exemple, ces trois Etats ont notamment pris la décision de quitter le G5 Sahel dont la raison d’être était la lutte contre le terrorisme. Le 28 janvier dernier, l’AES annonce son intention de quitter la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui avait condamné les trois putschs et pris des sanctions en réaction.

L’AES s’éloigne volontairement de nombreuses formes de coopération à la fois bilatérales et multilatérales. Si le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont tous les trois dénoncé les accords de coopération avec la France, cette-dernière est loin d’être la seule cible de ce qui est en réalité un rejet généralisé de toute forme de coopération. Le 16 juin 2023 dernier, le Mali demandait le retrait de la MINUSMA, une opération de maintien de la paix de l’organisation des Nations Unies au Mali, en charge pourtant de soutenir la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation de 2015. Au Niger, le retrait militaire américain est en cours et devrait se poursuivre jusqu’au 15 septembre, malgré une posture diplomatique initialement ouverte vis-à-vis de la junte du général Tchiani : les États-Unis se voient donc loger à la même enseigne que la France. On pourrait se dire que la constitution même de l’Alliance des États du Sahel (AES) est un moyen de sortir de cet isolement, une sorte de multilatéralisme préférentiel associant des États alliés ou amis. Le but de celle-ci est d’établir une « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle ». Pour autant, cette organisation à dominante défensive et sécuritaire multiplie les échecs, justement sur le plan sécuritaire, en ne parvenant pas à lutter efficacement contre le terrorisme au Sahel.

Un échec sécuritaire mais aussi politique et social

L’échec de la stratégie sécuritaire de l’AES est bien visible. Le 11 juin dernier, l’armée burkinabé subissait le plus important revers de son histoire dans la lutte contre le terrorisme. Près de 400 terroristes affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) prenaient d’assaut et occupaient pendant au moins deux jours la ville de Mansila. Un premier bilan fait état d’au moins 112 militaires tués et de 7 otages pris par les terroristes. Selon le rapport de l’Institut pour l’économie et la paix (2023), le nombre d’attaques terroristes au Mali et au Burkina Faso a augmenté de 48% par rapport à l’année 2021, preuve s’il en fallait, que la situation sécuritaire s’est drastiquement détériorée depuis la fin de leur coopération militaire, notamment avec la France.
Cela est particulièrement vrai au Mali, où la force Barkhane jouait un rôle de stabilisation, en attendant que les autorités politiques maliennes mettent en place des solutions pour lutter durablement contre la menace djihadiste, ce qui aurait supposé de prendre des mesures économiques et sociales de nature à détourner une partie de la population de l’enrôlement djihadiste. Le 4 juin dernier, l’ONU a exprimé sa « grave » préoccupation concernant l’augmentation de meurtres de civils au Burkina Faso

L’échec de l’AES n’est pas seulement sécuritaire. Sur le plan politique, les juntes multiplient les suspensions de chaines d’information afin de favoriser une forme de matraquage médiatique correspondant aux fins de propagande des juntes. Au Mali, les contestations politiques sont réprimées. Le 10 juin, les autorités maliennes ont été contraintes de libérer Hamadoun Bah, secrétaire général du Syndicat des banques et assurances (Synabef), qui avait été placé en détention quelques jours plus tôt alors le mouvement social commençait à recevoir le soutien de nombreux autres secteurs d’activités. Au Burkina, les contestataires qui osent encore s’exprimer sont envoyés en première ligne devant les Groupes armés terroristes (GAT) pour s’y faire massacrer.

Sur le plan économique, au Mali, la situation économique déjà dégradée subit de plein fouet les conséquences des délestages à répétition. Malgré les promesses de la junte, le fournisseur national d’électricité, n’assure que 2 à 4 heures d’approvisionnement par jour selon les zones. Depuis le début de l’année, 2 789 entreprises ont déjà fermé à Bamako en raison de la crise énergétique. Certains maliens ironisent face à cette situation tragique, en indiquant que le colonel Assimi Goïta a rapidement tenu sa promesse de rendre au Mali sa grandeur sous l’empire Mandingue, en en faisant un pays sans électricité comme lors de cette période médiévale. Par ailleurs, le 14 février dernier, l’agence de notation Moody’s a annoncé la dégradation de la note du Niger à Caa2, un risque très élevé, ce qui devrait rendre encore plus difficile le financement de la dette nigérienne.

Isolées et en échec, les juntes militaires sahéliennes se tournent désormais vers de nouveaux soutiens dont la ligne anti-occidentale est bien connue…

Article précédent

Les enjeux du premier sommet de l’AES à Niamey

Article suivant

Éliminatoires CAN 2025 : le Bénin retrouve le Nigéria, Gernot Rohr en « confiance »

Ceci pourrait vous intéresser …

Laisser un commentaire