Réforme de la fusion de la police et de la gendarmerie :

Et si Patrice Talon regarde en face la réalité de son ingénieuse ambition !

Le 1er janvier 2018 a sonné le requiem de la police et de la gendarmerie nationale au Bénin ; ceci, à la suite de la loi n°2017-41 du 29 décembre 2017, instituant la Force unique de sécurité intérieure (Fusi) : la police républicaine. Six (6) ans après la mise en œuvre de cette réforme, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Et c’est un secret de polichinelle d’affirmer tout de go que le fruit a tenu la promesse de l’ambition du Chef de l’Etat, Patrice Talon. Pourtant, des langues, pas des moindres avaient porté de réelles réserves à cet effet.

«L’ère du policier ou du gendarme posté au bord de la voie ou dans nos contrées est révolue. » Ainsi s’était exprimé le Chef de l’Etat, Patrice Talon, recevant le 20 juillet 2017, le rapport de la commission d’étude de la création de la Force unique de sécurité intérieure (Fusi) qu’il a mis en place le 4 janvier 2017. A en croire ses propos, « les défis sécuritaires de notre temps ont changé de nature et de dimension et nous imposent une cohérence d’actions et une meilleure organisation de nos forces de sécurité publique. » L’idée de fusionner la police et la gendarmerie prise au Conseil des Ministres le 15 octobre 2016, a fait son petit bonhomme de chemin. Au-delà du fait que l’opinion publique s’est habituée à cette réforme six (6) ans après son entrée en application, il n’en demeure pas visible que des aspects inhérents à chaque corps sont délaissés et hantent encore des esprits. Inutile de revenir à cet effet, sur la récente sortie médiatique opérée par l’ancien Directeur Général de la police républicaine, Philippe Houndégnon.

L’un dans l’autre, il s’agit de faire un véritable bilan de cette délicate réforme. Est-ce que réellement, cet objectif nourri par le Président de la République est atteint. A postériori, même si aucune réforme ne s’opère sans des grincements de dents, toujours est-il que l’éléphant annoncé, est né avec des malformations. Lesquelles malformations rappellent et recyclent en actualité, les critiques et réserves portées en son temps par de haut gradés chevronnés des deux corps. Souvenir pour souvenir, nous publions ici les avis de Clovis Adanzounon, Contrôleur Général de la police à la retraite, Marius Dadjo, Commissaire de police à la retraite, Irené Ogouchola, Colonel à la retraite et de François Kouyami, Général de la gendarmerie à la retraite.

Clovis Adanzounon, Contrôleur Général de la police à la retraite

« La réforme est possible, mais difficile »

‘’Nous allons spéculer, parce qu’on a dit fusion. Il y a trois sortes de fusion. On peut décider que la gendarmerie vienne à la police pour en faire un corps unique. Ou que la police aille à la gendarmerie pour en faire un corps unique. La dernière possibilité, c’est la disparition totale des deux corps en faveur d’un corps neutre. (…) Je ne suis pas dans le secret du gouvernement. Je sais que c’est que c’est une réforme possible mais qui sera très difficile parce que la police a été créée en 1959 et la gendarmerie, en 1962. On a deux corps qui ont déjà plus de cinquante (50) d’existence qui ont toujours travaillé séparément. Elle (parlant de la réforme : ndlr) est salutaire pour unifier la politique stratégique en matière de sécurité. Il faut mutualiser les moyens matériels et humains (…).

Il faut dépassionner le débat. Il y a des conservateurs. Ces deus dernières années, ces deux corps ont été instrumentalisés par des politiciens. C’est une décision salutaire. Nous devons aller à la fusion pour régler un certain nombre de déviances que nous avons déplorées (…) Les deux corps sont séparés. Quels sont les renseignements qu’ils ont face à l’insécurité ? Face à un problème, il faut approfondir les réflexions. Je félicite le gouvernement pour avoir décidé de remettre en cause l’ancien ordre (…). Cette réforme est très sérieuse et on ne peut pas la réaliser en un mois. Il faut une commission permanente directement rattachée à la présidence de la République ; une commission dont les membres doivent être sélectionnés parce que beaucoup vont vouloir prendre d’assaut la commission pour paralyser l’idée. Il faut également accompagner cette commission de grands moyens. Pour éviter les frustrations, il faut créer un corps neutre, c’est-à-dire ni gendarme ni policier, avec des attributs nouveaux. Il ne s’agira pas de remercier des gens.’’

Marius Dadjo, Commissaire de police à la retraite

« J’ai vu la chose venir et j’y avais pensé »

‘’Cela ne m’a pas surpris puisque depuis les campagnes électorales, le Président de la République a dit qu’il sera l’homme des réformes. Et l’un de ses tout premiers actes a été d’installer une commission de réformes. Ensuite sur le plan de la sécurité, il a placé la gendarmerie sous tutelle du ministère de l’intérieur. La gendarmerie comme la police ont pour mission de sécuriser le pays. Donc, la mission est commune. Mais, pourquoi la gendarmerie relèverait-elle d’un autre ministère que celui de la sécurité publique ? EN fait, il faut dire que la gendarmerie est une création typiquement française et elle est de Napoléon qui avait pensé en son temps qu’en créant la gendarmerie, il fallait un corps pour s’occuper de la sécurité dans les campagnes, dans les zones rurales. C’est ainsi que la gendarmerie a été pensée et créée par Napoléon 1er, alors que la police avait pour destination, les cités urbaines. Les choses évoluant, s’il arrive que dans un pays, le politique pense que, pour nécessité de rendement et d’efficacité, il fallait fusionner les deux corps, je pense que c’est une vision dans laquelle s’inscrit le pouvoir actuel (…).

J’ai vu la chose venir et j’y avais pensé. D’ailleurs, laissez-moi vous dire qu’en France où cela a été créé, il a été que par moment, il arrive que des Présidents de la République, pour travailler, s’appuient sur la police et autres, par contre sur la gendarmerie. C’est leur création et même ici chez nous, il n’est pas rare de penser que la police est trop femmelette et les actions de la gendarmerie sont plus vigoureuses. Donc, à vouloir tout mettre ensemble, on verra ce que cela va donner. Maintenant, l’autre inconnu, c’est de savoir véritablement fusionner parce que les modes de recrutement depuis le Prpb (ndlr : Parti de la Révolution Populaire du Bénin) (les années 70-80) avaient commencé par être les mêmes et dans les évolutions, les grades sont pratiquement pareils. Mais, ceux qui sont déjà sur le terrain, qui va céder son poste à qui ? C’est cela la problématique qui pourrait poser problème.’’

Et comment gérer de part et d’autre les unités spéciales (Gign, Bac, Crs…) pour homogénéité recherchée ?

Le margouillat qui décide de se coudre un pantalon, sait là où il va ranger sa queue ! Sinon, en réalité, la France que nous imitons à tous les niveaux, ne s’est jamais sentie choquée pour cela. On pouvait s’arrêter à l’unicité des forces et mettre la police et la gendarmerie sous la tutelle du ministère de l’intérieur pour l’unicité recherchée. Mais, au-delà de l’unicité de commandement qu’avait conférée au ministère de l’intérieur du régime, en regroupant maintenant toutes les forces de sécurité sous la coupole du ministre de l’intérieur s’aurait été plus indiqué qu’on l’expérimente sur un certain terme avant de savoir s’il faut continuer ou pas parce que conformément à la vision, j’ai peur qu’un autre régime ne vienne défaire cela.’’

Irené Ogouchola, Colonel à la retraite

« J’attends d’abord d’avoir le contenu réel  de cette réforme… »

‘’Ce que je sais, c’est que l’idée de la suppression de la gendarmerie ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 1968, sous le régime du Président Zinsou, la gendarmerie était appelée à disparaitre. Pendant la période révolutionnaire, entre les années 75 et 76, au moment de la création des Forces armées populaires, le bruit a couru qu’un corps doit disparaître. La gendarmerie était encore indexée.

Aujourd’hui, qu’on parle de fusion, j’attends d’abord d’avoir le contenu réel de cette fusion avant de me prononcer. Ce qui est sûr, le fait de rattacher la gendarmerie au ministère de l’intérieur, constitue déjà ne très bonne chose au lieu de la mettre sous la tutelle de l’état-major général où les missions ne sont pas les mêmes. Ni en temps de paix ni en temps de crise. C’était une hérésie de mettre la gendarmerie sous la tutelle de l’état-major général en temps de paix.’’

François Kouyami, Général de la gendarmerie à la retraite

« C’est de la distraction »

‘’Par rapport à cette union, c’est-à-dire, faire de la gendarmerie et la police, une force unique pour assurer la sécurité des personnes et des biens, personnellement je pense que la fusion n’est pas nécessaire. Je vous parle d’expériences. J’ai été Directeur de la police et Directeur de la gendarmerie. Je connais les capacités de chaque force. J’attends de voir ce qu’ils veulent mettre dans la nouvelle structure. D’ores et déjà, je dis que ce n’est pas bon. Ce n’est pas la peine de nous distraire. C’est une distraction. Si chaque unité a les chefs et les moyens qu’il faut, elle sera efficace sur le terrain. C’est aussi une question une question d’éducation, il faut les former.

Les sources de renseignement doivent-être diversifiées. Avoir une seule source ne marchera pas. J’étais passé par là. Et je sais de quoi je parle. Chaque corps a ses méthodes. Vous ne pouvez pas imposer à un corps la méthode de travail d’un autre corps. C’est des distractions inutiles. Le problème n’est pas compliqué. Ne devient pas chef de sécurité qui veut. Les policiers sont syndiqués et on leur confie la ville. Quand ils vont se mettre en grève, vous avez vu ce qui se passe en France ? Non ! La grande muette, c’est la gendarmerie.’’

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