Pris en étau entre la crise nigérienne et ses propres échecs à l’interne, le chef de l’État béninois semble avoir entamé une traversée du désert. Lundi, Patrice Talon est descendu à l’improviste à Paris alors qu’il était attendu au sommet Corée du Sud – Afrique.
Une contribution de Ange Ludovic Nougbodé
Patrice Talon s’est retrouvé à Paris lundi matin alors qu’il n’y était pas attendu, déclenchant ainsi une vague de supputations qui a forcé les médias pro-gouvernementaux à apporter des clarifications. Ceux qui ont vu Patrice Talon sortir de l’avion décrivent son air hagard et sa démarche précipitée, « comme s’il était pourchassé par un fantôme », rapporte un témoin. Depuis le cuisant échec de son ministre de l’énergie Samou Adambi au Niger, le président Talon est méconnaissable. Et pour cause, jamais une opposition, fût-elle militaire, ne l’avait autant malmené que le fait actuellement le général Tiani. Après avoir réduit l’opposition et la société civile béninoises à leur plus simple expression, Patrice Talon s’est acheté une tranquillité relative en contenant – au moins temporairement – les velléités des frondeurs de son propre camp, les “OBeissants”. Mais il ne s’attendait certainement pas à être frappé au porte-monnaie d’une façon aussi déterminée par un voisin sur lequel il n’a pratiquement plus aucun moyen de pression. Il n’y a pour Patrice Talon aucune perspective de revanche, pas même une lueur d’espoir pour un petit succès contre ce fameux général nigérien.
Le pétrole bloqué appartient à la Chine
Patrice Talon a-t-il choisi d’aller s’isoler à Paris pour retrouver un peu de calme et peut-être prendre quelques conseils auprès de son ‘’ami’’ Emmanuel Macron ? le chef de la Rupture avait tout misé sur la dernière mission de Samou Adambi à Niamey mais il s’est heurté au mur de l’intransigeance de la junte. Patrice Talon a dû recevoir le NON des autorités de Niamey comme un coup de poing dans la figure. Depuis la fermeture de la frontière entre les deux pays, le port de Cotonou a perdu de son éclat, tout comme ses recettes ont fondu de plus de 50%. Les Nigériens accusent le Bénin d’abriter des bases militaires françaises, accusations qui ont de quoi faire trembler même un homme aussi stoïque que Talon.
Et comme si cela ne suffisait pas, le Bénin bloque l’embarquement du brut nigérien dans les tankers chinois au port de Sèmè, croyant ainsi montrer ses muscles. Que ne fut la surprise pour Talon et ses conseillers juridiques, lorsqu’un simple fonctionnaire chinois vient leur rappeler que le pétrole bloqué appartient à la Chine et non au Niger. De quoi forcer Cotonou à laisser les navires chinois charger leur cargaison et repartir.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, les ministres de Talon en tournée nationale pour expliquer la cherté de la vie et recueillir les doléances sont accueillis par des foules maigres et peu enthousiastes. Et voilà que Talon apprend que son poulain, Romuald Wadagni, peine à s’exprimer dans la langue locale “Kotafon”. Un signe de plus que même ses alliés ne lui seront d’aucun secours.
Un cheval de course qui n’a jamais brillé
Il faut ajouter à cela le mouvement “OB 26” qui voit la candidature d’Olivier Boko susciter des soutiens alors même que Talon le trouve trop présomptueux et peu docile. Olivier Boko, le mieux préparé parmi tous les siens, est écarté au profit de Wadagni, un cheval de course qui n’a jusque-là jamais brillé.
En écartant ses premiers soutiens, Patrice Talon a aussi ouvert un nouveau front inattendu dans la lutte contre ceux qui convoitent le fauteuil présidentiel. Et même si Kémi Séba ne constitue pas encore une menace sérieuse, il ajoute une couche de complexité à une situation déjà bien embrouillée.
Qu’on ne s’y trompe pas : cette tournée de reddition de comptes, destinée officiellement à expliquer la cherté de la vie et recueillir les doléances, n’est qu’un énième soubresaut d’un régime à bout de force. Les Béninois ne sont pas dupes : Talon teste discrètement les eaux pour un éventuel troisième mandat.
Trahisons et promesses non tenues
Ainsi, le président Talon est depuis peu en pleine déprime. Abandonné par ses amis de la première heure, trahi par ses propres ambitions, Patrice Talon médite sur ses rêves de grandeur qui s’effondrent comme un château de cartes.
Comme le dit une sagesse populaire, il est facile de monter au sommet, mais rester là-haut demande une grande sagesse. Le président Patrice Talon gagnerait à se réconcilier avec ses soutiens d’antan pour organiser ensemble avec eux la meilleure des sorties possibles. Paris sera peut-être le miroir de son âme tourmentée, mais c’est au Bénin qu’il doit affronter ses véritables défis.
