Une tribune de Constantin AKPOVI, Expert en Démocratie et gouvernance publique
En réaction à l’organisation par la Conférence épiscopale du Bénin d’un colloque sur le Code électoral, une coalition de cinq (05) églises a effectué une sortie médiatique pour prendre à contre-pieds la position adoptée par l’église catholique et réaffirmer, selon elle, sa neutralité dans le débat politique. Une réaction surprenante venue susciter des questionnements au sein de l’opinion publique, témoin d’une cacophonie naissante dans le cercle des « hommes de Dieu » alors que se profilent déjà à l’horizon 2026 les prochaines élections générales.
La scène a de quoi faire sursauter tout observateur averti de la scène publique béninoise. Face aux micros et caméras ce mardi 30 avril au Wesley House -siège de l’Eglise Protestante Méthodiste du Bénin (EPMB) à Cotonou, les responsables de l’EPMB, l’Eglise des Chérubins et Séraphins du Bénin, l’Eglise Première Mission Africaine du Bénin – Bodawa, l’Eglise Orthodoxe d’Antioche au Bénin et l’Eglise Méthodiste Africaine du Bénin affichent, sans état d’âme, leur position dans la « Déclaration sur le code électoral ». Pour ces cinq (05) églises, la Loi N° 2024-13 du 15 Mars 2024, modifiant et complétant la loi N°201943 du 15 novembre 2019, portant Code électoral au Bénin a été promulgué « après un processus législatif conduit selon les principes de la démocratie, à l’Assemblée Nationale, dont les membres représentent aujourd’hui le peuple béninois ». La contre-attaque est parfaite et semble converger avec la position défendue par le Porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji qui avait jugé en prélude à sa tenue, l’initiative de l’église romaine inopportune et la démarche adoptée peu consensuelle. Dans sa substance en effet, la sortie médiatique vient contredire les grandes lignes défendues quelques jours plus tôt au cours du colloque international organisé par l’Eglise catholique à travers l’Aumônerie nationale des cadres et personnalités politiques et l’Observatoire chrétien catholique de la gouvernance, le 25 avril à Cotonou sur le thème : « Les modifications du Code électoral au Bénin de 1990 à aujourd’hui : Le Code électoral, le vivre-ensemble et la participation de tous à la construction de la Nation ». Pour Mgr Roger Houngbédji, Archevêque de Cotonou, la pertinence de l’initiative de l’église catholique n’est plus à démontrer. “Nous ne pouvons rester sans rien faire, ni laisser le peuple béninois aller à son mécontentement, ni les partis politiques à leur division. Le devoir est alors grand et nous y sommes tous et toutes conviés. Avant, pendant et au-delà des élections, le vivre-ensemble doit être possible”, clame-t-il. A cet avis, la coalition oppose une autre posture. « Le code électoral ne sera pas le problème en 2026 mais plutôt les acteurs en charge de son application et en charge de l’organisation des élections », estiment les conférenciers.
Pour ces « contradicteurs » de l’église catholique, si les acteurs politiques font preuve de grand sens de responsabilité, de justice, d’équité, de sagesse, d’élévation de conscience, de discernement, de réalisme et de hauteur d’esprit dans la mise en œuvre du code électoral, ils vont contribuer de façon déterminante, à l’émergence en 2026, d’un parlement pluriel et représentatif de la diversité des blocs et courants politiques de notre pays et aider à préserver la paix et l’harmonie sociale au Bénin.
Des opinions contradictoires pour des intérêts cachés ?
Depuis l’historique conférence des forces vives de la Nation de 1990, l’église a acquis une place singulière dans la médiation et la recherche de solutions au sein de la société béninoise notamment en matière de prévention et de règlement de différends dans le domaine politique. C’est d’ailleurs, ce rôle majeur dans la gestion pacifique des contradictions et le renforcement de la cohésion sociale qui lui vaut, depuis plusieurs années, d’être à l’initiative ou d’être associée à différentes actions destinées à préserver le modèle démocratique Béninois et à œuvrer pour la sauvegarde des acquis de la première conférence nationale africaine. Dès lors, le colloque de Cotonou sur le Code électoral apparaît comme l’une de ces démarches de contribution citoyenne à la prévention de conflits susceptibles de remettre en cause la paix sociale à l’instar des élections législatives de 2019 et présidentielles de 2021 dont les séquelles restent vivaces dans la mémoire des Béninois qui continuent, pour certains à croupir en prison et pour d’autres à expérimenter les dures réalités de l’exil ou encore de faire le deuil de leurs proches disparus. Mais, cette intention, somme toute noble, semble ne pas trouver l’écho favorable attendu auprès de la majorité présidentielle qui a boycotté l’activité et dénoncé sa tenue en dépit des justifications apportées par les organisateurs. Mais, plus surprenante est la position affichée par l’EPMB et ses soutiens en réaction à l’initiative. Pour le commun des Béninois qui assistent depuis quelques années aux déchirements internes au sein de cette église, rien ne laissait présager de son intrusion dans ce débat dont le seul mérite semble être d’entretenir la polémique sur la cohésion entre les confessions religieuses pourtant réunies au sein d’un cadre de concertation. Si l’église catholique se défend d’adopter une position partisane dans le vif débat entre soutiens et détracteurs du Chef de l’Etat Patrice Talon en convoquant, à sa guise, les caractères techniques des interventions d’experts venus éclairer la lanterne des uns et des autres et faire des recommandations pour les ajustements nécessaires au Code révisé à l’initiative du régime au pouvoir, la place qu’elle a accordé aux autres confessions religieuses pour une initiative plus consensuelle mérite également d’être scrutée pour une appréciation objective de la démarche irréprochable des organisateurs. L’initiative n’est-elle pas en réalité en renfort aux lamentations des partis de l’opposition notamment du parti Les Démocrates (LD) qui ont sollicité l’appui aussi bien des entités locales que de la communauté internationale après leur échec à la Cour constitutionnelle ?
De l’autre côté, de vives interrogations subsistent sur la sortie inattendue de l’EPMB et de ses soutiens. Quel est la pertinence de cette sortie à laquelle le cadre de concertation des confessions religieuses – creuset jouissant de la légitimité nécessaire pour porter la voix de ses membres – ne semble pas avoir donné sa caution et encore moins son onction ? Cette sortie n’est-elle pas un soutien voilé au pouvoir pour la médiation exercée par le gouvernement en vue du retour à la paix après plusieurs années de déchirement au sein de cette confession religieuse ?
En tout état de cause, il convient de se réjouir de toute volonté d’unir et de fédérer au détriment de celles susceptibles d’accentuer les clivages et faire planer –inutilement – sur le Bénin, le péril en raison des postures des acteurs politiques. Dès lors, il apparaît opportun pour toutes les chapelles de faire triompher la voix de la sagesse et du dialogue pour contribuer qualitativement à la marche du Bénin vers un avenir davantage radieux et exempt de crises épidémiques. Car, la maturité dont fait désormais preuve le peuple béninois conforte l’idée que toute « Guerre des chapelles » est vouée à l’échec et les manœuvres malsaines de manipulation à des fins inavouées ont peu de chances de prospérer.